Mise à jour des règles US sur l'investissement responsable

Andrea Astone, BMO Global Asset Management

6 minutes de lecture

La progression du marché aux États-Unis dépasse désormais largement celle de l'Europe en glissement annuel.

©Keystone

Au cours des dix dernières années, l'investissement responsable a fait l'objet d'une croissance et d'une adhésion remarquables qui devraient perdurer au cours de la décennie à venir. Si l'Europe reste la région comptant le plus grand volume d'actifs intégrant des critères ESG, un important facteur de cette croissance mondiale est à trouver dans l'intérêt accru porté à ce marché aux États-Unis et dont la progression en glissement annuel dépasse désormais largement celle de l'Europe.

Dans ce contexte, en novembre 2019, la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine a suscité l’inquiétude des investisseurs en proposant deux séries de modifications de la réglementation existante pour encadrer la croissance du secteur de l'investissement responsable.

Ces modifications proposées par la SEC visent à répondre à certaines préoccupations sur l'exactitude et la transparence des votes par procuration et à moderniser les procédures de proposition de résolutions d’actionnaires. Toutefois, si ces propositions étaient adoptées, elles auraient pour effet d'accroître la charge réglementaire pesant sur les prestataires de service de vote par procuration et de restreindre davantage la capacité des investisseurs à soumettre des propositions de résolutions d'actionnaires.

De manière générale, ces propositions ont été interprétées par de nombreux investisseurs comme découlant d'un parti pris de la SEC en faveur des entreprises, éliminant ce qu'elle considère être un fardeau inutile pour celles-ci ou un obstacle de marché gênant pour elles et ce indépendamment des conséquences pour les investisseurs. Un aspect particulièrement préoccupant est que la SEC semble croire que les investisseurs soucieux des questions ESG dans les entreprises ne cherchent pas nécessairement le meilleur intérêt de leurs clients, mais sont plutôt motivés par des considérations sociales ou politiques, sous l'influence des prestataires de service de vote par procuration.

En janvier 2020, nous avons présenté une réponse officielle à la consultation de la SEC sur ces propositions. Vous trouverez une synthèse de nos principales préoccupations ci-dessous.

Propositions de la SEC pour réglementer les conseillers en vote par procuration

Les prestataires de service de vote par procuration, tels qu'Institutional Shareholder Services (ISS) ou Glass Lewis, aident les actionnaires à exercer leurs droits de vote lors des assemblées générales d’entreprises. En plus de fournir une assistance pour l'exécution des instructions de vote de leurs clients, ils fournissent également des analyses sur les résolutions pour formuler des recommandations sur la manière de voter lors des différents points à l'ordre du jour, en fonction de leurs propres directives de vote ou des politiques spécifiques de leurs clients.

En août 20191, la SEC a abandonné une position qu'elle défendait depuis longtemps, déclarant que la diffusion d'analyses sur les votes par procuration et/ou la fourniture de recommandations seraient désormais considérées comme du «démarchage de votes». La réglementation de la SEC définit le «démarchage» comme une communication auprès d'autres investisseurs pour les inciter à voter dans un sens donné. Jusqu'à présent, une définition plus restrictive avait été appliquée, selon laquelle ne se livraient au démarchage que ceux qui communiquaient publiquement auprès de tous les actionnaires pour les persuader de voter dans un sens donné. Désormais, la SEC appliquera une définition bien plus large du démarchage de vote, celle-ci s’appliquera à toute partie fournissant des conseils sur la manière de voter, y compris celles qui ne conseillent que des clients spécifiques.

Il s'ensuit qu'en vertu des lois existantes sur les valeurs mobilières, toute partie se livrant au démarchage de service de vote par procuration est tenue, entre autres, de déposer publiquement toutes ses communications auprès de la SEC. Une telle démarche est inconcevable pour les prestataires de service de vote par procuration, car elle compromettrait leur modèle économique en les obligeant à divulguer publiquement leurs travaux de recherche internes. En outre, ils pourraient être tenus pour responsables de tout ce qui pourrait être interprété comme étant sensiblement trompeur ou comme une déclaration erronée par omission.

Afin d'être exemptés de ces contraintes, les prestataires de service de vote par procuration doivent satisfaire à une nouvelle série d'exigences, notamment en donnant aux entreprises la possibilité d'examiner leurs projets de rapport et de donner leur avis sur ceux-ci pendant une période maximale de 13 jours avant leur diffusion auprès des clients et en permettant aux entreprises de joindre une réponse écrite au rapport final publié.

La SEC a déclaré que la publication d'analyses sur les votes par procuration
et/ou les recommandations en la matière relèvent du «démarchage de votes».
Notre avis sur ces propositions

Dans la mesure où nous cherchons à assurer le meilleur service possible à nos clients par l'exécution efficace de nos activités de gérance, nous craignons que ce nouveau cadre réglementaire n'introduise des exigences trop lourdes, pour répondre à des questions qui ont été mal comprises ou exagérées. Plus spécifiquement:

  1. La proposition prévoyant un examen par les entreprises semble peu pratique et réduira les efforts d'engagement direct entre les entreprises et les investisseurs 
    Nous estimons que la procédure d’examen par les entreprises n'est pas réalisable, au vu, notamment, du temps nécessaire à sa mise en œuvre alors que la plupart des assemblées générales sont concentrées sur une période assez courte au printemps. Le fait d'accorder aux entreprises un délai d’examen aussi important avant la publication (jusqu'à 13 jours civils au total) limitera le temps dont disposent les investisseurs pour étudier les analyses et entrer directement en contact avec les entreprises.
  2. L’examen obligatoire par les entreprises pourrait compromettre l'indépendance des analyses sur les votes par procuration
    En vertu du règlement actuellement en vigueur aux États-Unis, les analystes actions ne sont pas autorisés à partager leurs recommandations d'achat/vente avec les entreprises concernées avant leur publication afin de protéger leur indépendance. Il semble donc paradoxal que les prestataires de service de vote par procuration soient obligés de partager leurs rapports complets, y compris leurs conclusions et recommandations, plutôt que les seules sections contenant des informations factuelles. En permettant aux entreprises d'examiner et de commenter les projets de rapport dans leur intégralité, il est à craindre qu'elles n'aient une influence injustifiée sur les recommandations finales du vote.
  3. Ces propositions augmenteraient les barrières à l'entrée et pourraient, à terme, entraîner une situation de monopole
    En augmentant considérablement la charge réglementaire qui pèse sur les prestataires de service de vote par procuration par l’aggravation du risque de litiges et une réduction de l'efficacité de leur cycle de production, nous pensons que la SEC alourdit les barrières à l'entrée dans un secteur qui est déjà en situation de duopole.
Modifications, suggérées par la SEC, relatives au mécanisme de soumission de résolutions des actionnaires

Dans le cadre de la deuxième série de réglementations proposées, la SEC entend modifier les conditions régissant le dépôt par les investisseurs de propositions de résolutions d'actionnaires, notamment:

  • Hausse des exigences en matière de détention d'actions par un facteur de plus de dix par rapport à l'exigence actuelle et suppression de la possibilité pour les investisseurs de se regrouper pour atteindre ce seuil
  • Augmentation significative des seuils autorisant la proposition des mêmes résolutions d’année en année, même si celles-ci n'ont pas été reçues les années précédentes
  • Introduction d'une nouvelle règle dynamique consistant à bloquer les propositions de résolution lorsque le soutien en leur faveur recule de 10% ou plus (passant par exemple, de 40% à 36%)
  • Diverses modifications des dispositions administratives, telles que le renforcement de la règle de la «résolution unique», qui prévoit que davantage de personnes doivent assister physiquement à l'assemblée générale pour présenter des propositions de résolution, ainsi qu'une période d’«engagement» obligatoire entre le soumissionnaire et l'entreprise
Notre avis sur ces propositions

Nous pensons que le processus de proposition de résolutions par les actionnaires a eu un impact positif sur l'amélioration des pratiques ESG et plus particulièrement des pratiques de gouvernance dans les entreprises américaines, ce qui nous a amenés à investir dans des actifs de meilleure qualité pour le compte de nos clients. Notre principale préoccupation est que les propositions de changements de ce processus rendront plus difficiles la soumission et le maintien des résolutions et décourageront donc ce modèle à l'avenir.

Le cadre actuel n'impose pas de fardeau
disproportionné aux entreprises.

Le nombre effectif de résolutions proposées par les actionnaires qui sont votées chaque année est relativement faible, représentant généralement moins de 2% des points votés lors des assemblées générales d'actionnaires aux États-Unis, et, en moyenne, seulement 13% des entreprises de l'indice Russell 3000 reçoivent une proposition de résolution d’actionnaires. De plus, même si une résolution d'actionnaires est adoptée à la majorité, elle est, dans la plupart des cas, de nature non contraignante, la société restant entièrement libre de décider comment et si elle doit y donner suite.

Les résolutions d'actionnaires ne se limitent pas à des questions
de niche soulevées par des groupes d'intérêts particuliers.

L'hypothèse qui sous-tend la modification du règlement proposée par la SEC semble être que les résolutions proposées par les actionnaires sont déposées par des groupes d'intérêts particuliers motivés par la défense d'intérêts sociaux, plutôt que par des investisseurs ordinaires motivés par l'amélioration de la réussite financière des entreprises. Nous pensons au contraire que la communauté des investisseurs considère de plus en plus que les résolutions proposées doivent être jugées sur leur mérite propre, indépendamment de la partie qui les présente ou qui les dépose. Ceci est confirmé par le fait que le soutien en faveur des résolutions d'actionnaires sur les questions environnementales ou sociales n'a jamais été aussi important2.

Prochaines étapes
La période de consultation étant clôturée, nous pensions initialement que la SEC prendrait une décision finale sur ces propositions au cours du deuxième trimestre de cette année. Toutefois, la SEC n'est pas épargnée par les perturbations opérationnelles liées à l'épidémie de coronavirus. Il est donc fort probable que la progression du dossier soit suspendue pour l'instant. Quoi qu'il en soit, la communauté des investisseurs ayant exprimé une forte opposition, il se peut que les propositions finales soient quelque peu modifiées, même s'il est peu probable qu'elles soient purement et simplement abandonnées.
En outre, celles-ci ne seront pas les dernières propositions de la SEC susceptibles de brider les activités d'investissement responsable. De fait, celle-ci a dernièrement lancé une consultation sur une proposition de règlement concernant la dénomination des fonds3 en raison de préoccupations relatives à la multiplication des stratégies ESG avec des étiquettes telles que «propre», «impact», «responsable» et «durable».
Si nous convenons que les fonds d'investissement ESG doivent faire preuve de rigueur afin d'éviter l’«écoblanchiment», nous craignons que si les réglementations se révèlent irréalistes ou inflexibles, elles ne risquent d'étouffer l'innovation en matière de produits répondant aux besoins des clients.
Enfin, il existe un domaine auquel nous pensons que la SEC devrait accorder davantage d'attention en ce moment pour améliorer les mécanismes du marché américain: le «proxy plumbing» ou tuyauterie du vote par procuration. Ce terme est utilisé pour décrire les procédures et les systèmes permettant de transmettre, d'enregistrer et de mettre en œuvre les instructions de vote des investisseurs lors des assemblées générales des sociétés.
Il est en effet largement admis que la tuyauterie existante du vote par procuration est inefficace, opaque et, trop souvent inexacte. Bien que le comité consultatif des investisseurs de la SEC ait formulé l'année dernière une série de recommandations4 concernant de possibles améliorations, comme la mise en place de confirmations de vote sur la totalité du processus, et malgré le fait que le président de la SEC, Jay Clayton, ait reconnu l'importance de la question5, nous n'avons toujours pas observé d'action concrète ni de réglementation dans ce domaine.
 
1 https://www.sec.gov/news/press-release/2019-158
2 Comme évoqué dans notre bilan de la saison des votes par procuration aux États-Unis et au Canada (https://www.bmogam.com/us-en/advisors/news- and-insights/2019-voting-season-review-us-and-canada/)
3 https://www.sec.gov/rules/other/2020/ic-33809.pdf
4 https://www.sec.gov/spotlight/investor-advisory-committee-2012/iac-recommendation-proxy-plumbing.pdf
5 https://www.sec.gov/news/press-release/2019-158

 

 

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