A l’ère des nouvelles fortunes

Nicolette de Joncaire

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«Les fortunes peuvent se constituer en quelques années et non plus sur des générations» explique Jean-Marie Paluel-Marmont de l’IFFO.

En janvier l’Association Française des Family Office (AFFO) et l’Associazione Italiana Family Officer annonçait la création de l’IFFO, l’International Federation of Family Office. Souvent mal connus, les family offices assistent les personnes fortunées à la préservation et à la transmission de leur capital. Un métier en pleine expansion car, d’après le rapport publié fin 2020 par Credit Suisse, le nombre de millionnaires grimpe en flèche chaque année et, au sommet de la pyramide, on compte près de 200’000 personnes dont le patrimoine net dépasse 50 millions de dollars. Plus de la moitié de ces ultrafortunés sont aux Etats-Unis – ce qui explique l’origine anglo-saxonne de la profession – mais l’Europe n’est pas en reste. Président de l’AFFO et dorénavant de l’IFFO, Jean-Marie Paluel-Marmont cherche à fédérer le métier pour en améliorer le savoir-faire et en faire évoluer la culture. Entretien.

Pourquoi une fédération internationale des family office?

L’idée nous en est venue à travers des rencontres avec d’autres family offices à l’étranger. La culture française est relativement peu tournée vers ces aspects et nous avons compris que nous avions beaucoup à apprendre des autres pays: une expérience passionnante parce que le rapport des familles à l’argent n’est pas le même partout. C’est lors d’un récent voyage en Italie que nous avons décidé de faire le premier pas vers une fédération de notre profession avec la conviction que d’autres nous rejoindrons très rapidement.

Le family office
est un chef d’orchestre.
Existe-t-il plusieurs types de family offices?

On peut les résumer à deux. Les mono-family offices qui ne servent qu’une seule famille dont le patrimoine doit dépasser cent millions et les multi-family offices au service de plusieurs familles dont le capital doit être au minimum de 20 millions. Ces family offices peuvent être indépendants ou appartenir à une banque.  Dans tous les cas, le family office coordonne les services financiers (banques, agents immobiliers et sociétés de gestion) ainsi que les aspects juridiques et fiscaux du patrimoine en liaison avec les experts du domaine (avocats, notaires etc.). Il prépare aussi des sujets essentiels comme la gouvernance familiale, l’éducation des futures générations et peut aussi assurer d’autres services dont la gestion des assurances, le secrétariat…Le family office est un chef d’orchestre.

Prenons l’exemple de la France qui compte des fortunes importantes. Comment s’organisent-elles sinon avec un family office?

C’est effectivement ainsi que s’organisent les grandes fortunes traditionnelles, souvent avec des moyens dignes d’un fonds de pension américains, même si elles n’utilisent pas nécessairement le terme de «family office» pour décrire leur structure. Toutefois ces fortunes-là se sont souvent établies sur plusieurs générations alors que de nos jours, nous assistons à la naissance d’un segment composé de fortunes intermédiaires très rapidement constituées, avec des avoirs qui se situent entre 50 et 200 millions d’euros, acquis en une seule génération, et qui sont souvent peu préparées à la gestion patrimoniale.     

En quoi ces nouvelles fortunes diffèrent-elles des plus anciennes?

Il y a plus d’entrepreneurs et moins d’héritiers. Les fortunes naissent maintenant de la vente d’entreprises bâties sur quelques années à peine et non sur des générations. Il n’est pas exceptionnel – en particulier dans la tech - de rencontrer des entrepreneurs âgés de 30 ou 40 ans qui ont déjà disposé de deux sociétés. Mais vendre ne signifie pas renoncer à un projet familial or le family office est justement consubstantiel à un groupe familial. Ces entrepreneurs ont envie de continuer à agir et à peser sur leur environnement, ils n’ont pas une âme de rentiers. En outre, ils rencontrent des problématiques d’organisation de la fortune, de gouvernance ou de volonté philanthropique. A ce propos, notez qu’ils ne veulent pas seulement donner mais aussi mesurer l’impact, contrôler l’efficacité de leur don.

La gestion des fortunes familiales requiert aujourd’hui l’appel
à un réseau d’expertises qui dépasse les frontières.
Peut-on parler d’internationalisation des family offices?

Oui, à double titre. En premier lieu parce que malgré de grandes différences culturelles, les problématiques sont identiques partout: gestion d’actif, gouvernance, life style. Par conséquent, il existe, dans chaque pays, des approches et des solutions différenciées et dignes d’intérêt pour les autres pays. En second lieu et principalement, parce que les familles elles-mêmes se sont internationalisées. Entre mariages transnationaux, études des enfants à l’étranger et établissement des membres d’une même famille dans plusieurs pays, la gestion des fortunes familiales requiert aujourd’hui l’appel à un réseau d’expertises qui dépasse les frontières. Que la fortune soit moyenne ou immense, les problèmes sont les mêmes.  

Sont-ils également les mêmes d’une génération à l’autre?

Non, mais le schéma se répète d’une famille à l’autre. La première génération ne se pose pas les mêmes questions que la deuxième ou la troisième mais cette différence de questionnement se retrouve dans tous les pays. Elle peut donc être anticipée. Ce n’est pas un hasard que certaines fortunes familiales durent dans le temps et d’autres pas.

Le nombre de family offices progresse rapidement. Y-a-t-il plus de riches ou plus de riches qui font appel à un family office?

Les deux. Le nombre de personnes fortunées augmente et la nécessité de faire appel à des professionnels est mieux comprise.

Quelles différences observez-vous dans le rôle du family office selon les pays?

En France, le family office est un pur conseiller, une approche très orthodoxe. Dans le reste du monde, les family office sont souvent également responsables de la gestion. Les frontières sont évolutives mais l’important reste la transparence et l’absence de conflit d’intérêt.

Un family office pur est plus à même
d’assurer la stabilité des gérants.
Existe-t-il une compétition entre family offices indépendants et banques privées?

Tant que les départements de family office des banques sont des entités indépendantes et qu’il n’existe pas de confusion dans les comptes, il n’y a pas de problème. Toutefois, selon moi, un family office pur est plus à même d’assurer la stabilité des gérants.

Quel rôle jouera l’IFFO?

Elle aura pour mission d’organiser les relations entre family offices des différentes associations des pays qui rejoindront la fédération afin d’échanger les savoirs, les bonnes pratiques et de mieux accompagner les familles clientes.

Votre fédération s’apprête-t-elle à accueillir un membre suisse?

Nous sommes en train de valider un certain nombre de contacts en Suisse nous restons très ouverts, prêts à accueillir une ou plusieurs associations ou des family offices indépendants à condition qu’ils fassent partie d’une association.

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