Au cours des quatre prochaines semaines, l’attention des marchés se concentrera en grande partie sur l’issue des élections présidentielles américaines. A quels aspects les investisseurs devront-il être attentifs durant cette période et au-delà? Carsten Roemheld, stratège sur le marché des capitaux chez Fidelity International, livre son appréciation de la situation à propos de différents thèmes d’actualité en lien avec les marchés.
Qu’attendez-vous en matière de taux du côté de la Fed et de la BCE au cours des prochains trimestres? Quels sont les taux terminaux à attendre dans le cycle d’assouplissement des taux par les banques centrales actuel?
Actuellement, les marchés ont des attentes plutôt agressives concernant les baisses des taux directeurs mises en œuvre par la Fed et la BCE. En ce qui nous concerne, nous anticipons un abaissement des taux directeurs de la Fed à 3% sur un horizon de 12 mois et à 1,7% du côté de la BCE d’ici un an. Nous sommes un peu sceptiques quant à un scénario de baisses de taux beaucoup plus prononcées. Pour que cela soit le cas, il faudrait que la conjoncture ralentisse beaucoup plus fortement voire même glisser vers une récession.
«Toutes les tentatives de trouver des substituts à la Chine impliquent en général des coûts plus élevés.»
Entre fin 2021 et le début de cette année, l’inflation a été le sujet principal chez les banques centrales et pour les économistes. Compte tenu de la baisse marquée des taux d’inflation observée ces derniers mois, y a-t-il encore des risques à surveiller de ce côté-là?
On ne peut pas encore annoncer la victoire complète sur l’inflation. Il ne faut pas oublier que l’inflation sous-jacente («core inflation») est toujours plus près des 3% aux Etats-Unis et en Europe que de l’objectif de 2% visé par les banques centrales. Actuellement, il y a toujours un certain nombre de facteurs, comme le marché du travail par exemple, qu’il convient de surveiller. Les prix du pétrole sont certes toujours encore en baisse sur un an mais ils ont rebondi depuis fin septembre en raison des risques géopolitiques. Les prix de nombreuses matières premières devraient se stabiliser, notamment celles qui sont nécessaires à la transition énergétique. Des incertitudes persistent quant aux chaînes de livraison, notamment en lien avec les tensions autour de certaines voies maritimes au Moyen-Orient et en raison de l’introduction de taxes et de droits de douanes sur les produits importés de Chine. Le négoce global est passablement perturbé par ces différents facteurs. Cela d’autant plus que le ton adopté avant les élections américaines n'est pas à la conciliation. Donald Trump veut par exemple imposer des droits de douanes supplémentaires sur les marchandises en provenance de Chine mais aussi d’autres régions. Je ne crois pas non plus qu’il sera possible de trouver des sources d’approvisionnement alternatives à la Chine si facilement – même si l’on parle de re-régionalisation des chaînes d’approvisionnement dans les grandes entreprises. Toutes les tentatives de trouver des substituts à la Chine impliquent en général des coûts plus élevés. Enfin, de manière générale, lorsque des taxes sont imposées sur des biens importés, c’est en général le consommateur qui paie l’addition. Sans entrer dans les détails, toute la discussion en cours actuellement sur les droits de douane a un caractère passablement inflationniste. Le commerce mondial va devenir moins global et davantage régional, voire national.
Concernant les prix des matières premières, on entend parfois l’opinion selon lequel en raison des progrès technologiques, notamment ceux dans l’intelligence artificielle (IA), il sera à l’avenir possible d’utiliser beaucoup mieux les ressources disponibles. Qu’en pensez-vous?
Bien sûr, il y a toutes sortes d’améliorations qui pourront certainement être réalisés par les entreprises en matière d’utilisation de leurs ressources dans divers domaines et afin de réduire le gaspillage de certaines d’entre elles. Dans un premier temps, il faut toutefois être bien conscient qu’il sera nécessaire d’avoir énormément de ressources pour construire ou moderniser certains projets d’infrastructures, y compris dans le domaine de l’énergie. En outre, l’exploitation des plateformes et systèmes qui recourent à l’IA est elle-même extrêmement gourmande en énergie.
«Ni Donald Trump, ni Kamala Harris ne semblent placer la question de la dette au cœur de leurs préoccupations dans le cadre de la campagne présidentielle.»
Depuis le début de l’automne, les tensions géopolitiques sont montées d’un cran, au Moyen-Orient notamment, sans que cela n’ait véritablement eu un impact sur la hausse des marchés des actions. Comment peut-on intégrer ces risques dans sa politique de placement et dans son allocation d’actifs?
En ce qui concerne l’évolution des prix du pétrole, celui-ci est généralement fonction, d’une part, de la conjoncture et de l’équilibre fondamental entre l’offre à la demande. Il inclut, d’autre part, aussi une prime de risque. Or, cette prime de risque est, du moins jusqu’à présent, très peu prise en compte par les marchés. C’est un aspect auquel il faut demeurer attentif car il se peut que cela pousse les prix à la hausse à terme.
A l’inverse, comment observez-vous la hausse des prix de l’or depuis le début de cette année, qui s’est encore accélérée récemment?
La hausse des prix de l’or reflète en premier lieu le fait qu’un certain nombre de banques centrales ont transféré une partie de leurs avoirs en dollars vers l’or. Certes, l’or ne verse pas de coupon ni de dividende mais cela n’empêche pas que certains investisseurs utilisent l’or pour diversifier leurs placements. En outre, l’évolution de l’endettement aux Etats-Unis n’aide pas: entre 3 et 4 billions de dollars sont encore venus s’ajouter à la dette américaine au cours des 2 à 3 dernières années. Et ni Donald Trump, ni Kamala Harris ne semblent placer la question de la dette au cœur de leurs préoccupations dans le cadre de la campagne présidentielle. C’est pourquoi je pense que les investisseurs devront rester attentifs à l’évolution du dollar au cours des prochains mois. Il y a déjà un certain nombre de pays des BRIC qui essaient d’utiliser d’autres monnaies que le dollar pour régler les transactions. La part du dollar dans le commerce mondial tend à diminuer.
En ce qui concerne le marché des actions, les valeurs liées à la technologie, qu’il s’agisse des 7 Magnifiques ou d’autres titres de la Big Tech, ont occupé le devant de la scène tout au long du premier semestre mais sensiblement moins durant le troisième trimestre. Comment l’expliquer?
Les titres qui constituent les 7 Magnifiques, plus quelques autres valeurs de la Big Tech, ont contribué pratiquement à la totalité de la croissance des bénéfices durant le premier semestre. Cela a moins été le cas au troisième trimestre – d’ailleurs, un titre comme Nvidia a stagné depuis juillet. Il n’y a plus cette confiance illimitée envers le potentiel de croissance des bénéfices de tout de qui touche à l’IA. C’est de plus logique: en effet, les entreprises qui ont fortement investi dans toutes sortes de solutions liées à l’IA, doivent maintenant tenter de monétiser ces investissements. Comment cela peut réussir est la grande question du moment. Cela devrait entraîner une pause dans la croissance des entreprises liées à l’IA, ce qui semble également être justifiée. Le cycle des investissements lors de l’apparition d’une nouvelle technologie est souvent le même: dans un premier temps, des capacités sont étendues ce qui entraîne une forte demande pour les entreprises leader dans une technologie donnée. Dans un deuxième temps, la concurrence se fait plus vive car il y a de nouveaux entrants sur le marché, ce qui fait baisser les prix. Il en ira de même dans le domaine de l’IA. C’est pourquoi je pense que, dans une phase de ralentissement de la croissance, il vaut mieux éviter les segments devenus les plus chers sur le marché des actions. La question de la monétisation des investissements effectués dans l’IA va encore continuer à se poser pendant une certaine durée.