Il ne peut y en avoir qu’une

Fredy Hasenmaile, Raiffeisen

2 minutes de lecture

Le Conseil national a récemment suggéré d’introduire une deuxième fête nationale le 12 septembre.

Et non, il ne s’agit pas du chef économiste du groupe Raiffeisen. Je veux parler d’autre chose, d’une chose sacrée dans toute la Suisse. À savoir la fête nationale. Tellement sacrée que le peuple suisse si laborieux qui ne voulait pas entendre parler d’une sixième semaine de vacances a déclaré le 1er août jour férié il y a une trentaine d’années.

Quelle preuve d’estime! Ce jour commémore le Pacte fédéral que les premiers Confédérés ont conclu en 1291 en se garantissant mutuellement assistance. Le Pacte était daté du début du mois d’août. Certains milieux veulent cependant s’en prendre à la fête nationale, en faisant état d’une seconde date. Afin de commémorer les événements de 1848 lorsque la première Constitution de la Suisse a vu le jour et que l’État fédéral moderne a été porté sur les fonts baptismaux, le Conseil national a récemment suggéré d’introduire une deuxième fête nationale le 12 septembre. Autrement dit, une co-fête nationale. Mais le simple fait de proposer d’adjoindre une seconde fête nationale au 1er août au lieu de le remplacer purement et simplement a révélé les faiblesses du projet. Les partisans de ce projet ne semblaient en effet pas trop se fier à son pouvoir de séduction, car sinon ils n’auraient pas plaidé pour la coexistence de deux fêtes nationales et auraient plutôt exigé un remplacement complet.

Que devrions-nous imaginer? Devrons-nous fêter deux fois l’anniversaire de la Suisse à l’avenir? Hisser le drapeau suisse, écouter le discours d’un membre du Conseil fédéral et assister à un feu de joie deux fois par an? Et à quelle date faudrait-il allumer le feu d’artifice? Bon, ce dernier problème va peut-être se résoudre de lui-même si les auteurs de l’initiative populaire «Une Suisse sans le bruit de feux d’artifice» parviennent à s’imposer. Selon les derniers rapports, cette initiative semble être en mesure d’apporter le nombre de signatures requis. En tant qu’économiste pur jus, je n’aurais en principe rien à objecter à un concours portant sur la fête nationale. Que la fête nationale la plus séduisante gagne, pourrait-on affirmer en toute sérénité. Mais avec une telle logique, il faudrait aussi remettre en question ou doubler Noël et d’autres jours fériés. Une telle prolifération des jours fériés sonnerait sans doute le glas du recueillement. Les coûts économiques pèseraient toutefois lourd dans la balance. Comme la plupart des choses dans l’existence, de nouveaux jours fériés ne seraient pas gratuits. À elle seule, la nouvelle fête nationale réduirait la création de valeur de la Suisse d’environ 600 millions de francs, selon les récents calculs détaillés d’une maison d’édition.

Mais les coûts ne sont qu’un aspect de la question. Cette demande ne reflète-t-elle pas d’une certaine façon la nature arbitraire des valeurs modernes? Tout est remis en question, même les sanctuaires. Et cela n’ouvre-t-il pas la boîte de Pandore? Nous pourrions tout aussi bien réfléchir à un drapeau suisse alternatif.

Il est bien possible que la croix blanche ne représente pas certaines minorités en Suisse et que la demande de sa suppression pourrait ne pas tarder. De tels jours de commémoration, symboles et traditions ont pourtant une grande valeur. En la matière, nous pourrions nous inspirer des Britanniques qui n’imagineraient pas un instant remettre en cause l’importance de telles traditions. L’exemple des Britanniques nous montre précisément le pouvoir valorisant de telles traditions. Pratiquement aucun autre peuple en Europe n’a autant de force de caractère que les Britanniques. C’est notamment grâce à eux que l’Europe est restée un continent libre et aujourd’hui ils apportent un soutien sans réserve à des Ukrainiens durement éprouvés dans leur lutte existentielle malgré une situation économique difficile.

Jusqu’à présent, nos ancêtres avaient fait preuve de suffisamment de sagesse pour ne pas se référer à l’année 1848 pour le choix de la fête nationale. La guerre du Sonderbund avait en effet ravivé d’importantes blessures. D’un côté les cantons libéraux-radicaux, de l’autre leurs adversaires catholiques-conservateurs.

Après la Constitution rédigée à la hâte, des élections tout sauf loyales ont été imposées à la va-vite en 1848. Au fil du temps, le fossé séparant les cantons d’inspiration catholique des cantons réformés a cependant fini par se combler. Le choix du 1er août 1291 comme fête nationale commune effectué une bonne quarantaine d’années plus tard a également emporté l’adhésion des milieux catholiques-conservateurs perdants.

Autant dire que l’idée d’avoir à l’avenir une fête nationale pour la Suisse progressiste et une autre pour la Suisse conservatrice est plus que loufoque. Le jour de la fête nationale doit avoir pour but d’unir la nation et non de la diviser. Aussi, cette idée a-t-elle été torpillée en toute discrétion. La Commission des institutions politiques du Conseil des États a recommandé le rejet de la motion à la quasi-unanimité (dix voix contre une). Le 27 septembre, le Conseil des États a ensuite enterré sans opposition la motion du conseiller national Centre/BE Heinz Siegenthaler pour une fête nationale alternative. À l’avenir, la Confédération continuera de commémorer la naissance de la Suisse le 1er août. Et rappelons à ceux qui regrettent à présent de n’avoir toujours qu’une seule fête nationale: ne soyez pas tristes, les Britanniques n’en ont aucune.

A lire aussi...