L’Inde confirme sa montée en puissance

Kevin Net, Edmond de Rothschild Asset Management

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Les investissements des GAFA sont potentiellement précurseurs d’une coopération économique plus importante entre les Etats-Unis et l’Inde.

Les GAFA font figure de précurseurs en Inde et ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Facebook, Google et Amazon ont annoncé cette année plus de 16 milliards de dollars d’investissements à venir dans le pays, mettant en avant le potentiel de l’économie digitale indienne, mais également celui de l’Inde de manière plus générale.

Facebook a ainsi été le premier à investir dans Jio Platforms, filiale télécom de Reliance, plus gros conglomérat indien. Facebook espère capitaliser sur les plus de 280 millions d’utilisateurs indiens de WhatsApp, mais également participer à l’expansion de Reliance dans l’e-commerce, avec sa plateforme Jio Mart lancée en début d’année.

Jio Platforms a par la suite attiré de nombreux autres investisseurs, dont Google. La société dirigée par Sundar Pichai a annoncé plus de 10 milliards de dollars d’investissements en Inde au cours des 5 à 7 prochaines années, dont une prise de participation de 4,5 milliards de dollars dans Jio Platforms.

Le rôle de la diaspora indienne est particulièrement clé
dans cette hausse des investissements de la Tech américaine en Inde.

Amazon, présent dans le pays depuis 2014, n’est pas en reste, puisque son patron, Jeff Bezos, en visite dans le pays en début d’année, a annoncé vouloir investir 1 milliard pour aider les PME indiennes à se digitaliser et ainsi être en mesure d’offrir leurs produits en ligne. Il a également rappelé qu’Amazon a déjà investi plus de 5,5 milliards de dollars en Inde.

L’Inde est un marché important en termes de nombre d’utilisateurs internet. Avec plus de 650 millions d’utilisateurs, la plupart connectés via le réseau cellulaire, l’Inde occupe déjà le deuxième rang mondial, juste derrière la Chine1. Le pays offre de plus un potentiel important selon nous, en raison d’un taux de pénétration des services internet encore très faible. A titre d’exemple, le taux de pénétration de l’e-commerce n’atteint que 3,4%2, bien loin des niveaux observés dans d’autres pays émergents.

Par ailleurs, le rôle de la diaspora indienne est particulièrement clé dans cette hausse des investissements de la Tech américaine en Inde. Les Etats-Unis restent la destination principale de la diaspora indienne. Les Américains d’origine indienne sont la population immigrée la plus favorisée aux Etats-Unis, en grande partie grâce à l’éducation (72% des Indiens de plus de 25 ans vivant aux Etats-Unis ont un diplôme de l’enseignement supérieur contre une moyenne nationale à 30%3), et 8% des fondateurs de sociétés de technologie aux Etats-Unis sont d’origine indienne4.

Selon nous, les investissements de Facebook, Google et Amazon sont potentiellement précurseurs d’une coopération économique plus importante entre les Etats-Unis et l’Inde dans un contexte de durcissement des relations sino-américaines. 

Il est également intéressant de noter que ces investissements interviennent dans un contexte de tensions géopolitiques sino-indiennes grandissantes. A la suite d’affrontements à la frontière entre les deux pays au mois de juin, le gouvernement indien a notamment annoncé l’interdiction de 59 applications digitales chinoises, dont les très populaires TikTok et WeChat. L’Inde est un marché important pour TikTok, où l’application a été téléchargée près de 611 millions de fois depuis son lancement en 20175. Cette porte fermée pour les entreprises chinoises représente une opportunité significative pour les entreprises américaines, qui n’ont jamais réussi à pénétrer le marché chinois. 

L’émergence d’un véritable troisième pouvoir sur le front géopolitique

Alors que les relations que Pékin entretient avec Washington et New Delhi se dégradent, les relations entre les Etats-Unis et l’Inde semblent à l’inverse au beau fixe. Les Etats-Unis, engagés dans une guerre commerciale avec la Chine, ont tout intérêt à voir émerger une troisième puissance qui viendra contrebalancer celle de la Chine. 

L’Inde espère capitaliser sur cette stratégie américaine et ainsi attirer des entreprises qui souhaiteraient délocaliser hors de Chine, ou du moins diversifier leur base de production. Depuis le début de l’année, ce sont plus de 40 milliards de dollars de capitaux américains qui sont entrés en Inde6

Pour attitrer ces sociétés, le gouvernement indien
a introduit un système d’incitations fiscales.

C’est ainsi le cas d’Apple, qui a augmenté sa production d’iPhone made in India. Foxconn, assembleur principal d’Apple, a quant à lui ouvert sa première usine en Inde, qui produit depuis le mois dernier l’iPhone 11, et devrait investir plus d’un milliard de dollars pour accroître ses capacités de production. D’autres fournisseurs d’Apple, tels que Wistron, Pegatron ou Samsung, devraient également faire de même, tout comme des sociétés indiennes telles que Dixon Lava ou Micromax. Pour attitrer ces sociétés, le gouvernement indien a introduit un système d’incitations fiscales («production linked incentives») qui couvriront jusqu’à 6% des coûts de production au cours des 5 prochaines années7

22 sociétés, de Corée du Sud, Taiwan et Allemagne, vont prendre part à ce programme de 6,7 milliards de dollars, qui vise à faire de l’Inde l’un des principaux fabricants de smartphones au monde.

Ce programme illustre parfaitement l’initiative baptisée «Make in India», inaugurée par le premier ministre Narendra Modi à son arrivée en 2014, qui a pour objectif d’augmenter la contribution du secteur manufacturier dans le PIB indien. Cette initiative a reçu un soutien en septembre 2019 avec la baisse du taux d’imposition des sociétés, qui est passé de 30% à 22%. Un taux inférieur (fixé à 15%) a même été introduit pour les sociétés construisant de nouvelles capacités entre 2020 et 2023. L’annonce d’un plan d’infrastructures de plus de 1’500 milliards de dollars au cours des 5 années à venir devrait également contribuer à renforcer l’attractivité de l’Inde, le manque d’infrastructures modernes étant souvent pointé du doigt par les entreprises étrangères comme frein à leur décision d’investissement dans le pays.

Une croissance de long terme qui s’appuie sur un calendrier de réformes soutenu

Toutes ces annonces s’inscrivent dans le cadre d’un programme de réformes ambitieux mis en place par l’administration Modi pour révéler le potentiel de l’économie indienne. Depuis son élection en 2014, et conforté par sa réélection avec une majorité encore plus élargie en 2019, Modi est à l’origine de nombreuses réformes structurelles, de l’inclusion financière à la libéralisation des médias, en passant par la privatisation d’entreprises publiques, ou encore la consolidation des très nombreuses banques d’Etats. Malgré l'épidémie de COVID-19, le gouvernement a poursuivi ses annonces de réformes en mai dernier, ciblant cette fois-ci le secteur de l’agriculture, un secteur important pour l’Inde, puisqu’il représente encore 15% du PIB indien et emploie plus de 50% de la population indienne. 

 
1 Source : Bank of America.
2 Source : Bain & Co, juin 2020.
3 Source : Migration Policy Institute.
4 Source : World Economic Forum.
5 Source : Sensor Tower.
6 Source : Bloomberg. 
7 Source : Government of India.

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