Croissance-Crédit: des liaisons dangereuses

Bruno Cavalier & Fabien Bossy, ODDO BHF

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La dépendance croisée entre l’économie réelle et le secteur bancaire n’est plus à démontrer.

©Keystone

Le lien est évident quand tout va bien. Dans une économie robuste, le risque de défaillance des emprunteurs est faible. Les banques se trouvent encouragées à prêter. En retour, cela soutient les dépenses des entreprises et des ménages et stimule la croissance économique. D’autre part, quand les choses se gâtent, il se pourrait que le lien soit encore plus fort. Après une phase d’expansion rapide du crédit, des fragilités apparaissent. Le capital a pu être mal alloué, finançant des investissements non-rentables, le risque mal apprécié. Un choc, parfois localisé, parfois plus large, fait prendre conscience que des ajustements sont inévitables. Suivent des ajustements de bilan plus ou moins sévères selon l’ampleur des excès qui ont précédé. L’économie en pâtit. Tel est le déroulement typique des crises bancaires.

Le stress est en partie retombé mais les fragilités demeurent aux états-Unis

Aux Etats-Unis, les autorités américaines ont vite réagi pour enrayer la panique tant du côté des déposants que des banques après la chute de trois banques spécialisées, représentant 1,5% des actifs du système bancaire. Aux uns, on a promis de facto une garantie illimitée de leurs dépôts. Aux autres, on a offert de refinancer leurs actifs au pair pendant au moins un an, évitant des liquidations forcées. Depuis lors, le stress est en partie retombé mais les fragilités demeurent.

En réponse au choc d’inflation, les banques centrales ont resserré leurs politiques, dès 2021 pour les plus précoces, en 2022 pour les autres. Toute la difficulté se situe dans le dosage et sa transmission à l’économie. Le resserrement monétaire, toujours en cours, est inédit à la fois par son ampleur et par sa simultanéité dans tant de pays. Depuis janvier 2022, les taux directeurs ont été relevés d’environ 375 points de base en moyenne dans les pays développés. En conséquence, cela a largement modifié l’activité des banques. En principe, leur rôle consiste à transformer des ressources de court terme (les dépôts) en des emplois à long terme plus rémunérateurs (l’octroi de crédits, l’achat de titres).

Avec un crédit à la fois moins abondant et plus cher, la demande d’investissement est amenée à faiblir.

Une hausse des taux d’intérêt est normalement positive puisque cela accroît leur marge nette d’intérêt. Toutefois, il y a aussi des conséquences défavorables. La remontée des taux augmente la probabilité de défaillance des emprunteurs et dégradant la qualité des crédits qui conduit à une réduction de la valeur des actifs détenus. Les dépôts bancaires avaient bondi durant la pandémie, quand les dépenses étaient bridées. Ils s’affichent désormais en repli de l’ordre de 5% sur un an aux Etats-Unis et en zone euro. En partie, c’est sans doute une normalisation, un retour à la tendance prépandémie, mais parfois aussi le signe d’une crainte sur la santé de certains établissements.

Le secteur le plus vulnérable est l’immobilier

En conséquence, les banques commerciales doivent rester prudentes. En effet, le resserrement des standards de prêt est déjà lancé depuis un an, en réponse au virage des politiques monétaires et au choc d’incertitude causé par la guerre en Ukraine. Le phénomène va s’amplifier. Avec un crédit à la fois moins abondant et plus cher, la demande d’investissement est amenée à faiblir. Le secteur le plus vulnérable est l’immobilier. Sur le segment résidentiel, les flux de nouveaux crédits sont en net repli, les prix en baisse plus modérée.

Aux Etats-Unis, les prix des logements (moyenne nationale) sont 5% sous leur pic, en zone euro 2% environ (-0,5% en France, -6% en Allemagne). Certains pays nordiques qui cumulent une forte proportion de prêts à taux variable et un endettement élevé des ménages sont plus vulnérables que l’Europe continentale. Sur le segment commercial, la hausse des taux accentue d’autres faiblesses résultant de la pandémie, par exemple la hausse du taux de vacances des bureaux. Aux Etats-Unis, près des trois quarts des prêts bancaires à l’immobilier commercial sont octroyés par des banques régionales, alors qu’elles ne recueillent que le tiers des dépôts. Le risque d’assèchement du crédit est là particulièrement élevé.

Un assouplissement monétaire rapide très improbable

Parallèlement, la récente poussée de stress a mis les banques centrales face à un dilemme. Elles sont mandatées pour stabiliser l’économie, en particulier les prix. A ce titre, elles luttent contre l’inflation en relevant leur taux. Cependant, elles fragilisent les banques. Jerome Powell comme Christine Lagarde se sont empressés de nier ce dilemme, faisant valoir qu’ils avaient assez d’instruments pour remplir chacun de leurs objectifs, taux directeur d’un côté, facilités de liquidité de l’autre. En théorie, tout paraît simple. En pratique, la séparation entre ces missions n’est pas totalement étanche. Les dernières réunions de la Fed et de la BCE se sont tenues au beau milieu de l’épisode de stress. Dans les deux cas, le choix a été de délivrer ce qui avait préannoncé (une 9e hausse de taux à la Fed de 25 points de base, une 6ème à la BCE de 50 points de base) et d’adopter un ton un peu plus mesuré pour la suite. La fin du resserrement est proche, en mai à la Fed, en juin à la BCE. Toutefois, avec une inflation sous-jacente persistante à un haut niveau, un assouplissement monétaire rapide semble très improbable.

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