La prédominance des valeurs technologiques dans certains indices occulte la baisse considérable de bon nombre d’actions. Le phénomène a créé du même coup des opportunités et un fort potentiel de revalorisation, comme l’explique Georg von Wyss, partenaire et gérant des deux fonds d’actions Classic Global Equity Fund et Classic Value Equity Fund chez BWM.
La situation est-elle en faveur du value investing aujourd’hui?
Oui, car bon nombre de sociétés ont vu leur titre massivement baisser, ce que cache le fait que la concentration du marché ou la part des gros titres dans les indices a considérablement augmenté depuis 2015, particulièrement aux Etats-Unis s’agissant de l’indice S&P 500. En même temps, la gestion passive ou indicielle continue de s’accentuer.
Les dix plus grosses valeurs du S&P 500 s’avèrent chères, bien qu’elles soient depuis peu sous pression: Microsoft, Apple, Nvidia, Amazon et Broadcom affichent toutes un ratio cours-bénéfice (PER) pour 2024 supérieur à 30x. Sans parler d’Eli Lilly et Tesla, avec un PER qui dépasse respectivement 50 et 90x. Seules Berkshire Hathaway, Meta Platforms et Alphabet paraissent plus raisonnablement valorisées avec un PER avoisinant 20x.
Mais il faut tenir compte de la croissance future du chiffre d’affaires et du cash-flow libre…
Bien entendu, mais les prévisions de croissance pour ces entreprises de la part des investisseurs sont-elles réalistes? La croissance justifie-t-elle des valorisations élevées? L’histoire montre que les meilleurs performeurs d’une décennie se situent rarement au sommet lors de la suivante.
L’intelligence artificielle (IA) reste un domaine très porteur…
Certes, mais cela ne doit pas éloigner du moteur essentiel de la Bourse: le développement des entreprises. Les thèmes de l’IA, les élections, les abaissements prochains des taux d’intérêt déterminent les discussions du jour. Bien que celles-ci paraissent convaincantes, il ne s’agit bien souvent que de «bruits».
«La période allant de 1936 à ce jour montre que la surperformance du style «growth» des dernières années est une exception».
Le bas niveau des taux d’intérêt, il y a quelques années, a dopé les actions technologiques, en abaissant les taux d’actualisation des cash-flows futurs. Aujourd’hui, en revanche, on assiste à la vente des actions technologiques, parce que les valeurs cycliques sont devenues plus attractives.
L’approche de BWM est de se concentrer sur les résultats des entreprises, leurs fondamentaux et les anomalies boursières, qui créent des opportunités d’investissement. Nous essayons d’anticiper l’amélioration qui peut venir du management et est susceptible de relever le niveau des multiples de valorisation.
Est-ce le cas de Dormakaba, un de vos investissements?
En effet, l’action a presque doublé depuis octobre 2022, se rapprochant ainsi de sa valeur intrinsèque. Ce groupe évolue désormais favorablement dans le domaine porteur des solutions et systèmes pour l’accès aux bâtiments, sous la direction du CEO, Till Reuter. Ce dernier opère en symbiose avec le conseil d’administration, dont Stephanie Brecht-Bergen, qui représente la famille Mankel, l’ancien propriétaire de Dorma avant la fusion avec Kaba en 2015.
Le style de gestion «value», qui consiste à acheter des actifs décotés par rapport à leur valeur intrinsèque n’est-il pas durablement supplanté par le style «growth», c’est-à-dire l’achat de valeur de croissance?
La période allant de 1936 à ce jour montre que la surperformance du style «growth» des dernières années est une exception. Il ne faut pas se méprendre non plus: la croissance est toujours une composante de l’estimation de la valeur d’une entreprise, et dont l’importance peut se révéler autant négligable qu’énorme et dont l’impact peut être aussi bien négatif que positif.
Un titre «growth» peut d’ailleurs devenir une action «value» et vice-versa. Le rendement des capitaux investis et le taux d’actualisation sont d’autres facteurs importants, qui relèvent tous du value investing.
Swatch Group figure parmi les titres que vous avez en portefeuille. Est-ce une opportunité d’achat?
La valorisation boursière est redevenue très attractive. Cependant, les investisseurs ont perdu confiance dans Nick Hayek, qui alloue de manière discutable le capital, en investissant fortement dans les stocks et l’immobilier.
Les liquidités, les actifs immobiliers et les stocks totalisent ainsi une valeur nettement supérieure à la capitalisation boursière. Swatch Group se négocie à des multiples très bas, de l’ordre de 10x, voire moins, malgré les bons fondamentaux de cette entreprise.
Voyez-vous un catalyseur possible?
Une amélioration de la conjoncture et du management ferait remonter sans problème le PER à 15x, voire davantage. Un multiple analogue à celui de Richemont est même possible.
Et qu’en est-il d’Adecco Group, un autre titre que vous avez?
Nous y voyons également une reprise conjoncturelle comme catalyseur, concomitamment à un levier opérationnel. Le management sous la conduite de Denis Machuel effectue du bon travail.
L’acquisition d’Akka Technologies en 2021 ne s’est-elle pas effectuée à un prix trop haut?
Elle a eu lieu du temps de l’ancien CEO, Alain Dehaze. Le prix payé ne me paraît pas exagéré en l’occurrence.
Quelles sont d’autres opportunités?
Parmi les titres les plus attrayants, à l’aune de leur décote par rapport à leur valeur intrinsèque que nous avons en portefeuille, figurent notamment Fresenius dans secteur de la santé, Kelly Services dans le recrutement, Quadient (ex-Neopost) ou Télévison Française 1 (TF1).