Le développement durable, c’est accepter la complexité

Yves Hulmann

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Il est indispensable en matière d’investissement responsable de pouvoir s’appuyer sur sa propre analyse ESG, selon Jean-Philippe Desmartin.

En matière d’investissement durable, le groupe Edmond de Rothschild ne se limite pas à exclure certains titres de son univers d’investissement ou à l’inverse à sélectionner les actions des sociétés les plus exemplaires selon les critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG). L’établissement, qui gère quelque 8 milliards d’euros d’actifs selon des stratégies tenant compte des principes de l’investissement responsable, investit également directement dans les infrastructures, dans l’immobilier et le capital-risque.

S’agissant des infrastructures, sa série de fonds «BRIDGE» investit, par exemple, dans des parcs éoliens en Allemagne et en Suède ou encore dans la construction d’une centrale électrique fonctionnant grâce à la biomasse en Grande-Bretagne. Dans l’immobilier, l’établissement investit à la fois dans des bâtiments dotés des techniques les plus récentes en matière d’efficience énergétique et dans la rénovation d’immeubles plus anciens, en Suisse et en France, de manière à les rendre conformes aux futures exigences en matière de consommation d’énergie et d’émissions de CO2. Enfin, dans le capital-investissement, le groupe finance divers projets à travers le monde, par exemple des installations au Burkina Faso visant à faciliter l’usage du gaz comme substitut à la combustion de biomasse, laquelle contribue à la déforestation, ou encore dans la réhabilitation de sites industriels pollués en Europe. Comment le groupe intègre-t-il l’ensemble de ces stratégies dans son offre de placements durables? Entretien avec Jean-Philippe Desmartin qui est à la tête de l’investissement responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management, qui s’exprimait devant les médias fin juin à Zurich.

Les investisseurs institutionnels n’ont pas forcément
les mêmes besoins que les clients privés.
En matière d’investissement durable, Edmond de Rothschild Asset Management propose des instruments très variés incluant à la fois des actions cotées ainsi que des placements dans les infrastructures, l’immobilier ou le capital-investissement. Parmi vos clients, qui s’intéresse à quel type de placement?

Edmond de Rothschild Asset Management propose effectivement une offre vaste de placements durables, incluant aussi bien des actifs très liquides, comme les actions, que des placements alternatifs moins liquides. Les investisseurs institutionnels n’ont pas forcément les mêmes besoins que les clients privés. Les institutionnels préfèrent davantage investir dans des actifs liquides. Ils accordent aussi beaucoup d’importance à l’engagement et ils privilégient souvent l’approche «best-in-class» par rapport à d’autres styles d’investissement. De leur côté, les investisseurs privés ont un intérêt plus orienté vers des stratégies d’investissement «impact», car ils aiment avoir une idée concrète des conséquences de leurs investissements, ainsi qu’aux stratégies thématiques.

Dès que l’on parle d’investissement durable, une question récurrente est de savoir si l’on peut se contenter de s’appuyer sur de la recherche externe, fournie par des agences de notation par exemple, ou s’il faut faire soi-même le travail d’analyse. Comment procédez-vous?

Depuis 2010, nous avons fait le choix chez Edmond de Rothschild Asset Management de développer notre propre recherche ESG. C’est un principe clé : on n’externalise pas le développement durable. On veut pouvoir évaluer nous-même l’impact de nos placements d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance.

Est-ce possible pour toutes les classes d’actifs et toutes les régions?

En ce qui concerne l’Europe et la Suisse, nous nous basons sur notre propre recherche. En Suisse, nous le faisons pour les sociétés du SMI ainsi que pour un certain nombre de petites et moyennes capitalisations. Ailleurs, dans d’autres régions du monde, nous nous appuyons également sur de la recherche externe car nous n’avons pas les ressources nécessaires pour tout analyser. Mais, même dans ce cas, nous appliquons le principe de «double-check» pour nous assurer que les notations attribuées à des entreprises correspondent à nos standards.

Il n’est pas si compliqué d’ajouter les critères ESG
dans notre processus de sélection.
Avec qui collaborez-vous?

Notamment avec Sustainalytics, adossée désormais à Morningstar, qui attribue une note allant d’un «globe», la moins bonne, à cinq «globes». Nos deux fonds ouverts ISR ont obtenu la note de cinq «globes». En outre, chacun de nos fonds dotés d’un label ESG fait l’objet d’un audit externe annuel par E&Y qui s’assure du bon respect de notre processus d’investissement extra-financier.

Intégrer les critères ESG dans le processus de sélection renchérit-il les frais de gestion?

Du fait que tous nos fonds sont gérés de manière active, le fait d’ajouter ces critères dans le processus de sélection des titres n’est qu’un aspect additionnel dont il faut tenir compte. Il n’est pas si compliqué d’ajouter les critères ESG dans notre processus de sélection. Souvent, on part d’un univers d’investissement initial comprenant entre 400 et 500 positions pour n’en retenir que 40 au final. Ajouter ces critères d’analyse extra-financière ne nous pose pas de difficultés grâce à nos capacités de produire une recherche en interne.

S’agissant des actions suisses, vous sélectionnez à la fois une entreprise spécialisée dans l’efficience énergétique des bâtiments, comme Belimo Holding, et un grand groupe très diversifié comme ABB. Ce groupe, qui fabrique à la fois des turbines pour l’industrie du gaz et des réseaux électriques intelligents, est-il durable ou non?

Notre processus d’analyse prend en compte environ 50 indicateurs quantitatifs et qualitatifs – et le poids de ces critères varie d’un secteur à un autre. Les critères environnementaux pèsent plus dans le secteur minier, les aspects sociaux sont davantage pris en compte dans le secteur des services tandis que la gouvernance est un aspect clé dans l’industrie financière. En matière de développement durable, on ne peut pas traiter les choses en surface. Le développement durable, c’est accepter la complexité. Donc oui, ABB est un groupe qui a sa place dans un fonds durable même s’il n’est pas parfait partout du point de vue ESG.

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