Les surprises ne peuvent qu’être négatives

Emmanuel Garessus

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La classe d’actifs préférée de José Antonio Blanco, de Swiss Life Asset Managers, est celle des obligations souveraines et non pas celle des actions.

Après un bon trimestre pour les marchés financiers, les investisseurs hésitent à changer leur allocation. José Antonio Blanco, CIO Third-Party Switzerland et responsable de la gestion multi-asset chez Swiss Life Asset Managers, qui gère 112 milliards de francs d’actifs, s’exprime sur les perspectives des marchés et sur ses préférences en termes d’allocations:

Est-ce que la Fed baissera les taux directeurs à 3 reprises cette année?

A l’avenir, la politique de la Fed sera sans doute moins restrictive. L’économie américaine a surpris par sa vigueur et sa résilience, si bien que la question se pose maintenant d’un changement de politique monétaire. On oublie toutefois que les effets d’une politique monétaire ne se manifestent pas immédiatement mais avec un délai. De plus, lors d’une année d’élection présidentielle, de nombreuses décisions sont remises à plus tard, par exemple les mesures nécessaires à la réduction du déficit public. La Fed semble peut-être plus accommodante («dovish») qu’elle ne l’est en réalité. Nous prévoyons deux baisses de taux directeurs en 2024, mais tout dépendra des prochaines statistiques conjoncturelles, comme le répète la Fed elle-même. 

Et la Banque centrale européenne (BCE)?

La situation est plus claire pour la BCE dans la mesure où la situation économique est plus difficile en Europe, en particulier en Allemagne. Nous nous attendons à davantage de réductions de taux qu’aux Etats-Unis. L’économie européenne souffre aussi des conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine et de la faiblesse de l’économie chinoise, un client majeur de l’industrie allemande. 

«Le niveau des taux d’intérêt réels est plutôt élevé, un peu trop à mon avis.»

L’inflation va-t-elle fortement diminuer?

L’inflation devrait encore baisser, ainsi que la croissance économique. Une reprise de la hausse des prix serait un choc pour les marchés, mais la probabilité reste faible. En Suisse, l’inflation devrait se stabiliser vers 1,2% ou un peu moins d’ici (0,9% en 2025). Aux Etats-Unis et en Europe, elle devrait se diriger vers les objectifs des banquiers centraux (2%), un peu au-dessus aux Etats-Unis et en dessous en Europe. 

Quelle est votre interprétation de la récente hausse des rendements des Bons du Trésor américain à 10 ans à 2,4%?

Cette correction à la hausse est un peu exagérée. Le niveau des taux d’intérêt réels est plutôt élevé, un peu trop à mon avis. Les marchés ont aujourd’hui une représentation étonnante de la situation si l’on met en relation la situation de l’économie et celle des actions et du marché du crédit. Les actions américaines ont en effet poursuivi leur hausse cette année, après un bon crû en 2023, et, sur le marché du crédit, les «spreads» sont très bas.

L’endettement public ne devrait-il pas impacter les marchés obligataires?

La durabilité financière des déficits publics est un problème. Mais le risque n’est pas imminent. Le parlement américain parvient toujours à trouver un accord de dernière minute pour son refinancement.

Je pense qu'à court terme, il est plus important que les taux d’intérêt réels soient trop élevés et les spreads de crédit trop bas pour protéger les investisseurs contre les effets d'un ralentissement de la croissance économique. Les entreprises américaines peuvent se financer à des taux trop bas par rapport à l’Etat. On sous-estime la probabilité d’un ralentissement économique. 

Quelle est votre analyse du niveau des actions?

Les indices sont au plus haut, mais le marché est trop hétérogène pour apporter un jugement global. Il faut distinguer entre les secteurs et différents autres facteurs, comme la taille. Les très bons résultats provenaient jusqu’à très récemment des grandes entreprises et des branches technologiques ou proches de la technologie. A l’inverse, la performance des small caps n’a pas été bonne. 

Quelle est votre classe d’actifs préférée en ce moment?

Nous accordons notre préférence aux obligations souveraines parce que les taux d’intérêt réels sont trop élevés et nous préférons les obligations aux actions. Dans les actions, nous sommes «neutres» par rapport aux indices. Les indices boursiers profitent certes d’un bon momentum, mais il est difficile d’anticiper la fin de ce momentum. Les fondamentaux ne sont pas favorables. Le sentiment des investisseurs est si positif qu’il est coûteux de ne pas être investi. Mais toutes les bonnes nouvelles sont déjà contenues dans les cours. Les surprises ne peuvent qu’être négatives. On cite souvent Keynes: «Les marchés peuvent être plus longtemps irrationnels que les investisseurs peuvent être solvables». 

La même logique que pour les actions peut être employée pour les obligations d’entreprises si ce n’est que le potentiel de gain est plus limité. Compte tenu du fait que l’investissement n’est pas rémunéré pour le risque qu’il supporte, nous préférons les obligations souveraines. 

N’y aura-t-il pas une rotation entre les «7 magnifiques» et d’autres secteurs?

Les Etats-Unis et les grandes capitalisations sont sans doute chères. Des excès sont en train d’apparaître. Par exemple, la capitalisation boursière de Nvidia dépasse celle de toutes les grandes sociétés cotées allemandes. La valorisation de ce type d’entreprise est exagérée. 

«On a excessivement lié l’évolution des commodities à celle de l’inflation, mais le lien n’est pas obligatoire».

Quelles actions vous semblent sous-évaluées?

Les petites capitalisations et les valeurs défensives sont sous-évaluées, ainsi que les services d’utilité publique – ce qui est compréhensible au vu d’une stabilité de leurs revenus qui rappelle celle des obligations – et toutes les actions liées directement ou indirectement à l’immobilier, même si le moment de l’achat pourrait paraître prématuré. Je pense aussi bien à l’immobilier en Suisse que dans d’autres pays, de préférence l’immobilier résidentiel. 

Les secteurs liés aux matières premières sont également devenus attrayants. On a excessivement lié l’évolution des commodities à celle de l’inflation, mais le lien n’est pas obligatoire. Selon la théorie économique, si le prix d’un bien augmente, le consommateur cherche à le substituer par un autre bien. Et si la substitution n’est pas possible, comme le montre l’énergie, où l’on continue d’utiliser les mêmes sources, le consommateur perd de son pouvoir d’achat et se prive d’autres produits. Dans le contexte d’une poursuite de la croissance économique, les actions liées aux matières premières en général pourraient se reprendre. Les titres de commodities liées à la Big Tech pourraient, elles, corriger. 

Les marchés émergents vous paraissent-ils intéressants?

Dans le sillage des commodities, les actions de certains pays, comme le Brésil, devraient s’apprécier. 

Dans les marchés émergents, nous sommes réticents à l’égard de la Chine. Les raisons sont surtout d’ordre politique, celui d’un contrôle croissant et idéologique de l’économie par le parti et l’Etat, lesquels semblent accepter une plus faible croissance que dans le passé. Avec une telle approche, l’économie chinoise deviendra moins flexible et moins dynamique. Sur le plan conjoncturel, une certaine reprise pourrait se matérialiser, mais nous sommes sceptiques à plus long terne.

Ce vent contraire provenant de la Chine réduit aussi l’attractivité de pays et de sociétés qui dépendent de ce marché. Par contre, nous pensons que les actions d’Europe continentale (hors Suisse) sont bon marché, et nous sommes neutres sur le marché suisse. 

Les actions américaines font face à une incertitude politique. Est-ce qu’elles peuvent ignorer le résultat de l’élection présidentielle?

Non, mais les élections présidentielles produiront un effet sur la volatilité plutôt que sur la tendance. Les indices réagiront au gré des prises de position des deux candidats, par exemple à l’égard de la Chine. Il est toutefois certain que le problème du déficit budgétaire ne sera résolu par aucun des deux candidats. C’est aussi l’une des raisons qui appuient notre scénario d’une baisse des taux moins forte que prévu. 

Après les élections, le thème des relations des Etats-Unis avec l’OTAN et ses alliés sera aussi important, non seulement sous l’angle des dépenses militaires mais aussi des relations diplomatiques et de la sécurité en Europe. Pour l’instant, les marchés ignorent ce sujet, comme celui des tensions au Proche Orient. 

Les facteurs géopolitiques jouent un rôle croissant. Comment l’investisseur peut-il se protéger à côté d’une forte diversification ou de l’or?

L’investisseur peut se protéger contre certains risques, mais il ne peut pas se protéger contre tous les risques, par exemple contre un conflit armé. Pour être couvert contre ce risque, il devrait renoncer à trop d’investissements et d’opportunités. Face à une montée de l’inflation et de l’instabilité, l’or peut être un instrument valable, mais si l’on veut se préparer au pire, on n’investit plus. Beaucoup de risques ne se matérialisent pas ou sont déjà dans les cours. Par ailleurs, face à une crise, les marchés financiers réagissent toujours très vite pour s’adapter à un nouvel environnement. Face à la guerre en Ukraine ou au Proche Orient, les marchés ont rapidement intégré les informations, mais sans casser les tendances de fond. 

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