Royaume-Uni: retour aux années 1970

Arthur Jurus, ODDO BHF

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Le plan budgétaire pourrait accentuer la hausse des prix si elle mène l’économie au-dessus de son potentiel.

Le nouveau gouvernement britannique a annoncé de nouvelles mesures pour soutenir les entreprises et les ménages face à la hausse massive des prix de l’énergie. Ces aides atteindront plus de 60 milliards de livres pour le deuxième semestre de l'année fiscale et viseront à fournir des allègements fiscaux (45 milliards), des incitations à l'investissement et des mesures de déréglementation. Le plan est le deuxième plus important annoncé de l’économie britannique post-guerre mondiale après celui mené par Margaret Thatcher de 1979 à 1990.

A contrario de la politique de l’offre des années 1980, le Plan de 2022 pourrait s’avérer plus décevant. La réaction des marchés a révélé une perte de confiance significative. Après la présentation du plan budgltaire, la livre s'est temporairement effondrée de plus de 8% par rapport au dollar américain. La situation sur le marché des changes s'est calmée après les mesures de stabilisation de la Banque d'Angleterre pour le marché des obligations. Néanmoins, le taux 10 ans a progressé de plus de 100 points de base cette semaine.

La hausse des taux longs britanniques a de fortes implications. En raison de l'augmentation des coûts de refinancement et de couverture, certains établissements ont temporairement suspendu la distribution de certains produits hypothécaires. Surtout, de nombreux fonds de pension ont rencontré d’importantes difficultés. En raison de leurs obligations de paiement à long terme, ceux-ci ont mis en place des couvertures qui, compte tenu de la chute des cours sur les marchés obligataires, ont entraîné des appels de marge considérables. Cela a à son tour contraint les fonds à liquider des portefeuilles d'obligations et d'actions – notamment des obligations d'État – et a alimenté les baisses de cours. L'aggravation de la crise sur le marché des obligations a même contraint la Banque d'Angleterre à intervenir. Cette dernière a annoncé reprendre le rachat des obligations d'État à long terme (échéance de plus de 20 ans) dans le cadre d'enchères quotidiennes jusqu'au 14 octobre, à hauteur de 5 milliards de livres par enchère, soit au total jusqu'à 65 milliards de livres.

L’économie britannique souffre d'un choc d'offre massif qui a menacé de pousser le taux d'inflation vers 15%.

Il est toutefois permis de douter du succès de ce paquet. D’une part, le «mini-budget» pour alléger l’impôt sur le revenu entraîne une augmentation massive de la dette publique. Selon les estimations provisoires de l'Institutes for Fiscal Studies, le déficit de recettes pourrait passer de 99 milliards de livres, selon les dernières prévisions, à environ 190 milliards de livres, soit de 3,9% à 7,5% du produit intérieur brut, pour l'année fiscale 2022-23 en cours. Le déficit devrait se réduire au cours des années suivantes en raison de la limitation dans le temps du paquet énergétique. Mais même dans ce cas, il risque de se stabiliser à près de 4%, soit bien plus que le dernier objectif de 1,1% du PIB.  Cela signifie que la dette publique, qui s'élevait à environ 100% du PIB fin mars 2022, pourrait augmenter de manière tendancielle.

D’autre part, l’objectif du gouvernement d’atteindre une croissance de long-terme de 2,5% semble difficilement atteignable. Si l'on considère que la croissance du potentiel de main-d'œuvre est de 0,5% par an et que l'on y ajoute la croissance annuelle moyenne de la productivité du travail de 0,8%, nous obtenons une croissance potentielle de 1,3%. Sans une immigration accrue, il faudrait donc que la croissance tendancielle de la productivité fasse plus que doubler pour atteindre une croissance potentielle de 2,5%.

Enfin, les dépenses publiques annoncées arrivent au mauvais moment. L’économie britannique souffre d'un choc d'offre massif qui a menacé de pousser le taux d'inflation vers 15%. Cela nécessite d’augmenter les taux d'intérêt. Le plan budgétaire pourrait donc accentuer la hausse des prix si elle mène l’économie au-dessus de son potentiel. L'impulsion donnée par la politique budgétaire est donc opposée aux efforts de la banque centrale pour endiguer l'inflation. Cette semaine, cela s’est illustré par l’affaiblissement de la livre qui va augmenter l’inflation importée. En réaction, la Banque Centrale d’Angleterre pourrait augmenter son taux directeur de 150 points de base en novembre, ce qui pénalisera à son tour le financement des mesures budgétaires.

2022 fait ainsi écho aux années 1970. Le chancelier de l’Echiquier, Anthony Barber, avait alors procédé à des allégements fiscaux massifs. La livre s’était alors dépréciée, ce qui avait accentuée l’inflation lors de la première crise pétrolière et mener à de violents conflits sociaux. Le gouvernement avait ensuite perdu les élections législatives de 1974 avant que le dérapage de la balance des paiements ne conduise à un plan du FMI en 1976. Le dérapage de l’inflation, un déficit public plus élevé, une balance courante déficitaire, une hausse rapide des taux directeurs et un risque de récession toujours plus élevé sont habituellement des fondamentaux financiers d’une économie émergente en difficulté. 30 mois après la sortie de l’UE, le pari du «small is better» n’est donc pas encore une réussite.

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