Pourquoi les paysans vont sauver le monde?

Présélection prix Turgot

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Sylvie Brunel, Editions Buchet Chastel.

Sylvie Brunel est géographe après avoir milité dans l’ONG Action contre la faim.

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
J.-J. Pluchart

L’auteure rappelle certains fondamentaux oubliés dans le débat public. «Les terres cultivées n'occupent que 12% des terres émergées libres de glaces et seulement 2% de ces terres sont cultivées intensivement». Pour produire les 3,5 milliards de tonnes de céréales nécessaires aux 10 milliards d’humains des années 2050, «il faudra augmenter la productivité de 14% par décennie». La faim n'a pas disparu: «Près d'un milliard de personnes en souffrent toujours dans le monde. Et en France, 9 millions de pauvres n'ont pas les moyens de faire trois repas corrects par jour»...  L’auteure dénonce ceux qui stigmatisent l'agriculture française -  la «plus performante du monde» - pour promouvoir une filière bio coûteuse en aides publiques, exigeante en main-d'œuvre introuvable et «produisant des denrées qui n’ont pas encore démontré qu’ils sont meilleurs pour la santé»… Elle soutient que le bio a sa place dans les campagnes, mais seulement pour valoriser de petites surfaces. Elle pose des questions dérangeantes: pourquoi opposer les modèles? Quels sont les limites des circuits courts? Quels sont les avantages alimentaires du bio? Comment prévenir le retour de contaminations ou de pénuries? Comment mieux protéger les sols, la biodiversité, l'eau? Dénonçant l'agribashing, elle plaide pour une agriculture diverse, responsable et surtout, productive.

En réalité dans cette actualité douloureuse, à l’heure des comptes qui ne manquera pas d’arriver, c’est moins le principe du protectionnisme que sa mise en œuvre (au cours de l’histoire et particulièrement ces derniers temps), de façon inappropriée, belliqueuse et brutale, qui est en cause. La conviction de l’auteur reste que le protectionnisme, et son avatar français «le patriotisme économique», bien circonscrit et maîtrisé, peut apporter sa pierre dans la nécessaire sérénité qu’exigerait la réforme des règles du jeu d’un commerce international aujourd’hui bien fragilisé.

Le plus important dans ce contexte est de prévenir «le grand désordre» et les tensions qui résultent des intérêts des groupes géopolitiques dominants au mépris de l’intérêt général. Tout reste cependant ouvert et rien ne garantit une conversion systématique de l’Amérique au protectionnisme pas plus qu’un ralliement durable de la Chine aux pratiques du libre-échange en renonçant de facto à la surveillance pointilleuse qu’elle porte sur son commerce extérieur (et de son marché intérieur…).

Que peut-on espérer d’une réforme de l’OMC et de la place de l’Europe dans ce nouveau jeu mondial ou les nations, les plus protectionnistes, avançaient masquées, drapées dans l’hypocrisie d’une fausse adhésion au libre-échange, car «pensée à sens unique»? Il reste encore de nombreuses questions en suspens que l’auteur éclaire avec son expérience assez exceptionnelle pour «combiner raisonnablement protectionnisme et échange international» en proposant une «décantation intellectuelle» stimulante.