Structurés et cryptos: un mariage difficile

Levi-Sergio Mutemba

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Réglementation incertaine et faiblesse des infrastructures freinent le développement des produits structurés onchain ou ayant des actifs numériques comme sous-jacents.

Photo de Pawel Szvmanski sur Unsplash.

 

Le feu vert donné par la Securities and Exchange Commission (SEC) pour le négoce des exchange-traded funds (ETF) sur le Bitcoin au comptant fait naître l’espoir que d’autres catégories de produits d’investissement seront de plus en plus accessibles aux investisseurs intéressés par les actifs numériques. En particulier les produits structurés utilisant ces actifs en tant que sous-jacents. Toutefois, force est de constater que les obstacles ne sont pas seulement nombreux mais également difficiles à surmonter. Les barrières réglementaires et opérationnelles sont les plus citées.

Les acteurs les plus enthousiastes déploient pourtant de gros moyens pour introduire les produits structurés négociés sur la blockchain, les «onchain structured products». Actuellement, les capitaux que les investisseurs ont placé dans ces onchain structured products (soit la «Total Value Locked») ne représente que 0,21% du marché total des cryptos, d’après les chiffres de l’organisation autonome décentralisée (DAO) Index Coop. Soit un peu plus de 2,4 milliards de dollars, alors que le marché total des cryptos est évalué à environ 1100 milliards de dollars. Et plus de 94% de ces capitaux sont destinés à des produits structurés d’optimisation du rendement.

En 2016, Enzyme Finance a lancé l’un des premiers protocoles d’échanges décentralisés basé sur Ethereum et permettant aux utilisateurs de créer, gérer et investir dans des produits d’investissement digitaux, dont des produits structurés sur cryptos. L’entreprise a été cofondée par Mona El Isa, ancienne responsable de la recherche en actifs numériques chez Goldman Sachs, et par le mathématicien Rito Trinkler.

«La croissance des produits onchain ne se matérialisera que si nous trouvons un moyen de les rendre accessibles à un public bien plus large.»

En 2017, c’est au tour de la DAO Set Protocol de lancer sa propre plateforme. Celle-ci permet aux investisseurs de créer leurs propres tokens représentant des actifs sous-jacents sur la base de la chaîne Ethereum. Près d’une cinquantaine d’autres projets similaires furent lancés depuis, dont les DAO baptisées Yearn, Compound, Summer.fi (ex-Oasis), Alpaca ou encore Index Coop.

Cependant, leur utilisation demeure marginale. Dans son rapport The State Of The Onchain Structured Product Market publié l’an dernier, Index Coop ne cache pas les raisons de ce décollage tardif. À commencer par la barrière réglementaire, à un moment où même les sous-jacents numériques eux-mêmes sont peu encadrés sur le plan juridique.

«Les innovations dans le domaine des produits structurés sur la blockchain sont encourageants, mais la plus importante barrière à leur développement est, selon moi, l’ambiguïté réglementaire», explique Christopher Jensen, directeur de la recherche du Digital Asset Management chez Franklin Templeton, cité dans une enquête réalisée par Index Coop. Mona El Isa, qui a également pris part à l’enquête, cite pour sa part le caractère embryonnaire des infrastructures pour ce type de produits. «La croissance des produits onchain ne se matérialisera que si nous trouvons un moyen de les rendre accessibles à un public bien plus large», estime-t-elle.

Que dire alors des produits structurés off-chain ou traditionnels, ayant pour sous-jacents des actifs numériques? Là non plus, rien n’est simple. Mis à part ce que l’on pourrait appeler les blue chips de l’univers des actifs numériques, peu d’actifs cryptos s’avèrent pertinents en tant que sous-jacents intéressants pour les produits structurés.

«Les investisseurs s’intéressent surtout au potentiel haussier des cryptomonnaies ou autres actifs numériques.»

«Pour l’heure, les sous-jacents les plus populaires ou les plus utilisés restent Bitcoin et Ethereum», observe Patrick Loepfe, cofondateur et président du leader suisse et indépendant de la titrisation GenTwo, contacté par Allnews. «On peut également citer quelques produits structurés sur devises, ayant pourtant Bitcoin comme sous-jacent, mais ceux-ci n’ont pas vraiment rencontré de succès. Des placements sur devises ne sont pas dissociables des taux d’intérêt, or les cryptomonnaies n’en rapportent pas», poursuit Patrick Loepfe.

Difficile également de lancer des produits d’optimisation du rendement ayant des cryptos comme sous-jacents. «Les investisseurs s’intéressent surtout au potentiel haussier des cryptomonnaies ou autres actifs numériques. Il se trouve que les produits d’optimisation sont destinés principalement à des investisseurs tablant sur une évolution latérale ou stable de l’actif sous-jacent, ce qui n’est visiblement pas le cas des actifs numériques», ajoute Patrick Loepfe.

«Selon moi, les produits structurés sur cryptos pouvant présenter un intérêt pour les investisseurs sont plutôt les produits à levier, qui démultiplient la performance quotidienne des actifs sous-jacents. Mais ceux-ci exigent une certaine expertise en raison, notamment, du risque lié à l’effet de composition des rendements.»

Toutefois, Patrick Loepfe estime que les avancées dans le secteur des exchange-traded funds (ETF) adossés aux actifs numériques pourraient accélérer le développement des produits structurés sur cette classe d’actifs. Un des facteurs déterminants résiderait dans la diversité des profils d’investissement. «Le fait que les cryptomonnaies et les actifs numériques en général attirent presque exclusivement les spéculateurs constitue selon moi un frein au développement des produits structurés sur ce segment», conclut Patrick Loepfe.

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