Le COVID-19 met en évidence l’investissement durable

Cyril Gomez

4 minutes de lecture

Pour Christopher Kaminker de Lombard Odier, les entreprises continueront à se concentrer sur des pratiques et des modèles d’entreprise durables.

Les fonds durables naviguent actuellement en territoire inconnu. Ce n’est en effet qu’après la Grande Crise Financière de 2008 que ceux-ci ont commencé à occuper une place significative dans les portefeuilles. «Les replis de marché poussent-il les investisseurs à recourir aux investissements défensifs traditionnels et à ne plus placer l’investissement d’impact au premier plan lorsque les rendements ne sont plus au rendez-vous?», s’interrogeait Jon Hale, analyste de Morningstar, dans une note publiée le 4 mars. Qui notait qu’entre le 1er janvier et fin février, les rendements de près de des deux tiers (65%) des fonds actions durables américains se sont classé dans la moitié supérieure de leur catégorie. 

«Chez Lombard Odier, la durabilité est au cœur de nos convictions», assure pour de son côté Christopher Kaminker, responsable de la recherche et de la stratégie en matière d’investissement durable chez Lombard Odier Investment Managers à Genève, qui a lancé la semaine dernière une nouvelle stratégie action consacrée à la transition climatique. «Nous sommes convaincus qu’elle sera le principal moteur du rendement futur des investissements», insiste l’expert, qui évalue les conséquences du COVID-19 sur cette nouvelle classe d’actifs.

Le coronavirus peut-il donner lieu à un ralentissement de la croissance de l’industrie des fonds durables? Et les entreprises peuvent-elles décider de suspendre leurs projets durables?

Nous pensons que la crise actuelle met en évidence l’importance d’un investissement actif et durable. L’analyse diffère peu lorsqu’il s’agit d’identifier et d’investir dans les entreprises capables de prospérer et de s’adapter à un monde sous contrainte carbone et affecté par le changement climatique, comme dans celles capables de surmonter une pandémie ou tout autre défi de durabilité. 

«Nous attendons des investisseurs qu’ils comprennent l’importance
accrue de la soutenabilité en tant que conviction fondamentale.»

Nous pensons que la pandémie de coronavirus amènera les investisseurs à choisir, à court terme, les titres qui présentent les modèles financiers les plus durables et les entreprises qui peuvent continuer à fonctionner dans un monde où les revenus sont limités. Nombre de ces entreprises ont des indicateurs ESG tout aussi solides basés sur leurs pratiques commerciales et nous pensons que celles qui ont le plus haut niveau de Conscience, d’Actions et de Résultats en termes d’ESG seront également mieux préparées à affronter la crise actuelle. 

Mais ce n’est qu’à travers une analyse approfondie, critique et prospective de la manière dont les modèles d’entreprise sont exposés aux principaux défis de la durabilité, tels que les pandémies et les pénuries de la chaîne d’approvisionnement qui en résultent, que les investisseurs peuvent espérer protéger leurs portefeuilles des défis futurs. Ces défis se présentent sous plusieurs formes: nécessité d’améliorer le ratio risque/rendement des portefeuilles face aux conséquences du changement climatique, aux troubles politiques, à l’évolution des tendances mondiales de la consommation et de la demande ou encore face à la révolution numérique. Il est aujourd’hui plus important que jamais d’analyser ces défis. Non seulement nous attendons des entreprises qu’elles continuent à se concentrer sur des pratiques et des modèles d’entreprise durables, mais nous attendons également des investisseurs qu’ils comprennent l’importance accrue de la soutenabilité en tant que conviction fondamentale.

Comment les fonds durables se sont-ils comportés durant la période de crise actuelle? Présentent-ils des qualités défensives?

L’investissement durable peut créer un biais en privilégiant des actions de qualité, ce qui peut contribuer à préserver le capital dans les marchés baissiers. Toutefois, il est important de noter que, d’une part, l’investissement durable ne se limite pas uniquement à l’ESG et que ces dernières ne sont pas établies de la même manière. Dans certains cas, nous voyons des exemples d’entreprises ayant des modèles ou des pratiques commerciales non durables, mais avec des scores ESG relativement élevés. Dans ce cas, les mesures ESG traditionnelles risquent d’être trompeuses et le portefeuille peut ne pas se comporter comme prévu dans un tel environnement.

«Nous nous efforçons également d’identifier les sociétés efficaces
en termes de capital, disposant de flux de trésorerie importants.»
Comment faites-vous pour effectuer cette identification?

Chez Lombard Odier Investment Managers, nous accordons une grande importance à la réalisation d’une analyse solide, scientifique et prospective de ce que réalisent les entreprises et de la manière dont elles le font. Nous effectuons notre analyse de scénarios pour comprendre comment elles sont susceptibles de se comporter selon différentes voies et nous nous concentrons sur les défis et les mesures de durabilité qui sont les plus importants sur le plan financier pour un secteur, une industrie ou une entreprise. 

Ce type d’analyse nous donne des indications concrètes qui enrichissent notre prise de décision en matière d’investissement, car cela nous permet de mieux comprendre dans quelle mesure les entreprises sont bien positionnées pour la transition vers une économie durable. En tant qu’entreprise, nous nous efforçons également d’identifier les sociétés qui sont efficaces en termes de capital, qui disposent de flux de trésorerie importants et qui ont une dépendance limitée à l’égard de la dette ou des capitaux propres pour mener leurs activités. Associé à notre souci de durabilité, cela crée un biais de qualité naturel dans nos portefeuilles qui vise à accroître la résilience de nos portefeuilles dans ces conditions de marché.

On entend souvent dire que les investisseurs privés ou retail en Suisse et ailleurs manquent d’informations critiques et de conseils pour les aider à prendre des décisions d’investissement durable. Est-ce le cas?

Aujourd’hui, des études montrent que plus de 30’000 milliards de dollars d’actifs mondiaux sont investis d’une manière qui intègre une certaine forme de soutenabilité. Mais il y a un manque de définitions et de normes claires concernant l’intégration de la soutenabilité dans la gestion de portefeuilles. Sans langage commun, il est effectivement difficile pour les investisseurs privés de s’y retrouver, d’où la nécessité d’une taxonomie commune qui serait un moyen de clarification.

En réalité, beaucoup de ces investissements ont une approche très différente, avec des degrés divers de focalisation sur la soutenabilité. Le terme ESG est souvent utilisé pour décrire une analyse des pratiques commerciales basée sur les mesures environnementales, sociales et de gouvernance d’une entreprise. Cette analyse est utile mais elle n’englobe pas tout le potentiel de l’investissement durable, car elle est généralement de nature rétrospective. Chez Lombard Odier, nous pensons qu’il est important d’analyser en profondeur les modèles commerciaux de chaque entreprise, ainsi que ses pratiques commerciales et ses modèles financiers, pour comprendre la véritable durabilité de cette entreprise. Ce n’est qu’en intégrant une analyse rigoureuse, prospective et critique de chaque entreprise que les investisseurs peuvent se faire une idée précise de la soutenabilité de leur portefeuille.

«Nous voyons le monde des entreprises se diviser en deux types
de sociétés - que nous appelons les Aigles et les Autruches.»
D’où peut provenir la confusion pour ces investisseurs et comment y remédier?

Le problème de l’analyse ESG d’exclusion est que cette activité repose sur des fournisseurs de données tiers, dont les conclusions divergent d’une entreprise à l’autre. Chez Lombard Odier, lors de l’analyse des pratiques commerciales, nous pensons qu’il est très important de comprendre les données brutes et de les pondérer à nouveau pour mieux analyser les résultats. Nous disposons d’un modèle propriétaire pour y parvenir, basé sur nos mesures CAR (Conscience, Action et Résultats) permettant de distinguer deux entreprises qui peuvent obtenir des scores similaires de la part de fournisseurs tiers, mais où l’une peut bénéficier d’une bonne communication sans toutefois obtenir des résultats, tandis que l’autre s’attèle à la transition sans faire de bruit. Il s’agit dès lors d’identifier ces dernières qui, selon nous, pourraient être mieux positionnées à long terme pour obtenir des rendements plus élevés.

Quel serait le profil idéal d’entreprise dans laquelle Lombard Odier investit? Qu’est-ce qui la rend différente des autres?

Nous voyons le monde des entreprises se diviser en deux types de sociétés - que nous appelons les Aigles et les Autruches. Avec d’un côté des sociétés qui anticipent ces changements profonds, et de l’autre des sociétés qui sont dans le déni. Les premières ont la vision et le courage de remettre en question leur modèle d’affaires, afin de l’aligner à la réalité de cette transition économique profonde, afin de maintenir des profits durables à long terme. Celles-ci se concentreront sur des résultats multiples, non seulement sur les profits, mais aussi leur impact sur les personnes et la planète. 

Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’identifier ces entreprises uniquement sur la base de mesures ESG statiques ou d’une stratégie qui se contente d’intégrer la soutenabilité dans le processus de sélection des titres. Nous pensons qu’il est important d’identifier les entreprises en transition et les entreprises de solutions qui réagissent à l’évolution de l’environnement et que cela ne peut se faire qu’en plaçant la soutenabilité au cœur de nos stratégies.

Lorsque nous intégrons la soutenabilité comme une conviction fondamentale, il est également important de faire la distinction entre les entreprises qui sont en transition et celles qui apportent des solutions immédiates aux problèmes de durabilité. Ces dernières seront le terrain privilégié pour les investissements à impact, qui concernent généralement les petites entreprises des marchés publics et privés. En tant que gestionnaire d’actifs axé sur les investissements sur les marchés publics, Lombard Odier cherche à identifier les entreprises en transition qui seront les mieux placées pour offrir à nos clients des rendements durables à long terme.