Comment vaincre une malédiction?

Fredy Hasenmaile, Raiffeisen

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L’analyse est essentielle, car retenter toujours la même chose et espérer une issue différente constitue la définition de la folie selon Albert Einstein.

Cela fait des années que la Suisse fait partie de l’élite mondiale du hockey sur glace. Alors qu’autrefois les victoires contre l’une des grandes nations de ce sport étaient rares, on s’est habitué à ce que la Suisse parvienne de temps en temps à les faire chuter. Simplement, l’équipe suisse n’a pas été en mesure de convertir ses progrès en succès quantifiables. Une médaille d’argent en 2018 représente le seul trophée obtenu jusqu’aux championnats du monde de cette année. Pourtant l’équipe a fait preuve de courage et s’est régulièrement montrée convaincante dans la phase de groupe. Mais lorsque les choses sérieuses ont commencé en quart de finale, l’équipe suisse n’a plus été en mesure de renouer avec ses performances précédentes.

Toute cette histoire menaçait littéralement de se transformer en hypothèque. Depuis 2019, la Suisse a échoué quatre fois de suite en quart de finale. Une fois ce n’est rien, deux fois c’est le hasard, trois fois c’est un schéma et quatre fois c’est une malédiction. Autant dire que cette série noire a commencé à faire des dégâts dans les esprits. Il n’y a pas d’autre explication à la prestation timorée de l’équipe en quart de finale il y a un an contre l’Allemagne.

Après une phase de groupe quasi parfaite, les bookmakers voyaient dans la Suisse le favori évident avec une cote de 1:5. Mais le match était placé sous le signe d’une mauvaise étoile. Dès le deuxième tir, le palet glissait dans le but par-dessus le protège-tibia droit du gardien suisse Robert Mayer. Même un surnombre durant la deuxième période n’a pas été mis à profit et la Suisse a encaissé un but en désavantage numérique. Alors que l’on pouvait encore mettre l’une ou l’autre élimination en quart de finale sur le compte de la malchance, par exemple l’égalisation des Canadiens 0,4 seconde avant le coup de sifflet final en 2019, la passivité surprenante lors des derniers quarts de finale était un signe de blocage mental croissant et de perplexité. On avait déjà perdu contre la bête noire Allemagne en 2021 aux penalties, après avoir subi une égalisation 44 secondes avant la fin.

Comme si le sort avait voulu donner l’opportunité à la Suisse de chasser les fantômes du passé, l’adversaire de cette année en quart de finale était une fois de plus l’Allemagne. Revivre le même drame au plan mental et ne pas s’effondrer une nouvelle fois peut permettre d’en guérir. La Suisse était donc confrontée au test ultime de maturité. On avait sans doute tiré les bonnes conclusions des défaites passées, accompli un gros travail au plan mental et fait appel à un coach mental spécialement à cet effet. Mais le mental est et reste une boîte noire et un animal farouche. Avec Genoni dans les buts, la partie a bien débuté et le score de 2:0 était mérité. Mais dans la deuxième période, la Suisse a perdu le fil et risquait de retomber dans ses vieux travers. Une nouvelle fois, l’égalisation a été consentie aux Allemands. Par moments, la Suisse était à côté de la plaque. Les fantômes du passé frappaient à la porte. Le drame aurait pu se reproduire.

En 2023, on menait également 2:0. Se focaliser sur l’instant, telle fut la réponse mentale des Suisse à la malédiction du passé. Seul l’instant compte récitait-on sans cesse avant la rencontre. Tout ce qu’il y avait avant et qu’il pourrait y avoir après est scrupuleusement occulté. C’est ainsi que les Suisses se donnèrent à fond dans toutes les phases de jeu et s’encouragèrent mutuellement pour ne pas se remettre à ruminer. Le salut est venu avec le tir de Bertschy dans le but vide des Allemands une minute avant le coup de sifflet final. A cet instant, le poids du monde entier a semblé glisser des épaules des responsables de la fédération. La pression était en effet énorme pour eux comme pour les joueurs.

Habituellement dans le sport, c’est l’entraîneur qui fait les frais en cas d’échec. Le remplacement de l’entraîneur est un tournant et offre l’opportunité d’écrire un nouveau chapitre. Durant la saison 2023/2024, le rendement en termes de points par match après un changement d’entraîneur est par exemple passé de 0,38 à 1,45 dans la Bundesliga allemande, pour neuf changements d’entraîneurs. L’entraîneur émérite Patrick Fischer qui avait permis à la Suisse de tutoyer les sommets mondiaux avait été fortement remis en question, en raison de la frustration collective face aux échecs répétés en quart de finale entre 2019 et 2023. Si cela n’avait tenu qu’aux médias, un autre entraîneur se tiendrait aujourd’hui à la bordure des Suisses. Mais Lars Weibel, le directeur sportif de la fédération de hockey sur glace lui a maintenu sa confiance, même lorsque l’équipe nationale a encaissé 13 défaites consécutives au printemps de cette année. Après la onzième défaite, il a même prolongé le contrat de l’entraîneur jusqu’en 2026. Une décision courageuse. Mais pas uniquement, car l’équipe avait évolué malgré les revers et un jour même les dieux du hockey sur glace devraient entendre raison. Mais il n’y a pas de garantie, a fortiori dans le sport. On ne peut s’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer si l’Allemand Kahun n’avait pas frappé le poteau alors que le score était de 2:1.

Quels enseignements peut-on tirer de ce récit sportif? Il ne faut pas se laisser troubler par les revers. Il faut analyser correctement les défaites, en tirer les bonnes conclusions et poursuivre. Même si le mauvais sort semble s’acharner et que l’on prend des coups. Un jour, l’opiniâtreté finit par payer. L’analyse est essentielle à cet égard, car retenter toujours la même chose et espérer une issue différente constitue la définition de la folie selon Albert Einstein. Sur la base de l’analyse, il s’agit par conséquent de modifier quelques petits rouages, de procéder à des ajustements et ensuite de se fier au destin. Il y a une forme d’équité dans le sport, mais aussi dans d’autres domaines. Et le succès requiert aussi toujours une petite dose de chance. C’est ainsi qu’une fois de plus l’équipe nationale de hockey sur glace n’a pas réussi à sauver son avance sur la durée dans la demi-finale face aux Canadiens, mais au moins a-t-elle pu l’emporter aux penalties, comme déjà précédemment contre la Tchéquie dans la phase de groupe. Mais en finale, la chance était épuisée.

Un Patrick Fischer visiblement déçu a ainsi déclaré: «Nous continuons!»

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