Les obligations d’entreprises (IG) des marchés émergents en monnaies fortes sont dans une situation particulière. C’est en marché caractérisé par un effet de rareté. Il est difficile de trouver des obligations à acheter, affirme Warren Hyland, gérant spécialisé dans le crédit d’entreprises des pays émergents en monnaies locales pour Muzinich. Quant au haut rendement, sa performance est surprenante en 2024. Est-ce une classe d’actifs à redécouvrir?
Le gérant Muzinich couvre l’ensemble de l’univers de la dette d’entreprises émergentes, des mieux notées aux plus risquées, et de toutes les régions du monde. L’asset manager dispose de trois stratégies principales. L’une porte sur les opportunités de crédit en Asie. Les autres stratégies sont globales et consacrées l’une à des titres à courte duration qui vise à préserver le capital, et l’autre, également globale, veut offrir des gains en capital sur l’ensemble des durations. L’équipe de sept gérants est répartie entre Londres et Singapour pour environ 3,5 milliards de dollars au total (70% IG et 30% à haut rendement). Warren Hyland répond aux questions d’Allnews:
Quels ont été les principaux événements rencontrés dans la dette d’entreprises émergentes en monnaies fortes cette année?
Le principal événement est positif. Il est venu de la synchronisation des baisses de taux d’intérêt dans le monde. Les pays émergents ont d’ailleurs initié cette tendance avant les pays industrialisés. La baisse des taux a renforcé les liquidités et soutenu la conjoncture des marchés émergents. Les facteurs négatifs sont tous liés aux problèmes géopolitiques.
«La dette à haut rendement des pays émergents a présenté une meilleure performance que la dette correspondante en Europe et aux Etats-Unis.»
Quelle a été la performance de ces marchés en 2024?
La dette à haut rendement des pays émergents a présenté une meilleure performance que la dette correspondante en Europe et aux Etats-Unis.
Dans la catégorie Investment Grade (IG), la dette émergente arrive également en tête.
La situation est assez paradoxale. Habituellement lorsqu’une classe d’actifs arrive en tête, tout le monde a envie d’en parler et d’y investir. Mais tel n’a pas été cas pour la dette émergente. Les afflux de fonds se font au compte-goutte.
Et en termes absolus?
Le rendement s’élève à 11,1% en dollars pour le haut rendement (du début de l’année au 27 septembre), contre 7,7% pour le haut rendement américain. Le rendement de la dette émergente IG atteint 6,2% contre 5,7% pour la dette IG américaine.
Quels ont été les moteurs de cette performance?
Le modèle tend à se répéter avec les années: un rallye qui intègre tous les secteurs se met en marche après avoir dépassé le pic de défauts de paiements. Dans le haut rendement, les dix meilleures performances proviennent de neuf différents pays de huit différents secteurs.
Toute la dette qui devait faire défaut l’a fait. Toute celle qui devait être restructurée l’a été. Toutes les notations qui devaient être abaissées l’ont été. L’univers de la dette émergente a été nettoyé. Il s’en est suivi un rallye significatif.
Des facteurs fondamentaux ont également soutenu le marché, comme la baisse des taux d’intérêt des banques centrales, l’ouverture de certains marchés des capitaux, la hausse des matières premières. Après avoir intégré des risques excessifs, le marché a procédé à une normalisation cette année.
Dans la dette IG, un autre facteur est intervenu, à savoir l’absence d’obligations disponibles pour les investisseurs. L’univers de titres a diminué de 65 milliards de dollars. Pour les entreprises asiatiques, il était moins coûteux d’émettre des obligations en monnaies locales. Les plus grands acheteurs de dette IG sont les grands assureurs et les plus grands fonds de pension asiatiques mais ceux-ci ont été sevrés de placements obligataires IG.
Quelles sont vos principales convictions sur ces deux segments en ce moment?
Après le plan de relance chinois, le haut rendement chinois marche très fort. Il reste à savoir si le mouvement sera durable. Il est vrai que la deuxième partie du stimulus annoncé par Pékin dépasse les attentes du marché. Ce programme aura un effet positif et devrait stabiliser la croissance économique en Chine.
En tant que gérant sur les marchés émergents, je suis optimiste par nature. J’ai toutefois le sentiment qu’il existe une grande incertitude en ce moment et qu’en même temps il est difficile de dénicher des placements que chacun pourrait qualifier de bon marché. Tout le monde choisit les mêmes idées de placement. Cela m’amène à devenir plus prudent et plus conservateur.
Comme exprimez-vous cette prudence accrue?
Pour la partie à haut rendement, nous préférons une courte duration. Nous ne sommes pas exposés aux marchés «frontiers» et sommes sous-exposés aux titres «B». Nous voulons des obligations à un ou deux ans avec une notation «BB» profitant d’un flux de cash-flow certain jusqu’à l’échéance. Cela paraît ennuyeux mais nous obtenons un meilleur rendement de la sorte.
Et dans la dette IG?
Dans la dette IG, nous aimons la duration dans l’anticipation que les banques centrales baissent les taux à un niveau neutre. Le risque se limite à celui d’attendre un peu plus longtemps avant un abaissement mais pas de craindre une hausse des taux. Nous aimons surtout la duration à 7 ans. La dette à plus long terme est trop dépendante d’événements politiques portant par exemple sur la discipline budgétaire, ce qui accroît la volatilité. Il est même possible que nous assistions une plus grande pentification de la courbe de taux.
«Sur le plan des secteurs, nous privilégions les matières premières, lesquelles devraient être ‘plus hauts plus longtemps’».
Sur le plan des secteurs, nous privilégions les matières premières, lesquelles devraient être «plus hauts plus longtemps». Certains métaux tels que le cuivre et le zinc présentent de tels déséquilibres qu’il en résulte de réelles opportunités. Et nous ne craignons guère un recul du pétrole par rapport au niveau actuel. L’or noir est proche de sa juste valeur.
Nous aimons aussi les banques en Europe de l’Est et investissons dans les thèmes tels que l’intelligence artificielle, à travers des entreprises de semi-conducteurs en Asie, et les véhicules électriques, par l’intermédiaire de producteurs de batteries, ainsi que les énergies renouvelables, par exemple en Inde et en Amérique latine.
Quelle est votre estimation du risque de récession aux Etats-Unis?
Le risque d’une récession est sans doute plus élevé que celui d’une hausse de l’inflation. Les taux d’intérêt devraient baisser pour atteindre un niveau neutre. C’est pourquoi je préfère les durations longues.
Le plus grand problème est lié à la normalisation de la courbe de taux. C’est pourquoi nous nous appuyons sur la moyenne à long terme de la courbe de 2 à 30 ans (écart de 150 points de base, contre 50 points de base aujourd’hui). Donc le long terme devrait être encore 100 points de base plus haut. En résumé, il est possible de gagner de l’argent avec la duration.
Est-ce que vous avez des positions dans des pays en grandes difficultés comme l’Argentine ou la Turquie?
Nous avons une opinion assez favorable à l’égard de la Turquie. Les déséquilibres ont débuté en 2008 et se sont aggravés par la suite jusqu’aux élections de 2023, avant d’assister à un retournement. J’estime que la Turquie a réalisé 50% du chemin qui la conduira à l’équilibre macroéconomique. Les taux directeurs sont positifs en termes réels. Le déficit de la balance courante est au plus bas depuis longtemps. Les réserves de change nettes redeviennent positives. Nous sommes constructifs à l’égard de la Turquie et réfléchissons à l’ajout de positions pour y devenir surpondérés.
Nous ne sommes pas aussi favorables à l’égard de l’Argentine. Elle n’a réalisé que 10% de l’ajustement nécessaire. La situation est beaucoup plus compliquée qu’en Turquie. La monnaie ne dévalue pas assez vite. Le pays est en récession depuis deux ans et l’inflation reste très élevée. Je croise les doigts pour que le gouvernement mène ses réformes à leur terme mais cela sera très difficile.
Est-ce que votre classe d’actifs profite d’afflux de fonds?
La collecte de fonds se fait au compte-goutte, avec une augmentation à partir d’août dernier, laquelle a succédé à une décollecte pendant deux années. Les investisseurs chassent les rendements.
On observe toutefois un regain de demandes d’investisseurs qui cherchent à s’y intéresser. Il faudra peut-être attendre le résultat des élections présidentielles américaines avant que les marchés émergents profitent d’un fort afflux de fonds.
Est-ce qu’ils profiteraient d’une victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump?
Une victoire de Kamala Harris serait plus favorable dans la mesure où Donald Trump apporterait une plus grande incertitude et serait plus agressif dans son plan de relèvement des droits de douane.