Forces contradictoires

Salima Barragan

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La volatilité de la plupart des marchés obligataires en devise locale a baissé, estime Yasmine Ravaï-Mans d'Eurizon.

Politique monétaire de la Fed, évolution du dollar américain, ralentissement chinois affectant la demande en matières premières, sentiment de marché : les facteurs globaux ont plongé les marchés émergents dans l’attentisme. Pourtant, deux forces contradictoires s'affrontent, estime Yasmine Ravaï-Mans, gestionnaire d’un fonds de dette émergente en devise locale chez Eurizon SLJ Capital. Leur volatilité a diminué alors que les valorisations de la dette émergente en dollar qui est une position très prisée ont perdu de leur attractivité.

Tandis que les conflits sur les tarifs planent au-dessus des marchés, les statistiques macro-économiques confirment un ralentissement de l’activité mondiale. D’un côté, les pressions à la baisse du dollar (liées aux anticipations de baisses du taux d’intérêt de la Fed) soutiennent les obligations des pays émergents, y compris ceux endettés en dollar dans la mesure où l’appréciation de leur devise locale, une inflation contenue ainsi que des taux réels élevés améliorent la marge de manœuvre de leur banque centrale pour mener une politique accommodante et soutenir leur croissance. D’un autre côté, une force opposée tire le dollar vers le haut. «Malgré un ralentissement global synchronisé, l’économie américaine continue de mieux performer que les autres pays du globe alors que la Chine, qui est dans une croissance dite en forme de L suite aux réformes entreprises (par le gouvernement pour réguler le marché du crédit), a un impact plus sévère sur le reste du monde et plus particulièrement l’Europe», explique Yasmine Ravaï-Mans.

Les taux d’intérêt réels sont négatifs mais les fondamentaux
très bons avec une croissance autour de 4%.
Un univers très hétérogène

Globalement, les pays émergents ont amélioré leurs balances courantes et une tendance désinflationniste prédomine. Néanmoins, une forte disparité existe au sein de la classe d’actifs et les fondamentaux de chaque pays doivent être analysés individuellement. «Par exemple, les obligations souveraines d’Afrique du Sud offrent techniquement de bonnes valorisations (plus de 9% sur le 10-ans), mais sur le plan fondamental on note une grande déception depuis l’élection du nouveau président Ramaphosa: le déficit budgétaire se creuse vers les 6%, la dette publique atteint les 70%, le taux de chômage ne cesse de croître (29%) et enfin on note une certaine inertie au niveau des réformes», explique la gérante qui maintient aussi un avis négatif sur l’Argentine dont les fondamentaux la découragent d’investir. De même, la Turquie qui a connu une récente amélioration dans ses fondamentaux avec une baisse sensible du déficit de sa balance courante (le niveau le plus bas depuis 2002) et un retour de l’inflation en-dessous de 10%, demeure vulnérable du fait d’une banque centrale peu orthodoxe, d’un endettement externe important et de l’augmentation de risques géopolitiques.

En revanche, la spécialiste apprécie la Pologne considérée comme le pays refuge des marchés émergents: «Les taux d’intérêt réels sont négatifs mais les fondamentaux très bons avec une croissance autour de 4%. Avec une devise très stable, ce pays attire l’intérêt des investisseurs européens où les taux sont négatifs». Aussi, la Russie affiche des fondamentaux exceptionnels comme une inflation en baisse autour de 4%, un surplus budgétaire et une balance courante excédentaire. «Les taux courts et à long terme sont à 7% et l’assouplissement de la politique monétaire devrait se poursuive. Ce marché ne craint pas de mouvements exagérés en cas de tensions accrues car beaucoup d’investisseurs en sont déjà sortis», souligne Yasmine Ravaï-Mans.

Certains pays dont les politiques monétaires offrent le plus grand potentiel de manœuvre sont propices aux investissements en dette souveraine en devise locale. Par exemple, au Mexique l’inflation n’excède pas 3%, les déficits courants et fiscaux sont en-dessous de 2% et 3% respectivement et la dette publique demeure relativement faible a 46%. «La Banque centrale mexicaine qui suit la Réserve fédérale vient d’entamer sa baisse des taux et pourrait la poursuivre si l’environnement reste conciliant, ce qui devrait soutenir les obligations en peso mexicain», explique la spécialiste qui voit également un grand potentiel de baisse des taux d’intérêt en Indonésie: la devise est très dépendante du sentiment de risque mais cette dépendance semble s’atténuer grâce a une banque centrale crédible et préventive.

Du côté des devises, la roupie indienne a remporté un franc succès grâce au portage attrayant qu’offre la devise mais «les réformes ambitieuses de Modi n’ont pas toutes été couronnées de succès», regrette Yasmin Ravaï-Mans. Néanmoins, la devise indienne est peu corrélée aux autres devises et l’Inde est un des rares pays du monde à être peu affecté par le ralentissement chinois. Un refuge en temps de guerre commerciale.