Une communication de la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP) du 10 octobre dernier irrite profondément une partie des acteurs de la prévoyance. Elle conduit à limiter la rémunération des assurés. La nouvelle limite supérieure est fixée à 3,25% dès à présent grâce à la très bonne évolutions des marchés actuelle. Une première communication avait été publiée à la fin 2023, mais la version corrigée n’arrange rien, indique à Allnews Laurent Schläfli, CEO de Profond et président d’inter-pension. Profond est une fondation collective qui compte 2365 partenaires et 69 140 assurés pour 12,5 milliards de francs d’actifs gérés. L’institution, qui présente un taux de couverture de 112,5% et un taux technique de 2%, est réputée pour son taux de rémunération (3,2% sur 10 ans en moyenne annuelle). Le rendement de ses actifs s’élève à 8,2% cette année à la fin septembre.
D’autres institutions qu’inter-pension sont montées au créneau, comme la plateforme PK Netz crée par les syndicats et c-alm une société de conseil en prévoyance.
L’opposition vient d’annoncer un premier succès. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a accepté vendredi dernier une motion qui demande de supprimer l’article 46 de l’OPP2. La discussion passera au Conseil national lors de la session d’hiver.. En cas d’approbation, le projet retournera au conseil des Etats. C’est finalement le Conseil fédéral qui décidera ou non de supprimer cet article de loi. Laurent Schläfli répond aux questions d’Allnews sur la communication de la Commission de haute surveillance et sur la prévoyance professionnelle:
Comment la Commission de haute surveillance vous affecte-elle?
Le besoin d’augmenter encore plus les réserves limite fortement la rémunération des assurés. Avec la nouvelle communication, il est même possible qu’elle mette en danger l’égalité de traitement entre assurés actifs et retraités si la rémunération devait être fixée en dessous du taux technique.
Or lors de la votation sur la réforme de la LPP, la gauche répétait que les réserves des caisses de pension étaient suffisantes et qu’il était temps, à juste titre, que les assurés profitent des rendements générés.
A quel niveau se situe la barre définie pour les réserves?
La barre est placée à 75% des réserves, lesquelles sont généralement bien dotées dans la prévoyance professionnelle. Le risque serait de réduire les réserves pour accroître la rémunération. Un geste évidemment stupide. Une autre solution, afin d’augmenter la rémunération de l’avoir des assurés, serait de modifier les paramètres pour augmenter le taux de couverture de manière superficielle. La discussion à ce sujet est très vive dans les milieux de la prévoyance. Le plus frappant c’est que les caisses de pension investissent à très long terme et peuvent faire face à des variations de valeur comptable. Le plus important pour les caisses est toujours d’avoir un cash flow positif pour pas devoir se séparer d’actifs au mauvais moment. Les caisses de pension, dans notre pays, sont très bien positionnées à ce niveau.
«En tous les cas, avec un telle décision, beaucoup de caisses seront impactées».
Sur la base de la communication de la Commission de haute surveillance, quelle rémunération auriez-vous pu verser par le passé?
En appliquant celle-ci sur les 6 dernières années, la limite moyenne se serait élevée à 1,6% selon l’analyse faite par c-alm. Quand on sait que le taux minimal LPP est actuellement de 1,5%, il n’y a donc aucune marge de manœuvre à long terme pour les conseils de fondation.
L’objectif d’une telle décision n’est-il pas idéologique et ne réduit-il pas l’attrait du deuxième plier?
Exactement. En tous les cas, avec un telle décision, beaucoup de caisses seront impactées. La question est de savoir ce que feront les autorités de surveillance régionales, car c’est eux les destinataires de cette communication. Je pourrais m’imaginer qu’une caisse de pension puisse aller jusqu’au Tribunal fédéral si une autorité devait mettre en place cette communication, qui n’est pas une directive, autre instrument que la CHS PP possède dans son arsenal.
Ce thème se situe au point de divergence entre une droite qui vise un système plus libéral et une gauche qui cherche à augmenter la rémunération. Le but de la Commission consiste à empêcher qu’une caisse de pension ne prenne des risques démesurés en termes de sous-couverture. Or cette décision n’exerce annuellement pratiquement aucun effet sur le degré de couverture. Ce serait une pire décision que de prendre davantage de risques dans l’allocation des actifs.
A qui profite une telle décision?
Les caisses de pension publiques et les fondations collectives sont touchées, mais pas les caisses de pension autonomes comme celles de Nestlé, Roche ou Novartis. On prend pour hypothèse qu’une caisse propre à l’entreprise ne puisse pas faire faillite, arguant du fait que l’entreprise la couvrirait au besoin. Mais n’oublie-t-on pas que plusieurs entreprises ne se portent pas au mieux? Si leurs caisses de pension étaient en sous-couverture, les entreprises en difficultés auraient-elles les millions nécessaires pour les renflouer? Je refuse d’admettre qu’elles aient toutes les moyens nécessaires.
Entre-temps, Profond doit respecter les nouvelles contraintes alors que nous avons plus de 2000 entreprises partenaires qui seraient à même d’apporter les fonds nécessaires en cas de difficultés de l’une d’elles.
Un fort vent contraire n’est-il pas en train de souffler contre la prévoyance professionnelle, si l’on ajoute l’augmentation de la fiscalité prévue pour les 2e et 3e piliers?
Cette volonté d’imposition accrue contre-dit le besoin d’épargne individuelle et collective. Je suis convaincu qu’une telle mesure ne se matérialisera pas.
Le refus populaire de la réforme de la LPP par le peuple est-il une grave atteinte au 2e pilier?
Ce n’est pas une décision dramatique. Par contre, je m’insurge contre le tristement bas niveau des attaques adressés par les adversaires de la réforme du deuxième pilier. Non, le deuxième pilier n’est pas victime d’instabilité. Non les banques ne sont pas les profiteurs du système. Je répète que le système des trois piliers est une force pour notre pays et fonctionne très bien.
Comment entendez-vous réagir?
Au sein de la plateforme de prévoyance Vorsorgeforum, nous avons décidé de faire appel à des ambassadeurs du deuxième pilier, à savoir des jeunes influenceurs ayant au moins 500 suiveurs et qui sont intéressés par notre système de prévoyance. Nous allons les former aux caractéristiques du système, afin qu’ils en parlent sur les réseaux sociaux avec leurs propres mots. L’image de la prévoyance professionnelle auprès des jeunes et son attrait devraient en profiter.
Il s’agit par exemple de montrer que le 2e pilier n’est pas une cotisation sociale qui arrive en déduction du salaire. C’est une cotisation d’épargne forcée, un pilier majeur de la fortune des individus à la retraite. A l’inverse de l’AVS, un salarié reçoit l’ensemble de l’épargne économisée sans être plafonné et ses cotisations s’ajoutent à celles de l’employeur. Les mots ont un sens. Nous essayons d’améliorer le narratif de la prévoyance. Ces ambassadeurs emploieront leur propre langage et non le jargon des experts pour présenter les atouts du système.
Le besoin d’explication pédagogique est considérable. Trop d’assurés placent des attentes démesurées par rapport aux contraintes financières de leur budget à la retraite. Il est crucial qu’ils lisent leur certificat de prévoyance annuel qui définit leur avoir de vieillesse et qu’ils le mettent en relation avec les prélèvements obligatoires (impôts, assurance maladie, logement). Je crains, dans cette perspective, que, dans bien des cas, les retraits effectués dans le passé pour financer un bien immobilier limitent trop fortement la rente future.
«Nous avons décidé de faire appel à des ambassadeurs du deuxième pilier».
Pour Profond, quelles sont vos priorités en ce qui concerne le taux technique?
Nous discutons d’une possible modification du taux technique, actuellement à 2%. Le rendement attendu augmente depuis deux ans. Il est passé de 3 à plus de 4%. Le rendement des obligations d’Etat diminue, mais nous n’en avons pas.
Et comment pourriez-vous modifier votre allocation?
En matière d’allocation des actifs, j’observe que les actions sont chères. Nous avions toujours une part de 50% en actions. La discussion devrait porter sur une légère baisse qui dépassera toujours la moyenne de la branche. Notre ADN ne va pas changer. Mais devons-nous continuer d’investir dans les marchés émergents compte tenu du niveau des risques?
Nous pourrions aussi modifier l’allocation en obligations suisses. Lorsque l’économie se contracte, cette classe d’actifs devient fort peu liquide..
Le potentiel se situe en ce moment plutôt dans les infrastructures et la dette privée.
Et l’immobilier suisse?
Cette classe d’actifs n’est pas intéressante pour nous en ce moment. Nous sommes investis sur le plateau suisse, alors que les grandes villes sont chères et qu’augmenter les loyers après rénovation est un réel défi.
Que proposez-vous pour répondre à l’absence de réforme du deuxième pilier?
Nous proposons des plans de prévoyance surobligatoires et pas de plan minimum LPP.
Est-ce que les PME réagissent favorablement?
Nos clientes PME ont toutes des plans surobligatoires. En tant qu’employeurs, elles comprennent l’intérêt qu’en retirent leurs employés. Les plans à choix qui permettent d’investir davantage dans le deuxième pilier sont très recherchés.
D’autres proposent la réduction de la déduction de coordination et du seuil d’entrée dans la LPP. Il n’est pas nécessaire d’attendre une réforme du système pour intégrer ces points de manière volontaire.
Les PME expriment de plus en plus souvent leur besoin de se différencier par leur plan de retraite sur le marché de l’emploi, notamment auprès des 40 ans et plus. Ils ont tendance à augmenter le budget pour la caisse de pension. Nos entreprises affiliées paient moitié moins de frais qu’il y.a cinq ans. De plus, avec notre système de gestion des sinistres, nous avons pu réduire la prime de risque. La plupart des entreprises compensent ces économies par une amélioration des prestations pour leurs employés.
Qu’en est-il de la digitalisation?
Les employeurs sont 100% digitaux. Aucun ne nous envoie un document papier. Et plus de 50% des assurés disposent d’un compte électronique. Nous n’envoyons plus de certificat de prévoyance par la poste, sauf à ceux qui en font la demande. La numérisation nous permet d’offrir un très bas niveau de frais pour les prestations que nous fournissons nous-mêmes (sans les frais de courtage), en l’occurrence de 10 francs par mois et par assuré.