Immobilier international: la nécessaire diversification

Cyril Gomez

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Keys Asset Management vient d’ouvrir ses bureaux en Suisse, où l’asset manager basé au Luxembourg espère atténuer le biais domestique des investisseurs institutionnels.

Les caisses de pension suisses sont connues pour leur biais domestique disproportionné. C’est vrai vis-à-vis des classes d’actifs traditionnelles. C’encore plus vrai des actifs immobiliers. Les placements internationaux ne représentent en moyenne que 1% de leur fortune totale, d’après l’Etude 2019 des Caisses des Pensions Suisses de Swisscanto. Dire qu’il y a risque de concentration est un euphémisme. Pourtant, le régulateur suisse fixe la quote-part maximale des investissements immobiliers à 30% dans le cadre de l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP2).

Or l’appétit pour la pierre étrangère ne fait pas défaut. Mais celle-ci est perçue comme complexe, du moins suffisamment pour être rattachée à la catégorie des placements alternatifs. «Il faut en effet être bien préparé avant de s’aventurer à l’étranger», prévient Sven Ebeling, Head Asset Servicing Switzerland chez UBS Suisse. «Les valeurs nominales limitées (des placements directs), la négociabilité restreinte, les coûts de transaction élevés, ainsi qu’une fiscalité complexe expliquent en grande partie le comportement de placement observé», précise l’expert dans une note pour la clientèle institutionnelle publiée en mars.

«Il faut connaître chaque ville, chaque rue, chaque quartier, chaque trottoir.»

Gérant d’actifs spécialisé dans l’immobilier, basé au Luxembourg, Keys Asset Management (KAM) pourrait faire partie de la solution visant à mitiger les risques liés à une distorsion des allocations des investisseurs suisses. En créant un pont entre ces derniers et les actifs immobiliers situés sur le marché européen. Cyril Garreau, CEO de KAM, qui a ouvert son premier bureau en Suisse ce printemps, offre un aperçu de la façon dont les investisseurs suisses peuvent s’exposer à des actifs immobiliers situés dans des structures économiques différentes.

Quelle(s) qualité(s) faut-il absolument posséder pour promouvoir ou investir dans l’immobilier?

Il faut connaître chaque ville, chaque rue, chaque quartier, chaque trottoir. C’est ce qui nous permet de comprendre assez tôt pourquoi un commerce situé sur un côté de la rue est prospère et pas celui situé sur l’autre côté. C’est particulièrement difficile de s’en rendre compte sous une perspective trop large ou européenne en l’occurrence. En ce qui nous concerne, nous sommes des gens du terrain, nous avons été amenés à vendre des opérations immobilières à des particuliers. Ce qui explique notre focalisation sur la France. Qui est le marché que nous connaissons le mieux, même si nous procédons à une expansion graduelle, celle-ci étant dictée par la disponibilité d’équipes de gestion de qualité dotées d’une connaissance approfondie du marché dans lequel chacune d’entre elles opère.

Quelles sont les circonstances ayant amené KAM à démarrer des activités en Suisse?

Cela fait des années que nous entretenons des relations avec des asset managers et des gérants de fortune suisses, notamment dans le cadre de mandats dans nos propres fonds. Ces relations étaient cependant jusqu’ici relativement limitées. Nous avons donc décidé de créer une structure en Suisse, dont le développement sera assuré par notre associé Patrick Weber, qui est lui-même de nationalité suisse, basé à Genève.

La Suisse est en effet une immense place financière en termes de masse des dépôts d’actifs à travers ses grandes banques privées et ses tiers-gérants. Mais c’est également une place financière prisée pour la composition des investisseurs institutionnels qui y résident, en particulier les caisses de pension, dont les capacités financières et de placement sont considérables. Il faut combiner ces caractéristiques à un potentiel économique fort, une population bénéficiant de salaires élevés et une protection sociale efficace.

«A terme, qui sait, nous pourrions envisager de nous établir
en Suisse également en tant qu’asset manager.»
Le fait que la Suisse n’est pas un membre de l’Union européenne représente-t-il un handicap pour ses investisseurs ou pour KAM?

Il est vrai qu’elle n’en fait pas partie, mais le pays n’en est pas moins l’un des plus ouverts au monde, au-delà de l’Europe. Il nous a semblé naturel de nous présenter auprès des investisseurs suisses et leur montrer ce que l’on fait. A terme, qui sait, nous pourrions envisager de nous établir en Suisse également en tant qu’asset manager.

Comment investir dans l’immobilier? Quelles sont les différentes approches possibles?

Nous proposons quatre stratégies d’investissement axées sur l’immobilier commercial. La stratégie foncière consiste à acquérir des immeubles à visée locative, mais qui nécessitent des aménagements pour en maximiser la plus-value. Tels qu’une rénovation, un changement d’usage à la fin du bail ou une reprogrammation des objets commerciaux en vue d’attirer des enseignes au sein d’un centre commercial, par exemple. Il peut également s’agir d’achats d’immeubles en cours de développement.

La seconde stratégie reflète une approche fondée sur la valeur ou «value-add», qui est privilégiée dans le monde anglo-saxon. Ici, la stratégie consiste à acheter des actifs, les restructurer, les repositionner ou les relocaliser, puis les revendre. Il s’agit essentiellement de private equity immobilier, avec un cycle de vie d’environ six ans en moyenne. La troisième stratégie est une stratégie de logement à travers laquelle nous entrons dans le capital d’un projet structuré et partiellement financée par un promoteur immobilier. Au moment de la transaction, celui-ci a déjà acquis le terrain, obtenu les permis de construire et recherche des partenaires stratégiques et financiers, dont nous faisons partie.

Enfin, la quatrième approche est ce que l’on pourrait appeler du private equity pur, où il s’agit de créer et redévelopper des fonds de commerce. Et ce pour des usages aussi variés que ceux liés aux thématiques hôtelières, à celles relatives aux résidences-étudiants, résidences-services pour personnes âgées ou encore le thème du co-working. Nous avons créé un fonds de private equity dans lequel collabore également le groupe hôtelier français Accor et avec qui nous développons des lignes lifestyle, tendance vers laquelle, selon Accor, l’industrie hôtelière se dirige actuellement.

«Du point de vue d’un investisseur suisse, la France présente
des atouts majeurs en tant que marché de diversification.»
La France est votre principal marché. En quoi se distingue-t-il du marché immobilier suisse?

Sans être un expert du marché suisse, je note toutefois que l’une des différences les plus frappantes réside dans le mode de financement. En Suisse, les prêts immobiliers tendent à être remboursés selon la méthode in fine. Seuls les intérêts sont payés périodiquement et le nominal est remboursé à l’échéance en une seule fois. En France, comme du reste en Europe, la méthode de financement est amortissable. Chaque année, l’emprunteur y rembourse non seulement les intérêts mais également une part de l’emprunt. La méthode d’amortissement se traduit par un rythme de remboursement plus rapide du prêt, avec la garantie d’être le propriétaire absolu du bien immobilier. Mais elle exige en contrepartie d’importants revenus ou cash-flows pour financer ces amortissements. 

Le second contraste réside dans la valorisation des biens immobiliers. En Suisse, ceux-ci sont particulièrement chers, principalement en raison de la richesse du pays et de son dynamisme. Mais également, il me semble, en raison du fort biais domestique qu’affichent la plupart des investisseurs institutionnels suisses. Je pense en effet qu’il existe une tension relativement élevée sur les prix immobiliers sur ce marché.

Du point de vue d’un investisseur suisse, la France présente des atouts majeurs en tant que marché de diversification. C’est une grande puissance industrielle et commerciale, mais également la première puissance touristique. Ce qui la distingue aussi, par exemple, d’un pays comme l’Allemagne, dès lors que rares sont ceux qui affirment «rêver» de se rendre à Stuttgart. La France est un pays bien positionné et il a eu l’occasion de le montrer au lendemain de la Grande Crise Financière de 2008, en affichant une grande résilience. Dans la plupart des pays européens, ce sont en effet les capitales qui concentrent l’activité touristique dont ils dépendent. En France, c’est l’ensemble du territoire français qui jouit de l’intérêt de ses visiteurs.

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