Quel bilan tirer des premières semaines sur les marchés cette année? La bourse américaine, portée par les valeurs technologiques l’an dernier, continuera-t-elle d’offrir les meilleures perspectives en 2025 ou vaut-il mieux s’intéresser désormais aux actions européennes ou britanniques? Le point avec Julien Lafargue, responsable de la stratégie de marché chez Barclays Private Bank, au sujet des perspectives économiques et de marché pour 2025.
Aux Etats-Unis, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a poursuivi en début d’année sa remontée en direction du seuil des 5%, grimpant à 4,8% à la mi-janvier avant de se replier quelque peu (4,56% mercredi). Au Royaume-Uni, le rendement des emprunts d’Etat britannique à 30 ans (Guilt) a dépassé les 5,4% à la mi-janvier, son plus haut niveau depuis 25 ans, avant de redescendre quelque peu ensuite. La remontée relativement rapide des taux sur les marchés obligataires en début d’année vous a-t-elle surprise et quelles pourraient en être les conséquences en termes d’allocation d’actif au cours de 2025, y compris pour les marchés des actions?
C'était toujours un risque, compte tenu des préoccupations concernant les niveaux d'endettement public et l'impact potentiel de l'augmentation des tarifs sur l'inflation. Si quelque chose en découle, c'est bien que cette situation renforce notre conviction quant à l'importance d'une diversification adéquate.
Dans le monde d'aujourd'hui, les actions et les obligations ne suffisent plus, et les investisseurs doivent rechercher des sources supplémentaires à la fois de rendement et de gestion des risques. Qu'il s'agisse des marchés privés, de stratégies «alternatives» spécifiques permettant de neutraliser les fluctuations du marché, ou encore des matières premières, nous croyons que ces éléments peuvent jouer un rôle clé dans les portefeuilles en 2025.
«Il serait difficile d’assister à une surprise positive concernant l’économie américaine, alors que ça pourrait être le cas à propos de l’Europe ou de la Chine».
Concernant les prévisions conjoncturelles pour 2025, la plupart des instituts de recherche s’attendent à nouveau à ce que la zone euro et la Chine soient à la traîne cette année, alors que l’économie américaine devrait à nouveau faire figure de locomotive pour la croissance mondiale. Ou faut-il au contraire compter avec une amélioration de la situation en Europe et en Chine?
En ce qui concerne la zone euro, nous anticipons tout au plus une croissance de l’ordre de 1% pour 2025. En Chine, la croissance du PIB sera certainement plus proche des 4% que de l’objectif de 5% visé par le gouvernement. Sauf si les autorités chinoises devaient lancer des mesures de relance beaucoup plus importantes que celles qui ont été annoncées l’automne dernier, y compris avec un volet relatif à la consommation. Actuellement, il est difficile de trouver des experts qui soient complètement optimistes au sujet de la Chine, pas davantage qu’en ce qui concerne l’Europe.
Cela dit, en termes d’investissements, la situation actuelle peut aussi être une opportunité. Les attentes très prudentes concernant la Chine en fin d’année 2024 laissent aussi une certaine marge manœuvre pour qu’il y ait une surprise potentielle en lien avec la zone euro ou la Chine en 2025. En fin d’année dernière, le consensus était très positif au sujet des Etats-Unis et très prudent envers la zone euro et la Chine. Il serait donc difficile d’assister à une surprise positive concernant l’économie américaine, alors que ça pourrait être le cas à propos de l’Europe ou de la Chine, en comparaison de ce qui est déjà anticipé.
Concernant la zone euro, on peine à voir d’où viendrait l’impulsion. L’économie française reste pénalisée par les incertitudes liées à la situation politique. L’industrie et les branches exportatrices sont à la peine en Allemagne. L’écart des rendements à 10 ans entre la dette française et allemande s’est encore légèrement creusé en début d’année…
Le rendement des emprunts à 10 ans de la France est effectivement encore remonté et dépasse désormais les 3,25% comparé à environ 2,8% il y a un an à la même période. C’est vrai mais il ne faut pas oublier que les rendements des emprunts à dix ans ont augmenté dans de nombreux pays depuis l’automne dernier, y compris en Allemagne et aux Etats-Unis. Je ne crois pas du tout que l’on s’oriente vers une crise de la dette en France, comme cela a été le cas dans les pays de l’Europe du Sud au début de la dernière décennie. La France dispose d’une bonne capacité à lever l’impôts. Du côté des investisseurs, il y a aussi une importante demande pour les titres de dette de la France. Les rendements obtenus sont non négligeables et en plus la dette française est à l’abri du parapluie de la BCE, au cas où un problème sérieux surviendrait. Les marchés ne regardent pas la France comme ils le faisaient pour la Grèce au début des années 2010.
«Les marchés ne regardent pas la France comme ils le faisaient pour la Grèce au début des années 2010.»
La Grande-Bretagne a connu d’importantes difficultés au sortir du Covid et en raison d’une inflation persistante. En termes d’investissements, y a-t-il des opportunités à saisir sur le marché britannique?
En valeur absolue, il est difficile de dire que l’économie britannique se porte bien. L’inflation au Royaume-Uni (+2,5% en décembre 2024) reste passablement élevée, notamment en raison de la hausse des prix des services (+4,4%). La croissance du PIB britannique a stagné au 3ème trimestre 2024. Dans l’ensemble, c’est une situation qui ressemble à de la stagflation. Malgré tout, d’un point de vue politique, les choses apparaissent plus stables qu’il y a quelques années. C’est aussi un marché qui a été quelque peu délaissé par les investisseurs internationaux dans les années qui ont suivi le Brexit. Actuellement, le FTSE reste l’un des marchés les plus attrayants en termes de valorisation. L’indice présente aussi un mix sectoriel intéressant, incluant à la fois des titres du secteur minier, de la finance et de la santé.
L’année 2024, surtout le premier semestre, a été par une très forte domination des valeurs technologique. L’IA et la Big Tech resteront-ils les thèmes à suivre en 2025 – ou faut-il plutôt éviter un trop grand risque de concentration en lien avec ces domaines?
La technologie et l’IA resteront certainement des thèmes dominants tout au long de 2025. En revanche, la concentration de la performance autour d’une poignée de titres tels que les «Sept Magnifiques», comme on l’a vu durant la première moitié de 2024, ne sera probablement plus aussi marquée cette année. En deuxième moitié d’année, il y a eu une plus grande proportion de titres au sein du S&P 500 qui ont surperformé cet indice. Cette proportion est passée de moins de 30% au début de 2024 à 43% en fin d’année. En d’autres termes, cela signifie que la performance dépend moins d’une poignée de titres.
«L’acronyme IA ne suffit plus à lui seul à faire bouger les marchés.»
Qu’en est-il plus spécifiquement de l’IA?
En ce qui concerne la thématique de l’IA, on est passé d’une situation où, en première moitié d’année 2024, il suffisait pour les entreprises de clamer haut et fort qu’elles étaient actives dans l’IA afin de voir le cours de leur action monter à une situation où les investisseurs sont devenus plus exigeants. Maintenant, lorsqu’une entreprise met en évidence qu’elle est active dans l’IA ou investit dans des solutions en lien avec cette technologie, la réaction des investisseurs est de demander comment elle va rentabiliser ses investissements, comment elle envisage de réaliser des profits. L’acronyme IA ne suffit plus à lui seul à faire bouger les marchés.
En outre, lorsqu’une nouvelle technologie apparaît sur les marchés, il est toujours extrêmement difficile d’identifier quelles seront les entreprises gagnantes de cette évolution. Les vainqueurs du moment ne sont pas toujours ceux de demain. Si l’on prend l’exemple de la révolution d’internet, ce ne sont pas les entreprises télécoms qui ressorties en tant que grandes gagnantes de cette transformation. On peut établir un même parallèle avec l’IA : il n’est pas certain du tout que ce soient les sociétés qui fabriquent les semi-conducteurs qui ressortiront comme les grandes gagnantes de cette révolution technologique dans quelques années. Il s’agira peut-être des concepteurs de logiciels ou alors des entreprises issues d’autres branches qui parviendront à faire de l’IA un avantage compétitif clé pour leur domaine d’activité.