L’énorme «Home Bias» des institutionnels suisses

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Michael Schütze, d’AllianzGI, salue l’élargissement de l’indice SMI et s’attend à une hausse de l’allocation aux obligations et aux marché privés.

Allianz Global Investors est un géant de la gestion qui reste méconnu. Il gère 520 milliards d’euros d’actifs dont un montant considérable, 87 milliards dans les marchés privés. Une grande partie de ces capitaux proviennent du groupe d’assurance lui-même. En Suisse, AllianzGI gère plus de 20 milliards de francs suisses, dont environ la moitié pour le groupe et un quart pour la clientèle de gros et la clientèle institutionnelle. En Suisse, Allianz GI représente une équipe de 15 professionnels et de 2 stagiaires étudiants. Michael Schütze, responsable d’Allianz Global Investors pour le marché suisse, répond aux questions d’Allnews.

Le biais domestique (home bias) des institutionnels suisses vous a surpris lors de votre arrivée en Suisse. Comment l’avez-vous observé?

Cela dépend bien sûr de l’angle de vision. Quand on considère la Suisse à partir de l’extérieur, elle apparaît incroyablement internationale. Mais si l’on se fixe sur les caisses de pension, on est surpris par un énorme biais domestique.

Quelle en est l’origine?

La raison tient moins à la réglementation qu’à la monnaie. Chaque investisseur suisse doit se demander s’il obtient un rendement supplémentaire en investissant à l’étranger, en l’occurrence s’il obtient une prime de risque par rapport aux actifs suisses lorsqu’il prend un risque monétaire.

Si l’on considère la situation à partir de la Suisse, le biais domestique paraît sensé. Il est raisonnable à l’égard de l’immobilier et des obligations en francs. Il est vrai toutefois que le rendement était très bas ces dernières années et que la question d’une allocation dans ces deux domaines se posait.

La réponse est plus incertaines à l’égard des actions de multinationales comme Nestlé ou Roche car si la monnaie est le franc, l’exposition est globale et permet une réelle diversification.

Est-ce que vous recommandez aux caisses de pension de réduire le biais domestique?

Oui, à un moment où l’on cherche à accroître la diversification du portefeuille à travers les marchés privés et à revenir dans les obligations à la suite de la hausse des taux.

«La hausse de la part obligataire ne se fera pas au détriment de l’immobilier.»
Qu’en est-il du Home Bias en Allemagne par exemple?

Les investisseurs allemands présentaient aussi un biais domestique avant que l’euro ne remplace le mark. Aujourd’hui, leur biais n’est plus allemand mais centré sur la zone euro. Le biais est un peu camouflé. L’investisseur suisse se compare d’ailleurs favorablement à celui des Etats-Unis, lequel alloue de la même manière une part de ses capitaux à ce qu’il appelle «l’international». Ce dernier correspond au monde hors des Etats-Unis, et là aussi, vous trouvez un Home Bias considerable.

Que pensez-vous de la tentative actuellement discutée d’étendre l’indice SMI de 10 valeurs supplémentaires au détriment de l’indice SPI Extra?

Venant du monde institutionnel, j’apprécie d’autant plus un indice qu’il est large. Un indice tel que le DAX, le CAC 40 ou le SMI est toujours trop étroit. Je salue donc chaque effort allant dans le sens d’un élargissement.

Vous êtes un asset manager. Or l’opposition ne vient-elle pas de gérants de fonds actifs?

Je maintiens mon opinion favorable. L’essentiel est de répondre aux besoins des investisseurs. Ce dernier doit employer l’indice le mieux adapté à l’investisseur. L’exposition aux actions suisses sera plus correctement réalisée avec le nouvel SMI élargi.

Les obligations vivent leurs 2e année consécutive de baisse. Or vous attendez une augmentation de la part obligataire dans les portefeuilles. N’est-il pas prudent d’attendre?

J’ai débuté mes 30 ans de carrière dans l’allocation d’actifs, initialement dans la recherche quantitative pour l’allocation stratégique des caisses de pension. La question n’est jamais de découvrir la tendance des taux d’intérêt à court terme. Mes réflexions portent toujours sur le très long terme.

Après une analyse des actifs et passifs (ALM), une caisse de pension doit savoir si le niveau du taux d’intérêt obligataire dépasse le rendement qu’elle doit dégager à long terme. Si tel est le cas, il est parfaitement raisonnable d’investir en obligations, par exemple en francs. Si je peux gagner 4% en supportant un faible risque, c’est un super investissement. Et les autres classes d’actifs doivent être mises en concurrence à cette classe d’actifs et montrer qu’elles peuvent offrir un avantage en termes de diversification ou de rendement.

Comme je le disais hier à un collègue, l’heure est au retour à la normalité en matière de taux d’intérêt. Nous retrouvons l’économie que l’on décrit dans les manuels: Un taux sans risque positif, une rémunération sur le risque de crédit ou de duration. Je peux de nouveau penser normalement et les allocations s'ajusteront progressivement en conséquence.

Est-ce qu’après les taux négatifs sur les obligations, ne risque-t-on pas d’aller à des excès opposés?

Je ne le crois pas. Les mouvements sont lents dans le monde des investisseurs institutionnels. Il s’agit de faire une étude ALM puis de réfléchir à sa mise en oeuvre. Le marché institutionnel suisse est peuplé de professionnels qui n’agissent pas dans la précipitation.   

Avec 1% de rendement sur la Confédération à 10 ans, sommes-nous déjà à destination?

Oui, très probablement ou du moins pas très loin.

Comment réagissent les caisses de pension en ce moment?

Elles agissent en conformité avec leurs obligations. Aucune caisse de pension ne change de stratégie parce que les taux viennent de monter. Ils effectuent leur prochain cycle ALM et s'adaptent.

Est-ce que votre désir de diversification dans les marchés privés trouve un écho favorable?

Oui. La hausse des taux d’intérêt n’a pas mis un terme à la tendance en faveur des marchés privés. Elle est tout au plus freinée. Les arguments sont nombreux: diversification, nouvelles sources de revenu, autre profil de risque, ESG, impact.

Quels sous-segments sont-il privilégiés? Les crédits aux PME? Les infrastructures?

Tous les sous-segments devraient faire partie d’une allocation stratégique à long terme, le private equity comme la dette privée et les actions en infrastructures - la dette en infrastructures étant surtout propice aux assureurs et aux caisses de pension en raison de l’a duration typiquement longue.  

«L’attention porte aujourd’hui sur l’intégration des marchés privés dans les stratégies de placement»

Le potentiel reste majeur. Actuellement seules les 20 ou 30 plus grandes caisses de pension investissent de manière raisonnable dans la dette privée. Et ils y a encore moins d’investissements dans la dette en infrastructures. Pourtant la hausse des taux plaide en faveur de tels placements. Tous ces thèmes sont encore trop peu discutés, y compris les crédits en infrastructures.

Qu’attendez-vous de l’avenir de l’allocation immobilière?

Elle si fortement ancrée dans l’allocation stratégique suisse que je n’imagine guère qu’elle puisse être remise en question. La hausse de la part obligataire ne se fera pas au détriment de l’immobilier.

Quelle est la stratégie d’Allianz Global Investors en Suisse en ce moment?

L’attention porte aujourd’hui sur l’intégration des marchés privés dans les stratégies de placement, tant auprès des institutionnels via des banques et des partenaires de distribution.

Nous ne sommes pas les premiers à proposer ce thème, mais nous avons l’avantage d’être soutenu par notre actionnaire de référence, le groupe Allianz. Cela signifie qu’une partie de notre bilan est investi dans les marchés privés. Cette situation plaît à nos investisseurs. Nous lançons en ce moment une stratégie dans ce domaine qui permet de participer au plus grand portefeuille de marchés privés d'Allianz.

Quelle est l’étendue de vos actifs sous gestion dans le marchés privés?

Nous gérons 97 milliards d’euros dans les marchés privés. Le montant ne manque pas de surprendre bien des investisseurs.

Est-ce que cet intérêt pour les marchés privés traduit l’existence de marges plus élevées qu’ailleurs?

Non. Sur le marché institutionnel suisse, nous sommes confrontés à un régime de pain sec. La concurrence est très vive. Les commissions sur les mandats obligataires sont négociées même 2 ou 3 points après la virgule. Je ne m’attends pas à un changement de tendance. Les marges sont différentes sur les marchés privés, mais il s'agit d'une activité totalement différente tout au long de la chaîne de valeur.

Vous êtes un partisan des approches à long terme? Mais votre industrie n’est-elle pas orientée sur le court terme?

Dieu merci, les institutionnels restent centrés sur le long terme. Durant les 30 ans de ma carrière, l’idée que cela pourrait changer est apparu à quelques reprises, mais heureusement sans faire école. La situation est différente auprès des investisseurs privés et des banques. L’industrie des fonds n’est toutefois pas court-termiste, grâce aux changements réglementaires par exemple. L’hyper-activité boursière n’est pas récompensée. Il faut toutefois distinguer entre ce court-termisme et la saine émergence de nouvelles idées et de nouveaux thèmes destinés aux investisseurs privés.  

Quelle est votre approche à l’égard de l’ESG?

Je distinguerais entre l’action ESG d’un groupe financier et le cadre réglementaire européen. Ce sont deux mondes différents. Le premier concerne la conformité à la réglementation et l’autre à sa propre action en matière de durabilité.

L’industrie des fonds de placement a l’avantage qu'un produit, tel qu'un fonds commun de placement, est très clairement défini. L’industrie peut, grâce à SFDR, classer ses produits dans la catégorie désirée et éviter le greenwashing. Toute la branche est devenue incroyablement prudente à cet égard.

Je pense que rien n’arrêtera le train de la durabilité. Oliver Bäte, CEO d’Allianz, était à Paris en 2015 lors de la Conférence sur le climat. Allianz est membre fondateur de la Net Zero Asset Owner Alliance et AllianzGI est membre de la complémentaire Asset Managers Alliance. À ce titre, nous sommes déterminés à lutter contre le changement climatique - par nos propres investissements et en aidant nos clients.

C'est ce qui est important, s'engager et être actif dans cet espace complexe. Je considère de plus en plus l'aspect réglementaire comme un nouveau régime comptable, complexe et en constante évolution.

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