Electrification: il est temps d’aligner les portefeuilles

José Lazuen, Lombard Odier

3 minutes de lecture

La transition vers l’électrification de notre système énergétique représente une nouvelle révolution industrielle. Compte tenu du contexte géopolitique actuel, celle-ci est d’autant plus importante.

L’accès à l’énergie a toujours été au cœur du développement humain. La nécessité d’un approvisionnement sûr et abordable constitue un impératif stratégique pour la plupart des pays, un élément clé du développement économique et une part essentielle du mode de vie de la plupart d’entre nous. Pourtant, la croissance économique a aussi toujours été associée à la hausse des émissions de gaz à effet de serre. En effet, 80% de l’énergie que nous consommons repose sur les combustibles fossiles et est issue de leur combustion. C’est de là que proviennent 73% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces émissions constituent les externalités les plus urgentes et les plus complexes, dont le prix n’a pas encore été évalué de manière adéquate par les entreprises, les régulateurs et la société.

Electrification: trajectoire de décarbonisation

Grâce à des accords intergouvernementaux et à des traités juridiquement contraignants comme l’Accord de Paris, le monde est désormais sur la voie de la décarbonisation et de la neutralité carbone. Des recherches indiquent que la solution la plus rapide et la moins coûteuse pour respecter ces traités dépend probablement de l’électrification. L’électrification du système énergétique, à la fois de l’offre et de la demande d’énergie, est une composante nécessaire à la plupart des modèles climatiques basés sur la science qui visent à limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Cette réalité a déjà des conséquences majeures pour les fournisseurs d’énergie, les secteurs à forte intensité énergétique (transport, bâtiments, industrie par exemple) et les secteurs qui facilitent la transition grâce à des solutions vertes.

Par ailleurs, la guerre en Ukraine a des répercussions considérables sur les prix de l’énergie. Elle perturbe l’industrie et produit des effets macroéconomiques globaux inédits. Il est prouvé que la dépendance aux combustibles fossiles fait peser une menace réelle sur la sécurité énergétique et la compétitivité industrielle des pays partout dans le monde. Le résultat est un «trilemme énergétique»: le désir d’accéder à un approvisionnement énergétique sûr, totalement décarbonisé et à un coût abordable. L’électrification représente la tendance technologique la mieux positionnée pour résoudre ce «trilemme».

Malgré une raréfaction saisonnière, l’énergie renouvelable est illimitée et son utilisation est donc intrinsèquement désinflationniste.
Les énergies renouvelables et les technologies propres à des points de bascule

L’électrification via les énergies renouvelables est déjà l’option la moins onéreuse pour assurer l’approvisionnement énergétique. Malgré une raréfaction saisonnière, l’énergie renouvelable est illimitée et son utilisation est donc intrinsèquement désinflationniste. Par exemple, ces dix dernières années, les prix pour l’éolien et le solaire ont plongé et le photovoltaïque solaire représente désormais la source d’électricité la moins chère de l’histoire. Ces données favorables constituent un tournant décisif sur la route vers la neutralité carbone.

Du côté de la demande en énergie, les technologies propres approchent également du point de bascule qui surviennent lorsque les conditions permettent à des technologies ou à des pratiques nouvelles de surpasser celles qui sont en place en termes de coûts, de fonctionnalité et d’accès. Le secteur du transport routier a déjà atteint ce point de bascule et, dans de nombreux pays, le chauffage résidentiel et des réductions de coûts supplémentaires dans les équipements permettront d’atteindre ces points de bascule. En parallèle, la récente accélération des ventes de voitures électriques (plus de 10 millions de véhicules vendus dans le monde en 2022, soit près de 13% des ventes totales) et de scooters électriques (environ 280 millions sur nos routes à l’heure actuelle) enclenchera de puissantes boucles de rétroaction intersectorielles. Par exemple, la baisse du coût de production des batteries de véhicules électriques (90% depuis 2010), permet l’adoption massive des batteries sur le réseau électrique. De même, avec l’accélération des ventes de pompes à chaleur résidentielles, on peut s’attendre à des boucles de rétroaction comparables pour l’électrification de la chaleur industrielle.

Coup de pouce pour l’investissement dans l’énergie propre en 2022

À la lumière de ces tendances, on peut avancer que le moteur à combustion n’a plus de rôle à jouer dans le développement économique. Comme il représente l’une des principales sources de consommation de combustibles fossiles, son utilisation quotidienne est vouée, elle aussi, à décliner. Les investissements constituent des indicateurs clairs quant à la direction prise par le secteur de l’énergie. En 2022, l’investissement mondial dans des technologies à faible intensité en carbone a dépassé la barre des USD 1’000 milliards. De même, pour la première fois, les énergies renouvelables ont attiré plus de capitaux que les activités du secteur du pétrole et du gaz (y compris l’exploitation de gisements nouveaux ou existants, mais hors exploration). Les énergies renouvelables, les réseaux et le stockage représentent donc maintenant plus de 80% du total des investissements dans le secteur de l’énergie. Pour certaines technologies, comme le photovoltaïque solaire, les batteries et les véhicules électriques, les investissements augmentent désormais à des rythmes compatibles avec des émissions nettes nulles d’ici à 2050. Compte tenu de ces investissements dans l’électrification et l’énergie propre, ainsi que des actions politiques climatiques des gouvernements, à l’échelle mondiale, plus de USD 1’000 milliards d’actifs dans le pétrole et le gaz pourraient risquer l’obsolescence.

Il s’agit-là d’un message clair pour les investisseurs: il est grand temps de s’aligner sur l’écrasant consensus scientifique et industriel autour de la croissance exponentielle de l’électrification, d’observer les signes déjà visibles du déclin structurel des combustibles fossiles et de miser sur les gains de compétitivité des coûts des technologies grand public comme la production d’électricité renouvelable, les véhicules électriques ou les pompes à chaleur résidentielles et industrielles.

Les révolutions technologiques sont exponentielles, pas linéaires. Il est temps de s’aligner.

A lire aussi...