Construction de portefeuilles et risques extrêmes

Guillaume Lasserre, Lyxor Asset Management

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Lors de la construction d’un portefeuille l’on se doit de prendre en compte tous les scénarios de risques, même les plus extrêmes.

A chaque crise ses spécificités, et celle-ci ne fait pas exception. Amplitude des mouvements, sur des périodes de temps resserrées, forte volatilité et comportement non-usuel de certains actifs sont autant de particularités observées.

Les actifs financiers ont été très fortement chahutés par la propagation du COVID-19 dans le monde et les mesures de confinement prises pour la contrer. L’asséchement des liquidités et l’incertitude radicale générés par la pandémie ont entraîné une volatilité importante. La volatilité implicite (VIX) a atteint des niveaux similaires à ceux observés durant la faillite de Lehman Brothers, une période qui symbolise un stress extrême pour les marchés. La baisse du prix des actifs a été d’une ampleur inédite dans sa rapidité, plus encore que lors de la Grande crise financière de 2008. Entre le 19 février et le 23 mars dernier, les marchés actions européens ont abandonné 35%, les actions américaines 34%, le high yield (haut rendement) européen 20% et le high yield américain 22%.

Des comportements de marché inhabituels

La forte volatilité observée sur les marchés n’est pas étonnante, compte tenu de l’ampleur des incertitudes auxquelles est confrontée l’économie mondiale dans cette crise d’une nature inédite. Certains ont été surpris par le comportement non-usuel de certains actifs, y compris sur des segments traditionnels. Nous avons ainsi assisté à une asymétrie des comportements qui a contribué à magnifier le bêta de certains actifs (à savoir la sensibilité d’un actif ou d’une classe d’actifs à une autre). Cela a été particulièrement vrai sur le segment du crédit high yield, ce dernier étant en effet très exposé dans cette crise. Ce type de mouvement d’amplification se retrouve également dans d’autres type d’investissement, comme les stratégies vendeuses de volatilité ou certaines primes de risque alternatives.

La rareté d’un événement ne doit pas pour autant
conduire à son exclusion des scenarios de gestion.

En conditions normales de marché, le bêta du high yield, c’est à dire sa sensibilité par rapport à l’évolution des marchés actions, est de l’ordre de 20%, soit sa moyenne historique au cours des 14 dernières années. Les chiffres exacts sont de 17% pour la zone euro, signifiant ainsi que lorsque le marché actions européen progresse de 1%, le high yield européen gagne en moyenne 0,17%. La même analyse s’applique aux marchés américains, sur la base d’une sensibilité de 26%: 1% de hausse sur les actions s’y traduit donc par une progression de 0,26% pour le high yield.

Aux pires moments de cette crise, les chiffres ont été de 2,5 à 3,3 fois supérieurs à ces moyennes. Concrètement, nous avons assisté à la survenue d’un bêta magnifié à la baisse, porté à 57% dans la zone euro et 65% sur les marchés américains. Ce phénomène d’asymétrie avait déjà touché les marchés pendant la crise de 2008, mais de tels niveaux sont rarement atteints et sont peu présents dans les données analysées par les opérateurs de marchés.

La rareté d’un événement ne doit pas pour autant conduire à son exclusion des scenarios de gestion. La résistance de nos portefeuilles aux secousses brutales et aux comportements non-usuels des actifs s’explique par le fait que nous intégrons par défaut les risques extrêmes lors de la construction de portefeuille, quelles que soient, à ce moment-là, les conditions de marché.

Deux principes pour gérer les risques extrêmes

En effet, lorsque nous dimensionnons nos portefeuilles en utilisant notamment des règles de budgétisation des risques, ces derniers sont intégrés à plusieurs niveaux.

La volatilité tout d’abord, outil de mesure classique, mais aussi la corrélation entre les actifs, afin de ne pas porter des risques qui seraient similaires. Mais nous tenons compte aussi de la nature intrinsèque du risque porté par chaque actif et notamment de son comportement en scénario de marché stressé (risque extrême).

La crise actuelle diffère de celle de 2008 au regard
de l’amplitude de la dislocation des marchés dans le temps.

Dès lors que le risque extrême, par nature, ne s’exprime pas en conditions de marché normales, cela se traduit en première approximation par l’ajout volontaire d’un forfait de risque. Nous calibrons ainsi à l’aide de données historiques ce surplus de risque spécifique. 

Sur le crédit, celle-ci est importante, car nous savons qu’il peut être très fortement pénalisé durant les crises du fait d’un risque élevé de faillite et de problématiques de liquidité. A titre d’illustration, imaginons qu’en temps normal, le risque calculé soit de 3 sur les obligations souveraines, de 4 sur les obligations d’entreprise et de 15 sur les actions. Sur la période récente, ces chiffres peuvent monter à 6 sur les obligations souveraines, 20 sur le crédit, et 30 sur les actions. Lorsque l’on atteint un tel seuil, notamment sur le crédit, il est déjà trop tard pour protéger son portefeuille.

Voilà pourquoi nous allouons d’emblée un budget de risque supplémentaire, tenant compte de ces scénarios stressés. En quelque sorte, ce forfait s’assimile à une assurance qui prendrait toute sa valeur lorsque le scénario de risque extrême se matérialise. Cette prime additionnelle est déterminée en grande partie en fonction de statistiques historiques observées au cours des crises majeures, tout en gardant en mémoire que les crises ne sont jamais similaires. La crise actuelle diffère ainsi de celle de 2008 au regard de l’amplitude de la dislocation des marchés dans le temps, la baisse s’étant effectuée sur un temps beaucoup plus court.

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