Une baisse des taux en juin reste improbable du côté de la Fed

Yves Hulmann

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Selon Daniel Morris, stratège en chef de BNP Paribas AM, la banque centrale pourrait abaisser ses taux en septembre mais elle n’a pas envie de donner l’impression qu’elle soutient un camp ou un autre.

Le mois de juin sera crucial pour les décisions en matière de politique monétaire qui seront communiquées par les banques centrales, aussi bien du côté de la Fed que de la BCE. Comment analyser la situation au regard des dernières statistiques et tendances concernant l’inflation, la croissance et l’évolution du marché du travail? Le point avec Daniel Morris, stratège en chef (Chief Market Strategist) chez BNP Paribas Asset Management.

Différents scénarios se sont succédés au sujet de la conjoncture américaine pour la suite de l’année 2024. Quelles sont selon vous les probabilités de survenance d’une récession, d’un atterissage en douceur ou, au contraire, d’une réaccélération de la croissance en seconde moitié d’année?

En ce qui concerne une éventuelle récession, la probabilité d’un tel scénario est désormais jugée très faible. Quant à savoir s’il faut s’attendre ou non à un atterrissage en douceur, la tendance de croissance à long terme de l’économie américaine se situe à 1,8%, alors que la Fed anticipe désormais une croissance du PIB aux Etats-Unis de 2,1% pour 2024, selon ses prévisions publiées à fin mars. En d’autres termes, la Fed anticipe maintenant aussi un atterrissage en douceur. S’agissant de nos prévisions pour 2024, BNP Paribas Asset Management prévoit une croissance du PIB aux Etats-Unis de 2,8%. Nous sommes dès lors plus optimistes concernant la croissance de l’économie américaine que la Fed.

Qu’en est-il des attentes concernant l’inflation?

A ce sujet aussi, on peut observer que la Fed a légèrement réhaussé sa prévision d’inflation aux Etats-Unis à 2,6% pour l’année 2024 concernant l’indice PCE, contre 2,4% précédemment. S’agissant de la composante de base de cet indice («core PCE»), celle-ci est estimée à 2,8% en mars. On est donc bien au-dessus de l’objectif de 2% tel qu’il est visé par les banques centrales. Quelle que soit la statistique d’inflation utilisée, la Fed a de bonnes raisons de se montrer patiente. Elle n’a aucune raison d’agir de façon précipitée.  

Cela signifie-t-il, selon vous, que la Fed pourrait renoncer à abaisser ses taux directeurs lors de sa réunion en juin prochain et reporter sa décision à plus tard?

«La Fed pourrait abaisser ses taux en septembre mais elle a tout sauf envie d’être perçue comme favorisant un candidat ou un autre.»

Une baisse en juin semble très improbable, compte tenu de la persistance récente de l’inflation. Certains acteurs du marché n’anticipent désormais plus que deux baisses de taux, voire moins, en 2024 du côté de la Fed. Nous pensons que la Réserve fédérale américaine devra prendre en considération deux facteurs pour prendre une décision ces prochains mois: premièrement, il s’agira évidemment de tenir compte des données de l’inflation. Deuxièmement, et c’est qui est spécial en 2024, la Fed ne peut pas ignorer qu’il s’agit d’une année d’élection aux Etats-Unis. La Fed pourrait abaisser ses taux en septembre mais elle a tout sauf envie d’être perçue comme favorisant un candidat ou un autre en vue des élections présidentielles de novembre.

Comment analysez-vous la remontée des rendements des bons du Trésor à dix ans au-dessus de 4,6% fin avril? Nous dirigeons-nous à nouveau vers le niveau de 5% comme à l’automne 2023?

Etant donné que l’inflation a été plus élevée que prévu, les prévisions concernant le niveau futur des taux directeurs ont augmenté, d’où la hausse des rendements du Trésor américain. Il n’est pas inconcevable qu’ils reviennent à 5% si l’inflation reste élevée. Les derniers commentaires de la Fed ont toutefois été un peu plus pessimistes que prévu.

Qu’attendez-vous du côté de la BCE au cours des prochains mois?

Nos attentes portent sur une baisse de taux de 125 points de base (5 réductions de taux) pour la BCE, comparé à 25 points de base (1 réduction) du côté de la Fed. Une certaine hésitation est perceptible aussi du côté de la BCE car, comme c’est le cas pour d’autres banques centrales, personne n’a envie de réduire ses taux dans un premier temps avant d’être ensuite obligé de les remonter.

La décision de la BNS de réduire une première fois ses taux directeurs d’un quart de point (25 points de base) en mars à 1,5% a-t-elle «ouvert la brèche» pour d’autres banques centrales ou s’agit-il d’un cas isolé?

Non, je pense que la Suisse constitue davantage l’exception que la règle sur ce plan. Tout au long de la phase de forte inflation, la Suisse a été dans une situation spéciale, notamment grâce à la force du franc qui a contribué à réduire les coûts de ses importations, limitant du même coup la hausse des prix.  

Au sein de la zone euro, la forte divergence des taux de croissance entre des pays comme l’Allemagne, dont l’économie stagne, et d’autres pays comme l’Espagne qui croissent plus rapidement actuellement, ne rend-elle pas la tâche beaucoup plus difficile pour la BCE?

Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation apparaît même si, au début de la dernière décennie, c’était plutôt l’inverse qui était vrai. Maintenant, en ce qui concerne l’Allemagne, la croissance du PIB est certes effectivement quasi nulle – néanmoins, le marché du travail outre-Rhin demeure relativement solide et la consommation reste stable. De plus, les chiffres du premier trimestre ont été supérieures aux prévisions. Donc, on ne peut pas simplement dire que tout va mal en Allemagne.

«Le marché du travail outre-Rhin demeure relativement solide et la consommation reste stable. Donc, on ne peut pas simplement dire que tout va mal en Allemagne.» 

A mon avis, le dilemme pour la Banque centrale européenne est plutôt que si la Fed n’abaisse pas ses taux en juin, la BCE pourrait alors être plus restreinte en ce qui concerne le niveau jusqu’au quel elle peut aller en réduisant ses taux directeurs. 

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