Prudence envers les actions en 2024

Yves Hulmann

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Nicola Mai, gestionnaire de portefeuille chez PIMCO, favorise les obligations en raison de leurs rendements attractifs combinés à une volatilité plus faible attendue.

La semaine sera riche en actualité au sujet de politique monétaire. Si l’on se projette au-delà, que faut-il attendre pour 2024 sur le plan de la croissance, des taux d’intérêt et de la monétaire qui sera menée par les banques centrales? Le point avec Nicola Mai, gestionnaire de portefeuille et analyste du crédit souverain chez PIMCO à Londres.

Concernant d’abord l’évolution de la conjoncture aux Etats-Unis en 2024, quel est le scénario que vous privilégiez : faible croissance, ralentissement de l’économie, récession?

Dans l’ensemble, l’économie américaine a fait preuve d’une grande résilience jusqu’ici. Cette résilience a toutefois peu de chances de durer. Jusqu’à présent, l’économie a bénéficié d’importants soutiens sur le plan budgétaire – l’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis n’en constitue qu’un exemple. L’an prochain, la politique budgétaire américaine devrait passer d'une phase d'expansion à une phase de contraction, alors que des anciens facteurs, qui avaient contribué à stimuler l’économie jusqu’en 2023, vont commencer à perdre de leur effet. C’est le cas, par exemple, de l’excédent d’épargne accumulé par de nombreux ménages durant la pandémie de Covid – ces économies vont continuer de fondre au cours des prochains trimestres au fur et à mesure que l’inflation érode leur valeur réelle. C’est pourquoi, je pense que l’économie globale s’oriente vers un environnement stagnation ou de récession modérée.

«Nous nous attendons à des baisses de taux à partir du milieu de 2024.»
En Europe, c’est déjà le cas. Qu’attendez-vous pour la conjoncture sur le Vieux Continent l’an prochain?

La croissance va probablement continuer de rester faible en Europe l’an prochain, tout comme ce sera le cas aux Etats-Unis. D’une certaine manière, on peut dire que les Etats-Unis vont davantage ressembler à l’Europe en 2024.

La Chine pourra-t-elle être d’un quelconque secours pour la croissance mondiale l’an prochain?

Pas vraiment. La croissance chinoise pourrait s'accélérer à nouveau à partir de maintenant, mais elle restera probablement faible compte tenu de la correction en cours du marché immobilier.

Comment expliquer l’enthousiasme des marchés boursiers depuis novembre? Les investisseurs en actions ne «célèbrent»-t-ils pas de façon prématurée la perspective d’une possible baisse des taux de la part des banques centrales en 2024, sans se préoccuper des implications sur les résultats des entreprises si un scénario de récession devait se concrétiser en 2024?

Les marchés se réjouissent de la baisse de l’inflation, qui est une réalité. La désinflation évolue dans la bonne direction et cela partout dans le monde. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le fait que le dernier mile à parcourir est souvent le plus difficile – c’est aussi le cas en politique économique. Même si l’inflation a continué de baisser aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, on n’est pas encore arrivé en dessous du seuil des 2% souhaité par les banques centrales.  

Plus encore que les chiffres de l’inflation, les investisseurs suivent aussi de très près l’évolution de l’emploi aux Etats-Unis – y a-t-il un risque que les salaires continuent de progresser trop fortement en raison de la bonne tenue du marché du travail?

Dans l'ensemble, le marché du travail américain semble se refroidir, mais cela reste graduel, ce qui laisse penser que la Fed restera prudente quant à l'assouplissement de sa politique à court terme.

Peut-on partir du principe que les taux directeurs des banques centrales ont déjà atteint leur plus haut et que les premières baisses de taux ne sont qu’une question de quelques mois?

On peut effectivement affirmer que les taux d’intérêt ont déjà atteint leur sommet, et cela globalement. Maintenant, la question qui continuera de se poser au cours des prochains mois est celle de savoir si les taux directeurs des banques centrales resteront à un niveau élevé pendant plusieurs mois tout au long de 2024, sur le mode «higher for longer», ou s’ils évolueront en forme de cloche, à savoir que le pic, qui a déjà été atteint, sera suivi d’une baisse rapide des taux déjà durant la première moitié de l’an prochain.

«Je pense que les marchés boursiers sont un peu complaisants en ce moment.»
Et quel est votre pronostic à ce sujet?

Nous nous attendons à des baisses de taux à partir du milieu de 2024. Au cours des prochains mois, les grandes banques centrales comme la Fed et la BCE vont continuer d’agir prudemment et elles éviteront de déclarer trop tôt la victoire sur l’inflation.

Dans un commentaire de marché daté d’octobre, PIMCO relevait qu’un «atterissage en douceur de l’économie serait une anomalie». Pourquoi?

Une équipe d’analyste a passé en revue environ 140 cycles de resserrement des taux depuis le siècle dernier. Il en ressort que lorsque des banques centrales ont relevé plus de 400 points de base leur taux directeurs durant un cycle, il n’y a eu ensuite que très peu d’atterrissages en douceur. Ce n’est pas un pronostic en tant que tel mais une observation sur une longue durée. Nos perspectives de croissance pour 2024 se situent à mi-chemin entre la stagflation et une récession modérée.

Qu’attendez-vous pour les obligations en 2024?

Nous sommes confiants que l’environnement sera favorable pour les obligations en 2024. Cela pour plusieurs raisons. Premièrement, les taux partent d’un niveau élevé, ce qui créée de bonnes conditions pour obtenir des rendements dans le domaine des produits à revenu fixe. Deuxièmement, aussi bien la croissance que l’inflation ont atteint un plus haut – cela nous donne une plus grande visibilité que si ces paramètres divergeraient. Enfin, troisièmement, si un ralentissement de l’économie plus prononcé qu’attendu devait se produire, cela serait positif pour les obligations déjà existantes, car les taux (ndlr: qui évoluent à l’inverse du prix) baisseraient alors plus rapidement.

A l’intérieur de l’univers des obligations d’entreprise, nous préférons les emprunts de qualité investissement (IG) que les obligations à haut rendement (HY).

Et qu’attendez-vous en ce qui concerne les actions?

L'équation est plus compliquée pour les actions. Il faut tenir compte d'un ensemble de facteurs différents qui peuvent avoir des implications contradictoires : si les taux d'intérêt sont plus bas, c’est parce que les prévisions indiquent un ralentissement de l'économie, ce qui implique à son tour des prévisions de bénéfices plus faibles. Il est difficile de dire lequel de ces facteurs pèsera le plus lourd dans la balance. Je pense que les marchés boursiers sont un peu complaisants en ce moment. La baisse des taux pourrait donner un coup de pouce aux actions, qui continuent toutefois d'escompter des perspectives économiques trop optimistes de notre point de vue. Nous sommes prudents à l'égard des actions et préférons les obligations à ce stade, car elles offrent des rendements attrayants et une volatilité attendue plus faible.

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