L’initiative Bitcoin qui vient d’être lancée pourrait déboucher sur la constitution de réserves en bitcoins à la Banque nationale suisse, à côté de l’or. Si cette initiative est acceptée, le franc se verrait renforcé, ajoutant une dimension numérique s’inscrivant dans le sens de l’histoire.
Pour bien saisir l’importance de cette initiative, nous nous intéressons à la force du franc, au rôle de l’or comme actif de réserve monétaire et au rôle complémentaire et nouveau que le bitcoin pourrait jouer.
Un franc fort
L’or des banques centrales fascine même si le lien entre la valeur d’une monnaie et l’or n’existe plus depuis la fin des accords de Bretton Woods en 1971. En Suisse, c’est au tournant du millénaire que la Banque nationale suisse (BNS) a définitivement coupé tous les liens entre le franc et le métal jaune. Elle en a vendu 1'300 tonnes, plus de la moitié de ses réserves. Pourtant, elle en possède toujours un peu plus de 1'000 tonnes et n’a pas l’intention de s’en débarrasser.
Depuis début 2000, le franc suisse s’est apprécié fortement vis-à-vis de l’ensemble des devises tant en terme nominal que réel comme l’illustre le graphique ci-dessous. Le franc est reconnu et apprécié internationalement pour sa stabilité dans le temps et sa valeur refuge durant les périodes de stress.
La force du franc est ainsi le résultat d’une politique monétaire réussie avec une inflation faible, combinée à une stabilité des institutions, une neutralité politique, une industrie d’exportation compétitive et un centre financier mondial bien établi.
Les quelques 1'000 tonnes d’or dormant dans les coffres de la BNS n’expliquent donc pas le renforcement du franc ces 25 dernières années. Pourquoi donc en conserver et pourquoi ajouter du Bitcoin?
Oui à l’or
Le rôle de l’or comme monnaie de réserve internationale est sous-estimé aujourd’hui car nous jouissons d’une longue période de paix et de prospérité que seuls les plus de 80 ans savourent pleinement. Depuis quelques années, des guerres éclatent dans notre voisinage proche et des tensions se créent un peu partout dans le monde.
Une guerre est une rupture de confiance et sans confiance les moyens de paiements traditionnels ne sont plus acceptés. L’or est un moyen de paiement alternatif, un moyen d’échange ultime entre les pays et entre les personnes lorsque le système financier ne fonctionne plus. Il est la devise internationale de dernier recours, offrant à ses détenteurs une assurance financière unique. Pour une banque centrale, c’est un gage de stabilité ultime.
Oui au Bitcoin
Il existe de nombreuses similitudes entre le bitcoin et l’or, c’est pourquoi il est souvent qualifié d’or numérique. Ces deux actifs ne peuvent être manipuler, sont en quantité finies et…fascinent. Ces caractéristiques ne sont cependant pas suffisantes. Les diamants cochent également toutes les cases sans pour autant apparaître au bilan de banques centrales.
Ce qui fait de l’or et des bitcoins des actifs de réserve au sens de la politique monétaire est leur rôle monétaire. Ce sont des actifs divisibles, fongibles, internationalement acceptés, et «hors système».
Cette notion de hors système porte le nom d’outside money en anglais et c’est elle qui confère au Bitcoin et à l’or leur statut d’actif monétaire de réserve. Ils sont hors système car leur valeur n’est pas au passif d’un acteur de ce système comme le montre l’exemple ci-dessous.
Lorsque quelqu’un vous vire cent francs, vous voulez être sûr que le payeur possède cette somme et que la banque dépositaire est solvable, vous ne contrôlez pas la qualité des francs que vous recevez. Dans le cas de l’or et des bitcoins, c’est différent. Lorsque quelqu’un vous transfert l’équivalent de cent francs, vous contrôler la qualité de l’or et du Bitcoin, et non pas qui vous le transfert, ni l’intermédiaire. Alors que le premier transfert est basé sur la confiance entre les parties, le second ne l’est pas, il est basé sur la qualité de l’actif. C’est cette caractéristique qui donne à ces deux actifs le statut de réserve monétaire car ils conservent leurs valeurs en cas de rupture de confiance et sont donc indépendantes du système financier.
Ces deux actifs sont donc bien des réserves monétaires. Ils assoient le franc dans le système financier global grâce à un ancrage en dehors de celui-ci. Ils offrent à la BNS, en plus du rôle historique de l’or, un atout numérique unique pour répondre aux défis géopolitique et numérique à venir.
Conclusion
Avec l’initiative Bitcoin, la BNS a l’occasion d’amarrer solidement le franc a un deuxième point d’ancrage, lui conférant une grande stabilité dans les épisodes les plus mouvementés. Avec cet ancrage physique et numérique, le franc suisse consolide sa position de valeur refuge, ajoute une nouvelle dimension à sa devise et se projette dans l’avenir pour répondre aux prochains défis.