Au-delà du discours, la question de l’efficacité

Graeme Anderson, TwentyFour Asset Management

2 minutes de lecture

S’efforcer d’anticiper l’évolution des taux est une chose, s’interroger sur la puissance et les limites de la politique monétaire en est une autre.

La semaine dernière, le patron de la banque centrale américaine (Fed), Jerome Powell, s'est exprimé devant la commission bancaire du Sénat et les acteurs du marché ont décortiqué ses propos pour y chercher en priorité de nouvelles informations susceptibles de leur fournir des indices l’évolution des taux des fonds fédéraux et sur son timing. Cette évolution est certes importante pour les investisseurs en titres à taux fixes, mais, pour l’oreille attentive, les discours des banquiers centraux recèlent également des indications intéressantes sur l’environnement économique en général. Deux sujets abordés par Jerome Powell ont particulièrement retenu mon attention.

Le premier concerne sa réponse à la question de savoir pour quelles raisons la Fed sous-estimait systématiquement le taux naturel de chômage (TCIS ou taux de chômage à inflation stationnaire), et l’on pourrait d’ailleurs ajouter que la majorité des économistes et des participants au marché font de même.  Avant 2018, la Fed estimait le TCIS américain à 5,4%. Puis, début 2018, cette estimation a été ramenée à 4,5% et elle s'établit dorénavant à 4,2%, alors que le taux de chômage actuel se situe à 3,7%, sans que l’on observe de pression inflationniste apparente.

Je refuse de remettre en question la loi de l’offre et de la demande,
loi sur laquelle repose en fin de compte la courbe de Phillips.
Que dit la courbe de Phillips aujourd’hui?

Selon Jerome Powell, la relation entre chômage et inflation, telle que décrite par la courbe de Phillips, a constamment perdu son pouvoir prédictif ces dernières décennies. Alors que la corrélation entre les deux facteurs était encore très étroite il y a 50 ans, elle n’est aujourd’hui guère plus marquée qu’un «faible battement de cœur». Pour le directeur de la Fed, le fait que les attentes concernant l’inflation restent résolument faibles représente le meilleur facteur explicatif de cette évolution. Je ne peux qu’abonder dans son sens en ce qui concerne la courbe de Phillips. Par contre, je suis persuadé qu’il s’est servi des «attentes concernant l’inflation» comme d’une catégorie fourre-tout qui englobe de multiples facteurs microéconomiques touchant au bien au marché des biens qu’à celui du travail. Par ailleurs, même si je m’interroge en permanence sur la pertinence de la théorie économique enseignée il y a une trentaine d’années, je refuse de remettre en question la loi de l’offre et de la demande, loi sur laquelle repose en fin de compte la courbe de Phillips.

Marge de manœuvre limitée

Pour quelles raisons ce distinguo est-il important? Je suis à peu près certain que Jerome Powell, dont la formation en économie remonte également à quelques décennies, a été surpris de constater à quel point sa trajectoire attendue des taux d'intérêt s’est modifiée, y compris durant ces six derniers mois. Je pense que, dans son for intérieur, il est très étonné que l'inflation n'ait pas (encore) réagi au resserrement constant observé sur le marché du travail et il craint que les taux des fonds fédéraux atteignent finalement un sommet de 2,5%. Le directeur de la Banque centrale parlait généralement de «normalisation» des taux, et ce, dans le but très compréhensible de disposer de suffisamment de munitions pour pouvoir faire face au prochain ralentissement économique. Il doit donc se sentir mal à l’aise, sachant que sa marge de manœuvre est beaucoup moins grande qu’il ne l'espérait.

Les politiques ayant participé au gonflement des déficits budgétaires ont rendu
toute politique budgétaire anticyclique beaucoup plus difficile à mettre en œuvre.
Y-a-t-il encore une politique budgétaire?

Le deuxième sujet qui m’a interpellé concerne la politique budgétaire. Même si elle n’entre pas à proprement parler dans les attributions d’un banquier central, elle joue un rôle important au niveau de l’économie dans son ensemble. Interrogé à ce propos, Jerome Powell a répondu qu’il souhaiterait que la politique budgétaire soit plus active ou anticyclique, de manière à ce qu’elle vienne soutenir la politique monétaire. Ce propos se réfère directement à un point évoqué plus haut, à savoir que l’impact de la politique monétaire diminue. Les commentaires du directeur de la Fed ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi qui, en mars dernier, appelait avec insistance à une action gouvernementale qui vienne renforcer celle de la politique monétaire.

Tout sur les épaules des banquiers centraux

S’il paraît important de revenir sur ces questions, c’est que, depuis la publication de la Théorie générale de Keynes, le rôle de la politique budgétaire s’est estompé. Les politiques ayant en effet systématiquement participé au gonflement des déficits budgétaires pour s’assurer des votes, ils ont rendu toute politique budgétaire anticyclique beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Par conséquent, ces dernières décennies, l’essentiel de la politique macroéconomique anticyclique en est venu à reposer directement sur les épaules des banquiers centraux. Et il est donc probable qu’en dépit de ses déclarations publiques, Jerome Powell, à l’instar des autres banquiers centraux, en soit arrivé à examiner les outils à sa disposition, et à se demander si la politique monétaire n’est pas sur le point de toucher ses limites sur le plan de son efficacité.