Investir dans les start-up alimentaires

Anna Aznaour

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De la santé des start-up alimentaires pendant le confinement et des nouvelles opportunités d’investissement.

En une année seulement, les investissements dans les start-up suisses ont doublé passant à 2,3 milliards en 2019 selon les chiffres de Swiss Venture Capital Report, parus en janvier dernier. Un dynamisme qui place le pays de Guillaume Tell dans le peloton mondial des cinq pays – avec l’Angleterre, l’Allemagne, la France et Israël – où ces pépites d’inventeurs lèvent le plus de fonds. Cependant, certains secteurs jouissent davantage de l’intérêt des investisseurs que d’autres. Parmi les moins bien lotis chez nous, le domaine alimentaire. Les explications avec Camille Bossel, la fondatrice de la plateforme FoodHack.Global, et l’investisseur Dominique Locher, co-créateur de Shop.ch.

Camille Bossel, comment le réseau de start-up de votre entreprise FoodHack a-t-il vécu ces deux mois (mars-avril 2020) de confinement?

Certains ont constaté un ralentissement au niveau de la levée de fond, car, en cette période d’incertitude, les investisseurs ont préféré se concentrer sur des start-up auxquelles ils avaient déjà accordé leur confiance. Quant à l’influence de la crise sur leurs chiffres d’affaires, elle était fortement conditionnée par le digital. Ainsi, les entreprises qui étaient très à jour sur les supports numériques ont mieux réussi à faire face à ce choc économique que les autres. Typiquement, c’est le cas de celles qui proposaient leurs produits en ligne tout en garantissant une livraison rapide à domicile. D’ailleurs, deux start-up ont carrément vu exploser la demande des consommateurs. Il s’agit de Farmy.ch, spécialisée dans le commerce en ligne de produits frais d’artisans locaux, et de Drinks.ch, site de boissons dont la vente de spiritueux a augmenté de 300% pendant cette période. Pour ce qui concerne l’après-confinement, nous restons confiants quant à la capacité de notre réseau à trouver des soutiens financiers car ce secteur est essentiel, en ce sens que tout le monde a besoin de manger!

Migros et Coop occupent près de 80% du marché
sans pour autant être «très actifs» dans l’innovation alimentaire.
Dominique Locher, le faible taux d’investissements dans les start-up alimentaires est-il une généralité européenne?

Non, c’est plutôt une spécificité helvétique. D’après les statistiques, entre les années 2017 et 2019, les investissements en capital risque dans ce secteur-là s’élevaient à environ 30% au Royaume Uni, 17% en Allemagne, 16% en France, 5% au Pays-Bas et, seulement 2% en Suisse. Chez nous, cela est probablement dû à notre plutôt petite, taille de marché, par ailleurs très fragmentée linguistiquement. De plus, nos 8 millions d’habitants sont sous le monopole de deux grands distributeurs comme Migros et Coop, qui occupent près de 80% du marché sans pour autant être «très actifs» dans l’innovation alimentaire. Réussir alors pour un nouvel acteur à accéder à leurs étals n’est pas chose facile. Toutefois, le Covid-19 peut être une opportunité inespérée aussi bien pour les start-up que pour les investisseurs, car ces deux mois de confinement ont été à l’origine de nouvelles tendances de consommation, nées de l’accélération des changements structurels dans le secteur. Parmi elles, le besoin de cocooning, c'est-à-dire l’envie de se sentir bien chez soi lorsque l’on doit y rester cloîtré ou presque. D’où le besoin d’e-everything, à savoir, le monde à portée d’un clic digital. Et finalement, le fear factor qui fait référence à une prise de conscience d’un avant-coronavirus exceptionnellement confortable qui n’était pas, contrairement à ce que beaucoup croyaient, un acquis définitif.

De quelle manière cette découverte influencera-t-elle les affaires?

D.L.: Dans l’alimentaire, comme d’ailleurs dans d’autres secteurs, cela se traduira par un besoin accru de dispositifs qui permettront de garantir une hygiène alimentaire encore plus pointue. Également, un plébiscite des solutions relatives aux services et paiements sans contact est plus que probable. Dans ce contexte, la distribution en ligne de produits alimentaires et les outils qui garantissent aux consommateurs leur traçabilité auront également le vent en poupe. Sachant ce qui précède, ce sont donc les investissements dans les start-up qui proposeront des innovations focalisées sur ces axes qui pourront être intéressants en termes de rendement à court, moyen ou long terme. Encore faut-il que la Suisse surmonte sa réticence vis-à-vis du capital risque, à l’origine des investissements plutôt timides dans les start-up en général, et celles spécialisées en alimentaires en particulier.