Les marchés s'ajustent à l'inflation

Patrick Zweifel, Pictet Asset Management

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Aux Etats-Unis, l’inflation surprend encore: une invitation au réajustement pour des marchés plus réalistes.

Pour le troisième mois consécutif, l’inflation aux États-Unis a dépassé les attentes, surprenant aussi bien les marchés que la Réserve fédérale américaine (Fed). En janvier, les marchés financiers anticipaient une baisse du taux directeur de 170 points de base d'ici la fin de l'année, soit presque sept réductions de taux. Aujourd'hui, moins de deux baisses sont envisagées. Les taux des obligations à 10 ans ont atteint leur niveau de novembre dernier en grimpant de 85 points de base à 4,6%, et les marchés boursiers ont perdu près de 4% depuis l'annonce des derniers chiffres de l'inflation. Ces mouvements de marché ont été exacerbés par le président de la Fed qui a indiqué que «l’absence de nouveaux progrès» en matière d’inflation signifiait que les baisses de taux seraient retardées, marquant ainsi son deuxième changement de cap en quatre mois, après celui de décembre qui signalait le début d’un cycle d’assouplissement monétaire. La révision des attentes des marchés et le pivot sur le pivot de la Fed semblent désormais plus alignés avec la réalité économique américaine.

L'inflation sous-jacente est restée stable en mars à 3,8% en glissement annuel, encore loin de l'objectif de 2%, avec une tendance à la hausse sur des périodes plus courtes, atteignant 3,9% annualisé sur six mois et 4,5% sur trois mois. Cette persistance de l'inflation est principalement due à la composante des services, particulièrement ceux hors loyers, avec une augmentation de plus de 6% sur six mois. Cette tendance est préoccupante car elle est à la fois influencée par les salaires, dont la croissance peine à décélérer, et soutenue par une forte demande des ménages. Les dépenses en services ont augmenté de 4,5% sur six mois annualisé, bien au-dessus du taux de croissance moyen de 1,7% des dix années précédant la pandémie. La Fed, qui comptait sur la poursuite du choc d'offre positif pour freiner l'inflation, doit maintenant maintenir des taux  élevés plus longtemps pour modérer la demande des consommateurs. Reste à savoir si la politique monétaire actuelle est suffisamment restrictive pour ralentir cette demande ou s'il ne faudrait pas même, à l’extrême, envisager de nouvelles augmentations de taux. La réponse nécessite une comparaison entre le taux d'intérêt actuel et un taux d'intérêt naturel non-observé qui serait en vigueur si l'économie opérait à son potentiel avec une inflation à l'objectif. Les deux modèles les plus utilisés pour estimer ce taux d’intérêt naturel en terme réel, nommé r-étoile (r*), ont récemment donné des résultats divergents, le premier indiquant un r* à 0,7% et le second à 2,2%. Sans une forte conviction sur la supériorité d'une approche sur l'autre, la moyenne de ces modèles suggère un r* à 1,5%, proche du taux réel actuel de 1,7%. Selon cette perspective, la Fed serait légèrement restrictive (de 20bps), bien en-deçà des 150bps du début des années 1980 mais comparable aux 30bps de la fin des années 1990. Maintenir les taux légèrement plus élevés pour s'assurer d'être clairement dans une phase restrictive semble être une stratégie raisonnable, d'autant que la Fed pourrait ne pas avoir à attendre trop longtemps, étant donné l'affaiblissement des facteurs soutenant la demande de services.

En février, le revenu disponible réel des ménages américains s’est contracté, affichant sur les six derniers mois une croissance deux fois inférieure à sa tendance à long terme. En l’absence d’autres facteurs, une telle réduction de croissance du revenu réel sous son rythme habituel devrait entraîner un ralentissement correspondant dans la croissance de la consommation réelle. La bonne nouvelle pour l’inflation et la Fed est que les facteurs qui ont jusqu'à présent permis aux ménages de maintenir un niveau élevé de dépenses commencent à s'essouffler. En effet, les ménages ne peuvent plus s'appuyer sur l'excédent d'épargne accumulé pendant la pandémie, qui devrait être épuisé d'ici fin avril, ni sur un accroissement du crédit à la consommation, dont la croissance ralentie reflète clairement l'impact de la politique monétaire sur les ménages américains.

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