Gestion du risque de taux

Jérôme Legras, Axiom Alternative Investments

3 minutes de lecture

Quelle est la situation des banques européennes?

Les banques réclament des taux plus élevés depuis près d'une décennie. Il est donc paradoxal qu’alors que leurs souhaits se réalisent, les risques apparaissent en raison de la hausse des taux.

Pour simplifier à l'extrême, disons que les banques sont comme un investisseur obligataire : elles sont heureuses de voir les taux s’élever car c’est signe de rendement plus élevé, mais elles doivent gérer le mark-to-market plus faible des obligations qu’elles détiennent. Les banques disposent d'une très grande variété d'outils pour gérer ce problème: alignement actif-passif, produits dérivés, lignes de liquidité d'urgence, etc. Mais chacune le gère différemment, avec plus ou moins de risques et des stratégies plus ou moins bonnes.

Les taux augmentent depuis un an, mais curieusement, il a fallu la faillite de la Silicon Valley Bank pour que les investisseurs se souviennent du problème. Il convient néanmoins de souligner la spécificité de la banque et la façon dont elle s'est développée post-Covid. Comme l'histoire bancaire l'a montré à maintes reprises, la croissance exponentielle est rarement une bonne idée dans le secteur bancaire et ce cas ne fait pas exception.

Naviguer dans le bilan d'une banque peut ressembler à un labyrinthe. Il est donc utile de simplifier les types d'actifs qu'une banque peut détenir et leurs conséquences sur le risque de taux d'intérêt.

  • Les obligations destinées aux opérations de trading voient la variation de leur valeur directement comptabilisée dans le compte de résultat, ce qui ne pose pas de problème car elles sont reflétées à leur valeur de marché dans le bilan d’une banque.
  • Les obligations détenues en AFS (Available for sale) sont comptabilisées sur la base de la valeur de marché: les variations de valeur n'entrent pas dans le compte de résultat mais impactent uniquement les capitaux propres. L'impact réglementaire varie selon les juridictions, par exemple aux États-Unis, ces obligations peuvent être détenues hors du CET1 (ce qui donne une image plus positive de la solvabilité), alors qu'en Europe, elles sont directement intégrées au CET1 et les banques subissent l'impact sur le capital si les taux augmentent. En fonction du choix réglementaire, on obtient donc soit des ratios de capital plus stables, soit des ratios plus conservateurs.
  • Les obligations détenues en HTM (Held to maturity) ne voient pas la variation de leur valeur de marché reflétée dans le compte de résultat, les fonds propres ou les capitaux propres réglementaires. Les banques européennes ont eu davantage recours à cette catégorie après l'adoption de la norme IFRS9 afin de réduire la volatilité de leur capital, en particulier celle de leur portefeuille d'obligations.
  • Les prêts ont exactement le même traitement comptable et réglementaire que les obligations détenues jusqu'à échéance mais leur prix de marché ne sont pas facilement observables.

Toutefois, lorsque l'on raisonne en termes de risque de taux d'intérêt, il faut tenir compte de la situation du passif (dépôts, financement obligataire, etc.) et des couvertures (swaps de taux d'intérêt). Si vous détenez une obligation souveraine italienne à 10 ans, vous subirez des pertes latentes très importantes lorsque les taux augmenteront, mais les gains associés à la couverture d'un swap de taux rendront l'impact économique global beaucoup plus faible, voire positif en fonction de l'évolution des spreads de crédit. Les banques des différentes régions dans le monde utiliseront des stratégies différentes (plus de couvertures ou plus de couverture du passif), mais le message est toujours le même: le risque brut (obligations, prêts) est bien plus élevé que le risque net - sauf lorsque les banques ne gèrent pas le risque correctement.

Le risque du taux d’intérêt est pourtant un sujet est aussi vieux que le système bancaire. Les banques existent pour prendre et gérer trois risques: le risque de crédit, le risque de liquidité et le risque de taux d'intérêt. Il n'est donc pas surprenant que les régulateurs aient conçu un outil pour mesurer et contrôler ce risque, appelé "Interest Rate Risk in The Banking Book" (IRRBB). Les informations sont disponibles et abondantes. Les autorités de surveillance ont conçu des stress tests sur les taux d'intérêts et calculent l'impact sur la valeur économique des fonds propres d'une banque. Cela inclut les obligations, les prêts, les dettes et les couvertures.

Il n'y a pas si longtemps, le SSM en Europe a effectué un stress test sur le risque de taux d’intérêt. Les chiffres globaux montrent un risque bien plus faible qu'au Japon par exemple: seulement 2,7% d’impact sur le CET1 pour les banques européennes (graphique 1). Le deuxième graphique illustre l'importance des couvertures en Europe : il ne suffit pas de regarder les montants des obligations, car la contribution des couvertures dans un scénario de choc parallèle représente souvent plus de 100% du CET1 de la banque !

Variation en % du CET1 par chocs de taux d'intérêt

Source: BCE

 

 

Impact des dérivés de taux sur le CET1

 
Source: BCE - Impact d’un choc de taux parallèle

 

Il est donc parfaitement possible, en utilisant les données de transparence de l'Autorité bancaire européenne (EBA), de connaître la quantité d'obligations détenues par chaque banque. Il est même possible de regarder la maturité de ces portefeuilles et de voir quelle banque est la plus exposée à long terme, ou laquelle a utilisé la «comptabilité AFS» par rapport à la «comptabilité HTM» pour vérifier qui présente des ratios CET1 conservateurs (avec les pertes non réalisées incluses) ou des ratios CET1 stables (sans les pertes non réalisées incluses).

Cependant, ce qui importe réellement sont les couvertures et les passifs associés à ces expositions car ils détermineront l'impact économique - et les impacts comptables et réglementaires si la banque est un vendeur forcé.

Il est également important de se rappeler que les pertes non réalisées ne posent un problème que lorsqu'elles doivent être réalisées, ce qui ne se produit généralement qu'en cas de crise de liquidité. Il existe des différences significatives entre l'Europe et les États-Unis ou entre les grandes banques systémiques et les banques régionales aux États-Unis:

1/ Le rythme du Quantitative Tightening est sensiblement différent aux États-Unis qu’en Europe, ce qui signifie que les sorties de dépôts seront également plus lentes en Europe

2/ Il existe davantage d'alternatives aux dépôts bancaires aux États-Unis qu'en Europe, avec un nombre important de fonds monétaires et des bons du Trésor américain facilement disponibles pour les particuliers.

3/ L'UE n'a pas connu le même pic de dépôts que les États-Unis pendant la crise du Covid, Les dépôts sont donc plus stables en Europe et le risque de liquidité est plus faible.

Variation trimestrielle des dépôts en zone euro

Source: BCE

 

Variation trimestrielle des dépôts aux Etats-Unis

Source: Fed

 

4/ Le financement par les banques centrales est beaucoup plus accessible dans la zone euro qu'aux États-Unis, avec un éventail beaucoup plus large de garanties acceptées et de facilités d'urgence (ELA). Cela a été très bien démontré dans le stress test sur le risque de liquidité du SSM en 2019, qui a expliqué la résistance du secteur face à ce risque en partie grâce à cet outil.

5/ Les banques de l'UE recourent beaucoup aux opérations de couverture, ce qui rend les pertes non réalisées sur les obligations moins importantes.

6/ Les grandes banques systémiques ont un risque IRRBB plus faible que les banques plus petites et moins sophistiquées.

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