ESG: dialoguer avec les fournisseurs chinois

Fabien Bulliard, Fidelity International

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Les efforts d’engagement des entreprises peuvent influencer la réflexion des industriels chinois.

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À Noël l'an dernier, aux quatre coins du monde, de nombreux enfants se sont réveillés avant l'aube pour déballer leurs cadeaux. Mais leur excitation à ce moment-là occultait une réalité insupportable: un bon nombre de ces jouets ont été fabriqué par des ouvriers qui travaillent dans des conditions cauchemardesques, selon une enquête menée par des militants infiltrés.1

Selon ce rapport, qui a rencontré un écho considérable dans les médias, les ouvriers des usines de jouets en Chine sont obligés d'effectuer des heures supplémentaires et de travailler dans des conditions de sécurité précaires pour fabriquer des articles pour de célèbres marques de jouets.

Le rapport a été publié à une période sensible. L'investissement durable entre dans les mœurs. Dans ce contexte, les investisseurs sont de plus en plus soucieux des pratiques susceptibles de nuire à la réputation des entreprises et à la société dans son ensemble.

Résultat, les entreprises découvrent qu'il ne suffit pas de respecter les normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) : elles doivent également veiller à ce que leurs fournisseurs les appliquent eux aussi. Cela n'est pas une mince affaire dans un pays comme la Chine, qui pèse environ 20% de la production manufacturière mondiale et où les chaînes logistiques sont souvent tentaculaires, avec un nombre considérable de maillons.2

Notre approche globale et mondiale de la gestion ESG

L’édition 2019 de notre enquête auprès des analystes a montré que la gestion de la chaîne d’approvisionnement est une préoccupation grandissante pour les dirigeants d’entreprises, notamment dans le secteur des biens de consommation.3 À juste titre: le recours à la sous-traitance comporte toujours un risque juridique, réputationnel ou opérationnel.

Même s'il n'est pas possible d'éliminer les risques inhérents à la chaîne logistique, ces derniers peuvent être atténués à l'aide d'une politique stricte de référencement des fournisseurs et d'un suivi régulier et minutieux par la suite. Ces procédures deviennent de plus en plus courantes en Europe et aux États-Unis, où les entreprises font généralement preuve d'une certaine transparence quant à leurs relations fournisseurs. Toutefois, cela est moins vrai dans de nombreux pays asiatiques, y compris la Chine.

C'est pour cette raison que nous avons récemment lancé un programme d'engagement avec les entreprises de la région dans lesquelles nous avons investi, qui est notamment axé sur le respect des droits de l'homme et une politique d'achat responsable d'un point de vue environnemental tout au long de leur chaîne logistique. Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur le secteur du textile et du prêt-à-porter, où les relations fournisseurs ressemblent à un mille-feuille caractérisé par un manque de traçabilité et des modifications rapides induites par le marché, autant de facteurs qui peuvent poser des risques en matière de conditions de travail, de sécurité et de respect des droits de l'homme. Nous plaidons pour une transparence accrue afin de garantir qu'au final, toutes les entreprises dans lesquelles nous investissons mettent en place des procédures systématiques pour le référencement des fournisseurs, mènent des audits réguliers et fassent respecter les droits de l'homme.

Ce dialogue avec les fabricants chinois s'inscrit dans le cadre de notre approche globale et mondiale, qui vise à intégrer les facteurs ESG à nos décisions d'investissement. En début d'année, Fidelity a lancé sa propre grille de notation interne de durabilité, reconnaissant que le respect de ces principes peut accroître la valeur d'un portefeuille. Les gérants d'actifs peuvent apporter leur pierre à l'édifice en usant de leur influence pour convaincre les entreprises de respecter des normes de durabilité plus strictes.

Il est vrai que certaines entreprises s'adaptent plus lentement que d'autres à ces nouvelles normes. Néanmoins, nous pensons que les entreprises reconnaissent de plus en plus le coût potentiel induit par un retard dans ce domaine: en effet, une entreprise qui échoue systématiquement à atteindre ses objectifs de durabilité risque d'être boudée par les consommateurs mais aussi par les investisseurs, ce qui peut se traduire au final par une hausse du coût du capital.

La condition humaine

Lorsque nous évoquons le sujet du respect des droits de l'homme par les fournisseurs, nous faisons référence à des questions telles que le travail forcé, le salaire minimum pour vivre, des horaires de travail appropriés, le travail des enfants et la sécurité au travail. La moitié environ des entreprises avec lesquelles nous avons engagé ce dialogue à ce jour, tiennent compte dans une certaine mesure, de la question des droits de l'homme dans leur chaîne logistique. Au minimum, elles réalisent des audits annuels.

D’autres en restent au stade des belles paroles, citant leurs relations avec de célèbres multinationales comme une preuve de leur engagement à respecter les droits de l’homme. Toutefois, cela ne signifie pas grand-chose en l’absence de structures pour soutenir cette démarche. Dans ces cas, nous encourageons les entreprises à formaliser et à publier des politiques relatives aux droits de l’homme qui régiront leurs relations avec leurs fournisseurs.

Toutes les entreprises ne sont pas disposées à le faire. Un grand fabricant chinois de produits textiles a refusé d’accéder à nos demandes de transparence accrue en matière de relations avec les fournisseurs, invoquant le caractère confidentiel de ces informations. Dans la mesure où rares sont les investisseurs qui posent ce type de questions, cette entreprise et d’autres avec lesquelles nous avons engagé le dialogue n’ont jamais considéré qu'il était nécessaire d'y répondre. Toutefois, face à notre insistance, elles nous ont rassuré quant au fait que leurs questionnaires fournisseurs comportaient bien des questions sur les droits de l’homme et qu’elles visitaient les installations de leurs principaux fournisseurs pour évaluer, entre autres, les conditions de travail des salariés. Elles ont également accepté de divulguer plus d’informations directement à leurs clients. Nous continuerons de faire un suivi auprès de cette entreprise et, si nous n'obtenons pas les réponses attendues, nous envisagerons de nous rapprocher d’autres investisseurs pour faire pression sur elle.

Parfois, les entreprises réagissent favorablement à la pression de l'opinion publique. L'une des entreprises dans lesquelles nous avons investi, qui a des usines en Chine et en Malaisie, a été accusée par un média de violer les droits de l’homme. Des responsables de l’entreprise ont nié cette accusation et nous ont confirmé qu’ils envisageaient de recruter un spécialiste ESG pour améliorer la transparence de leurs politiques en matière de droits de l’homme, car ils réalisent l’importance de ce sujet pour les investisseurs et les clients. 

Un cas de bonne pratique

À l'opposé se trouvent des entreprises qui donnent l'exemple en appliquant des normes strictes en matière de droits de l'homme d'un bout à l'autre de leur chaîne logistique et vont même jusqu'à aider les fournisseurs dont les pratiques laissent à désirer. Une célèbre enseigne de prêt-à-porter cotée à Hong Kong illustre bien ce qu'il est possible de réaliser dans ce domaine.

Cette enseigne, qui ne dispose pas de ses propres usines, a adopté un «code de déontologie des fournisseurs» qui constitue la base du référencement de ses fournisseurs et de ses processus de contrôle. Des auditeurs internes et externes effectuent des visites programmées, mais aussi à l’improviste, des usines de leurs fournisseurs. Ils s'adressent directement aux ouvriers présents, examinent les fiches de paie et les registres des heures supplémentaires et vérifient les passeports ou autres documents d'identité des salariés pour vérifier leur âge. Ils vont même jusqu'à ouvrir les placards pour s'assurer que des travailleurs mineurs ne s'y cachent pas, comme ils ont déjà pu le constater chez certains fournisseurs.

L'entreprise s'est fixée comme objectif que tous ses fournisseurs obtiennent une note au moins équivalente à «acceptable» à l'issue de ces audits de conformité sociale. À ce jour, 95% d'entre elles ont obtenu cette note, les 5% restants correspondant à des entreprises qui travaillent toujours sur des plans d'amélioration ou qui ont été référencées trop récemment pour faire l'objet d'un audit. Elle a également mis en place des règles judicieuses pour régler les manquements constatés. Par exemple, les fournisseurs qui sont pris à faire travailler des mineurs sont tenus de scolariser les enfants tout en leur versant un salaire et de leur garantir un emploi lorsqu'ils auront atteint l'âge légal pour travailler. L'enseigne affirme que le coût de ces mesures est dérisoire pour ces fournisseurs.

De plus, elle conteste les affirmations des entreprises qui déclarent n’avoir jamais constaté de manquements chez leurs fournisseurs: selon elle, ces manquements sont fréquents mais rarement signalés.

Cet exemple de bonnes pratiques est loin d'être la norme. Toutefois, nous le trouvons très encourageant et pensons que son modèle de gestion de la chaîne logistique est celui que toutes les entreprises devraient suivre.

Achat responsable

Nos activités d’engagement sont également axées sur l’achat responsable d’un bout à l’autre des chaînes logistiques. Dans la mesure où il faut parfois jusqu’à 2'700 litres d’eau pour cultiver le coton d’un t-shirt, la préservation de l’eau, ainsi que les déchets chimiques, sont des sujets particulièrement importants pour l’industrie du textile.4 Les entreprises ont fait des progrès non négligeables dans ce domaine, notamment en Chine, en partie grâce à la réglementation environnementale de plus en plus stricte imposée par les autorités locales.

En fait, au travers de notre engagement, nous avons découvert que de nombreuses entreprises en font bien plus qu’elles ne le déclarent officiellement et vont souvent au-delà de leurs obligations réglementaires. Une entreprise chinoise de prêt-à-porter recycle environ 30% de ses eaux usées et entend porter ce taux à 100% d'ici quatre ans. Pour atteindre cet objectif ambitieux, elle a entrepris de construire une station d’épuration, un investissement lourd dont elle ne tire aucun revenu. Une autre entreprise chinoise de ce secteur industriel s’est fixée un objectif ambitieux de zéro émission pour ses opérations d’ici deux ans.

Plus de transparence quant aux violations

En étant claires sur les conséquences des mauvaises pratiques, les entreprises peuvent avoir une grande influence sur leurs fournisseurs. Lorsqu'un fournisseur viole les droits de l'homme ou sa politique d'achat responsable, il est rarement optimal pour un partenaire commercial de s'en écarter tout simplement car cela n'est pas de nature à encourager le changement. On peut voir cette situation comme une opportunité de sensibiliser et de conseiller les entreprises (qui, bien souvent, ne comprennent pas tout à fait ce que l'on attend d'elles) et, au final, les aider à atteindre des normes acceptables.

Il est difficile d'évaluer l'ampleur des manquements et la façon dont les entreprises et leurs fournisseurs réagissent à la pression. En effet, rares sont les entreprises (y compris en Europe) qui dévoilent les résultats de leurs audits fournisseurs. Nous sommes très demandeurs de progrès dans ce domaine et continuerons d'exhorter les entreprises dans lesquelles nous investissons de façon à améliorer la transparence de leur processus d'audit. En fait, lorsque nous avons encouragé un fabricant de vêtements de sport chinois à divulguer les résultats de ses audits, ce dernier nous a demandé de préciser nos demandes par écrit afin que son conseil d'administration puisse y répondre de manière formelle.

Nous avons conscience qu'il est peu probable que les entreprises changent leurs pratiques du jour au lendemain mais, compte tenu des progrès constants observés, nous sommes confiants quant à l’utilité de nos efforts d’engagement, qui ont déjà abouti à un changement significatif dans la réflexion de certains industriels chinois. Au fil du temps, nous pensons que les bases que nous avons jetées feront davantage bouger les choses au profit des consommateurs et des investisseurs.

1 http://www.chinalaborwatch.org/report/138
2 https://www.brookings.edu/research/global-manufacturing-scorecard-how-the-us-compares-to-18-other-nations/
3 Enquête Analystes 2019 de Fidelity 
4 https://www.huffpost.com/entry/cottons-water-footprint-world-wildlife-fund_n_2506076

 

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