Le monde d’après – Deuxième partie

Salima Barragan

2 minutes de lecture

Télétravail, dé-globalisation, surveillance; le monde post-coronavirus sera différent. Entretien avec Henk Grootveld de LOIM.

Le confinement a précipité un certain nombre de tendances de fonds qui se dessinaient avant la crise. Dans l’urgence, les chefs d’entreprises et les chefs d’Etats ont été amenés à prendre des décisions inédites. Un bond irréversible qui marquera notre monde après le coronavirus. Dans une série d’interviews, nos interlocuteurs se prêtent au jeu des questions-réponses pour décrypter les principaux changements qui nous attendent.

L’accélération du recours à la numérisation est sans précédent. Henk Grootveld, spécialiste des tendances mondiales chez Lombard Odier Investment Managers (LOIM) affirme que l'histoire a montré que les gouvernements n’abandonnent pas volontiers le contrôle qu'ils ont pris pendant une crise une fois celle-ci terminée.

Comment la crise accélèrera-t-elle l’essor de la numérisation?

Dans le secteur financier, la crise accélère l'abandon de la monnaie en espèce au profit des méthodes de paiement numériques en cartes, par téléphone portable ou en ligne car les gouvernements les y encouragent afin de contenir la propagation du virus. Cette évolution est autant sociale que technologique. En Allemagne, un pays très avancé sur le plan technologique, il n'y a aucun argument technique contre leur utilisation. L’obstacle est socioculturel car la population aime payer en espèce. Idem en Suisse, en Italie, en Grèce et en Espagne. Si les recommandations actuelles influencent les préférences socioculturelles, une généralisation des paiements numériques perdurera après le retour à la normale. Des services financiers conservateurs tels que les prêts, les hypothèques et les conseils en matière d'investissement sont dorénavant disponibles en ligne pour répondre à la demande malgré le confinement. Dans le secteur de la santé, nous avons vu aux Etats-Unis et en Chine une croissance significative des consultations médicales en ligne pour réduire le risque de propagation du virus et la surcharge des systèmes de santé locaux. Si à New York il n'y a plus de médecin disponible pour une consultation, le patient peut se connecter à un médecin aux Texas, un état moins touché par la pandémie. Cette solution en ligne est proposée par la plupart des plans d'assurance de santé américains. Au fil du temps, la pandémie agira comme un catalyseur des tendances en matière de logistique, de technologie, de mondialisation, de géopolitique et de durabilité.

«L'histoire a montré que la plupart des gouvernements n’abandonne
pas volontiers le contrôle qu'ils ont acquis pendant une crise.»
Certains pays ont récemment autorisé le développement de technologies pour traquer les personnes infectées par le virus. Pouvez-vous nous en dire davantage?

En ce moment, on parle beaucoup de géolocalisation basée sur les applications smartphones et de caméras thermiques. L’application de géolocalisation utilisée en Corée du Sud génère une base de données centrale qui suit et enregistre les déplacements des individus grâce aux mouvements de leur smartphone. Si un individu infecté est identifié, la base de données peut suivre toute son activité, les lieux où il s’est rendu, les personnes avec lesquelles il a été en contact étroit, de sorte que ces dernières peuvent être contactées, testées et isolées. Une version légèrement différente existe. Elle stocke localement sur le smartphone tous les lieux et toutes les personnes rencontrées. Une fois l’utilisateur infecté, il doit toutes les contacter via l'application. Mais les deux systèmes dépendent de la coopération entre les utilisateurs et de leur généralisation : si seule une poignée de personnes les utilise, le système ne fonctionnera pas. Dans certaines régions de Chine, les habitants ont une sorte de passeport en ligne qui leur permet d'entrer en toute sécurité dans un magasin, via un écran reproduisant la signalétique de feux vert et rouge. 

Le rôle de la 5G montera-il en puissance?

La 5G est essentielle pour l'Internet des Objets contrairement à l'Internet plus traditionnel pour lesquels la 4G est suffisante.  Des exemples concrets de l'internet des objets sont les voitures autonomes et les hôpitaux connectés où la radiographie communique avec le dispositif de chirurgie robotique.  La Chine fournit de gros efforts pour déployer un réseau 5G complet et la pandémie COVID-19 ne semble pas les avoir ralentis, au contraire. 

L'intelligence artificielle que la Chine utilise pour surveiller les individus potentiellement infectés se généralisera-t-elle?

Je crains que ce ne soit déjà le cas, du moins dans certaines régions du monde. En combinant les caméras de reconnaissance des visages et les caméras thermiques, les gouvernements pourront contrôler le virus, mais aussi contrôler les populations à des fins politiques. Malheureusement, l'histoire a montré que la plupart des gouvernements n’abandonne pas volontiers le contrôle qu'ils ont acquis pendant une crise, une fois celle-ci terminée. 

 

Lire également l'interview de Clément Maclou, Decalia:

Le monde d’après – Première partie

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