Sanctions et intermédiaires financiers

Jean-Marie Kiener, FBT Avocats

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Troisième volet d’une série consacrée à l’impact des obligations contraignantes imposées aux intermédiaires financiers dans le cadre des sanctions économiques sur l’Ukraine.

Pour ce troisième article de notre série de l’été sur les sanctions internationales, nous nous intéressons plus concrètement aux obligations que leur mise en œuvre impose aux intermédiaires financiers.

Moins commentées que les obligations en matière de lutte contre le blanchiment, les obligations en matière de sanctions internationales n’en sont pas moins lourdes de conséquences pour les intermédiaires financiers. La difficile implémentation de l’ordonnance édictée le 4 mars 2022 par le Conseil fédéral dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a permis de le rappeler.

Les ordonnances du Conseil fédéral fondées sur la Loi sur les embargos (LEmb), comme c’est le cas de l’ordonnance précitée du 4 mars 2022, s’adressent en premier lieu aux intermédiaires financiers qui gèrent ou administrent des actifs appartenant aux personnes physiques ou morales visées par les sanctions. Ces intermédiaires financiers incluent évidemment les banques mais également tous les intermédiaires financiers au sens de l’article 2 alinéa 2 de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA), soit notamment les gestionnaires de fortune, les trustees et les directions de fonds.

En pratique, le respect des sanctions internationales s’accompagne presque toujours d’une impossibilité pour les intermédiaires financiers de respecter leurs obligations contractuelles envers leurs clients.

La première obligation des intermédiaires financiers est de monitorer les sanctions adoptées par le Conseil fédéral ainsi que les listes des personnes sous sanctions publiées sur le site du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Afin d’assurer une bonne gestion de ses risques, tout intermédiaire financier sera bien inspiré de surveiller également les sanctions prononcées par l’agence américaine pour le contrôle des transferts d’actifs (OFAC – Office of Foreign Assets Control).

Si cette surveillance est relativement aisée pour les grands acteurs qui disposent d’un département compliance et de systèmes informatiques de filtrage, elle peut s’avérer plus compliquée pour les petits intervenants de l’industrie – tels que les gestionnaires de fortune indépendants ou trustees – qui ne bénéficient pas de telles ressources pour passer leur clientèle au crible. Si ces acteurs peuvent, dans une certaine mesure, se reposer sur les contrôles effectués par les banques dépositaires, leurs obligations en cas de relation avec une personne figurant sur une liste de sanctions demeurent pleines et entières.

Les mesures de coercition à prendre en cas de relation d’affaires avec une personne visée par les sanctions sont précisées dans les ordonnances édictées par le Conseil fédéral en application de la LEmb. Comme c’est le cas de l’ordonnance du 4 mars 2022, ces mesures imposent généralement de procéder au blocage des avoirs et de communiquer sans délai le nom de leur bénéficiaire ainsi que la valeur des avoirs au SECO. On se permettra de rappeler ici que cette obligation de communication au SECO est indépendante et s’ajoute aux obligations de communication au MROS en vertu de la LBA.

En pratique, le respect des sanctions internationales s’accompagne presque toujours d’une impossibilité pour les intermédiaires financiers de respecter leurs obligations contractuelles envers leurs clients. Ceux-ci peuvent toutefois être rassurés: comme c’est le cas en matière de lutte contre le blanchiment, les intermédiaires financiers n’engagent pas leur responsabilité si leur action, respectivement leur inaction, est justifiée par les obligations légales qui leur incombent.

La violation des règles sur les sanctions peut parvenir à la connaissance de la Finma, notamment suite à des audits prudentiels.

En revanche, la violation intentionnelle des mesures ordonnées en application de la LEmb peut constituer un délit pénal, voire un crime dans les cas graves. Une violation par négligence de certaines mesures peut également être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de trois mois ou d’une amende de 100'000 francs au plus.

Par ailleurs, la violation des règles sur les sanctions peut parvenir à la connaissance de la Finma, notamment suite à des audits prudentiels. L’Autorité dispose des moyens prudentiels pour prendre des mesures à l’égard d’établissements soumis à sa surveillance qui auraient violé les dispositions relatives aux sanctions. Ces mesures peuvent aller du rétablissement de l’ordre légal au retrait pur et simple de l’autorisation d’exercer. Selon les circonstances, elles peuvent s’accompagner de la confiscation du gain acquis par l’intermédiaire financier dans le cadre de la relation concernée. Des sanctions, notamment sous forme d’amende ou d’exclusion, peuvent également être prononcées par les organismes de surveillance. Les règles sur les sanctions ciblant souvent des personnes politiquement exposées, leur violation peut par ailleurs s’accompagner d’une violation des règles en matière de blanchiment qui peut également être sanctionnée.

Compte tenu des conséquences graves qu’une violation peut entraîner, notamment au niveau prudentiel, les intermédiaires financiers ont tout intérêt à s’organiser de manière à assurer un respect absolu des régimes de sanctions internationales.

 

Premier volet de cette série

Deuxième volet de cette série

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