Réaliser année après année une performance supérieure à celle de l’indice de référence dans le domaine obligataire est l’objectif visé par DNCA Investments avec l’un de ses fonds qui investit principalement dans des emprunts d’Etat. Comment naviguer aujourd’hui au mieux entre les attentes – parfois exagérées des intervenants sur le marché – concernant les baisses de taux directeurs du côté des banques centrales et le scénario d’une possible récession qui n’est jamais concrétisée jusqu’ici? Tour d’horizon avec François Collet, Deputy CIO & gérant obligataire chez DNCA Investments.
En dépit du cycle de baisse des taux entamé par la Réserve fédérale américaine (Fed) à la mi-septembre, vous estimez qu’il n’y a pas de raison de se précipiter pour acheter des titres de dette dans l’optique d’une baisse rapide des taux. Pourquoi vaut-il mieux rester prudent en tant qu’investisseur obligataire, même en période de baisse des taux?
Investir sur le marché obligataire, c’est se confronter aux anticipations du marché. Si la baisse des taux devait être plus marquée que ce qui est déjà anticipé par les intervenants sur le marché, cela signifierait que le potentiel d’appréciation n’est pas encore épuisé. En revanche, si la baisse des taux devait être moins marquée qu’anticipé, alors ce potentiel serait plus limité – ces titres pourraient même perdre de leur valeur. Toute la question est d’évaluer correctement quel sera le rythme de baisse des taux et d’anticiper quel sera le point le plus bas des taux terminaux des banques centrales dans le cycle actuel.
«Il va encore falloir être patient pour voir l’inflation reculer vers des niveaux proches de 2%. Cela n’arrivera sans doute pas avant le printemps 2025.»
Actuellement, on observe que l’inflation continue de baisser des deux côtés de l’Atlantique, notamment sous l’effet de la baisse des prix de l’énergie. Aux Etats-Unis, l’immigration importante a aussi contribué à limiter les pressions salariales, ce qui a fait baisser les pressions inflationnistes à court terme.
Aux Etats-Unis, l’inflation sous-jacente des dépenses des consommateurs s’est pourtant maintenue à un niveau relativement élevé de 2,7% en août, après 2,6% en juillet. Ces chiffres, publiés fin septembre, ne montrent-ils pas que l’on a peut-être déclaré un peu trop vite que l’inflation était vaincue aux Etats-Unis?
Il va encore falloir être patient pour voir l’inflation reculer vers des niveaux proches de 2%. Cela n’arrivera sans doute pas avant le printemps 2025 malgré la baisse des prix du pétrole. Cela justifie l’approche prudente de la Fed que les marchés ont parfois un peu de mal à entendre.
Le recul de l’inflation se poursuit aussi sur le Vieux Continent. Le taux d'inflation annuel de la zone euro pour le mois de septembre, publié début octobre, s'est établi à 1,8%, selon Eurostat, comparé à 2,2% en août dernier. L’inflation dans la zone euro se situe donc en dessous de l’objectif de 2% visé par la BCE, cela pour la première fois depuis 2021. Faut-il désormais s’attendre à des baisses de taux beaucoup plus agressives de la part de la BCE au cours des prochains trimestres?
Oui, la BCE va accélérer son rythme de baisse pour tenir compte de cette décrue de l’inflation et du ralentissement de l’activité en zone euro. La BCE devrait désormais passer à un rythme de baisse à chaque meeting jusqu’au premier trimestre 2025. Cependant, son cycle de baisse sera limité par des pressions inflationnistes toujours persistantes. La productivité européenne est faible, et l’inflation dans les services ne recule plus depuis le début de l’année, elle se situe toujours à 4%, ce qui limitera la capacité de la BCE à assouplir sa politique monétaire.
«La vraie question qui se pose est celle de savoir ce qui se passerait si la croissance économique ralentissait vraiment en France – atteindrait-on un déficit budgétaire de 8, 9 ou 10%?»
Concernant la trajectoire d’ensemble des taux, vous estimez que les anticipations du marché sont peut-être exagérées à ce sujet aux Etats-Unis. Jusqu’à quels niveaux les taux d’intérêt devraient-ils baisser outre-Atlantique?
Les marchés anticipent une baisse des taux directeurs allant jusqu’à environ 2,8% aux Etats-Unis à fin 2025. Cela nous paraît un peu exagéré. Nos anticipations concernant les taux directeurs sont qu’il y ait encore une baisse 25 points de base en 2024, suivie de baisses totalisant 100 points de base en 2025. Dans l’ensemble, il faut plutôt s’attendre à des taux directeurs situés aux environs de 3,25% ou de 3,37% à la fin de l’an prochain. 3,37% nous paraît être une bonne estimation du point d’atterrisage des taux de la Fed. A notre avis, certains investisseurs sont allés trop loin dans leurs anticipations de baisse des taux directeurs – cela engendre des risques de contre-performances.
Concernant l’endettement des Etats, vous estimez que les déficits publics restent une épée de Damoclès pour la plupart des pays développés. En France, en particulier, il y a beaucoup de débats actuellement au sujet de l’évolution de la situation budgétaire au cours des prochains mois. Quelles peuvent être les implications concrètes d’une aggravation du déficit budgétaire pour les investisseurs obligataires?
L’aspect critique est que l’on assiste à une dégradation beaucoup plus rapide de la situation budgétaire que ce qui était prévu en début d’année. En début d’année, le gouvernement prévoyait un recul du déficit budgétaire de 5,5% qui devrait être ramené à 5% en fin d’année 2024. Or, aujourd’hui, les prévisions vont dans l’autre sens. Malgré une croissance du PIB qui tient bon, on s’attend à un déficit public plus fort qu’attendu en France. Le déficit public pourrait même dépasser les 6% du PIB, selon certaines prévisions. La vraie question qui se pose est celle de savoir ce qui se passerait si la croissance économique ralentissait vraiment en France – atteindrait-on un déficit budgétaire de 8, 9 ou 10%? Les investisseurs obligataires doivent aujourd’hui tenir compte des incertitudes liées à l’évolution budgétaire lorsqu’ils investissent dans des emprunts d’Etat.
«Notre objectif est toujours de parvenir à générer une performance supérieure de plus de 2% par rapport à l’indice de référence.»
Un autre aspect est aussi suivi avec beaucoup d’attention depuis le printemps dernier: l’écart entre les taux à 10 ans concernant la dette française et allemande. Quelle évolution anticipez-vous à ce sujet?
Cet écart de taux a toujours existé – avec des phases où il a été plus ou moins prononcé. En tant qu’investisseur obligataire, nous cherchons surtout à anticiper si ce spread va encore s’écarter ou s’il va se rétrécir. En plus de l’évolution du déficit budgétaire en tant que tel, il faudra aussi suivre attentivement quelles seront les éventuelles adaptations des ratings attribués à la dette française par les grandes agences de notation au cours des prochains mois.
En ce qui concerne l’intérêt des investisseurs pour un fonds dédié aux obligations internationales, une baisse graduelle du niveau des taux d’intérêt tend-elle à renforcer ou réduire l’attrait pour ce type de placements?
L’environnement de taux d’intérêt actuel est évidemment très différent de celui qui prévalait par exemple en 2017, lorsque nous avons relancé cette stratégie chez DNCA, alors que les investisseurs se souciaient avant tout d’échapper aux taux négatifs. Lorsque les taux d’intérêt ont commencé à remonter en raison d’un contexte plus inflationniste, on aurait pu redouter que certains investisseurs se détournent de ce type de placement. Or, il n’en a rien été. Notre objectif est toujours de parvenir à générer une performance supérieure de plus de 2% par rapport à l’indice de référence. Quant les taux étaient proches de 0%, un rendement de 2% était intéressant. Lorsqu’il se situaient entre 3 et 4%, un rendement de l’ordre de 5% à 6% a également été attrayant. Le fait que nous avons obtenu de bonnes performances en 2022 et 2023 a conforté les investisseurs dans leur choix. Réaliser année après année une performance supérieure à celle de l’indice de référence de quelques dizaines de points de base n’est peut-être pas spectaculaire mais c’est ce qui compte pour les investisseurs qui misent sur ce type de solutions.