La hausse des taux est une tendance de fond

Yves Hulmann

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Mike McEachern, de Muzinich & Co, souligne que les taux de défaut de paiement restent très bas et les fondamentaux sont toujours solides.

 

En début de semaine, les rendements des emprunts d’Etat américains ont enregistré un nouveau pic. Le taux des bons du Trésor américains à 10 ans ont frôlé les 3%, leur plus haut niveau depuis fin janvier. Comment investir dans les produits à revenu fixe dans un tel environnement? Pour Mike McEachern, spécialiste des obligations d’entreprises («corporate bonds») chez Muzinich & Co, le rythme de la hausse des taux compte davantage que leur niveau absolu.

Après une pause en mars, le mouvement de hausse des taux des emprunts gouvernementaux a repris, se rapprochant peu à peu des 3%. Dans un tel environnement de hausse des taux, quels sont les principaux risques et opportunités pour quelqu’un qui investit dans les obligations d’entreprises?

L’environnement actuel est tout sauf ennuyeux pour un investisseurs en obligations d’entreprises ! Alors que nous avions assisté à une baisse continuelle des taux d’intérêt depuis près d’une génération, on se trouve maintenant à un point d’inflexion. Les banques centrales commencent à normaliser leur politique monétaire à partir de taux qui étaient historiquement très bas, voire négatifs comme cela été le cas dans certains pays en Europe. Actuellement, les anticipations vont globalement en direction d’une hausse des taux. Si vous investissez dans les produits à revenu fixe, une période de hausse des taux n’est jamais facile à traverser.

«Les investisseurs accordent plus d’importance à l’impact
de la hausse des taux d’intérêt qu’aux risques de crédit.»
Quelle est alors l’approche à adopter durant une telle phase?

Chez Muzinich, nous nous intéressons d’abord à évaluer les placements en fonction de certains thèmes ou selon la qualité du crédit, à identifier où il est possible d’obtenir les meilleurs rendements dans telle ou telle catégorie spécifique d’emprunts. Cela dit, nous élaborons aussi notre propre perspective sur les marchés, basée sur la vision de nos 14 gérants d’actifs qui font partie du comité en charge de l’allocation d’actifs. Même si tout le monde n’est pas toujours du même avis, ce comité s’accorde sur quelques tendances de fond. Premièrement, on s’attend à une poursuite de la hausse des taux, sous l’effet de l’action des banques centrales. Deuxièmement, les taux des bons du Trésor américains à 10 ans atteindront 3% avant la fin de l’année – ou davantage selon certains experts. Troisièmement, il faudra aussi compter avec 2 à 3 hausses de taux de la part de la Réserve fédérale au cours de 2018, ce qui aura un important impact sur la partie avant de la courbe des taux. Globalement, on peut aussi observer que les investisseurs accordent plus d’importance à l’impact de la hausse des taux d’intérêt qu’aux risques de crédit. Actuellement, la hausse des taux inquiète davantage que les risques liés aux défauts de paiement, encore faibles actuellement.

Dans un tel environnement de marché, quelles catégories d’emprunts sont les plus ou au contraire les moins attrayantes au sein de l’univers des obligations d’entreprises?

Dans un contexte où les taux d’intérêt ont le plus d’influence sur le cours des emprunts, les emprunts qui font partie de la catégorie «investissement» (ou «investment grade») aux Etats-Unis ont le plus souffert de la hausse des taux. En revanche, une partie des obligations à haut rendement («high yield»), qui affichent des écarts de crédit («spreads») plus marqués par rapport aux emprunts sans risque, sont un meilleur endroit pour investir dans un tel contexte de marché. En effet, un spread plus large constitue un coussin de sécurité en cas de hausse des taux d’intérêt. Les prêts bancaires («bank loans») ont eu les meilleures performances. Toutes catégories confondues, ce sont les emprunts de niveau «investment grade» avec une duration longue et avec des spreads très faibles qui performent le plus mal dans un environnement de hausse de taux.

Les taux des bons du Trésor américains à dix ans sont à nouveau très proches du seuil symbolique des 3%. A partir de quel niveau y a-t-il un risque de correction important pour les obligations déjà émises?

On ne peut pas définir un seuil précis comme étant, seul, capable de déclencher un fort mouvement sur les marchés obligataires. Si les taux d’intérêt montent aussi rapidement qu’en janvier par exemple, cela entraîne un mouvement de vente pour l’ensemble du marché des produits à revenus fixes («fixed income»). Cela induit un mouvement de vente massif auquel il est difficile d’échapper, même s’il y a certes des différences entre, par exemple, les emprunts à haut rendement qui ont mieux résisté que les titres de la catégorie «investissement». En revanche, si le mouvement de hausse des taux est graduel et régulier, l’impact n’est pas du tout le même. Le marché peut absorber les nouvelles émissions et s’ajuster à la nouvelle situation. Les coupons plus élevés des nouveaux emprunts compensent peu à peu la baisse subie sur les cours.

«La gestion active et la sélection des titres par le bas
permet d’obtenir de meilleurs rendements que le marché.»

Beaucoup d’investisseurs se sont orientés vers les fonds passifs ou les ETF ces dernières années, aussi dans le domaine obligataire. La plus grande volatilité récente sur les marchés est-elle une bonne nouvelle pour les gérants actifs comme vous?

Bien sûr, le rôle croissant des ETF sur les marchés, et l’extension de ces instruments à des segments de marché toujours plus divers, constitue une énorme concurrence à ce que nous faisons et elle n’a cessé de s’intensifier ces dernières années. Mais chaque fois que nous voyons l’ensemble de l’argent affluer vers les ETF, nous l’interprétons comme un signal d’avertissement – un drapeau rouge en quelque sorte. De notre côté, nous restons convaincus que la gestion active et la sélection des titres par le bas permet d’obtenir de meilleurs rendements que le marché.

Du côté des actions, on a assisté à une incroyable hausse de la volatilité durant le mois de février. Sur le marché du crédit, avez-vous aussi observé de tels signes de retour de nervosité, par exemple en ce qui concerne les CDS ou le taux de défaut de paiement?

En dépit de la volatilité sur les marchés des actions, on continue d’observer une grande stabilité sur le marché du crédit. Il y a une croissance globale synchronisée sur le plan mondial, en dépit des conflits à propos d’une possible guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, etc. Les fondamentaux économiques sont toujours solides et les taux de défaut de paiement restent très bas – c’est qui essentiel pour les emprunts d’entreprises. Le faible niveau des écarts de crédit reflète des perspectives toujours globalement optimistes. Pour autant, je pense que la phase la plus confortable est derrière nous. Maintenant, il faudra être beaucoup plus sélectif en matière d’investissements, agir plus prudemment. Un bon travail de sélection des titres par le bas, en suivant une approche de type «bottom-up», sera absolument essentiel dans un tel environnement.

«Nous nous basons avant tout sur notre
propre recherche effectuée à l’interne.»
Quel est le rôle des notations des agences dans votre processus de sélection?

Notre philosophie d’investissement est basée sur une sélection des titres par le bas. Nous nous basons avant tout sur notre propre recherche effectuée à l’interne. Certes, les agences de notation définissent les standards pour l’ensemble du marché. Après la crise financière, elles ont été, en général, rapides à baisser les notes mais plus lentes pour les rehausser ensuite. Les agences restent importantes car elles dominent le marché mais nous ne pouvons pas baser nos décisions d’investissement uniquement sur les notes qu’elles attribuent.

Quels sont vos objectifs en Europe et pour le marché suisse?

George Muzinich, le fondateur de notre société, a dès le départ accordé beaucoup d’importance au marché européen. Nous sommes en Suisse depuis 2013 et employons environ 7 personnes à Zurich. Notre ambition est d’être le gérant d’actifs de premier choix dans le domaine des emprunts d’entreprise, aussi bien pour la clientèle institutionnelle que pour celle de distribution de fonds effectuée via les banques. Que ce soit en Europe ou en Asie, nous voulons avant tout développer une relation de proximité avec nos clients et mettre à disposition des solutions d’investissement sur mesure qui correspondent réellement à leurs besoins. Nous ne voulons pas juste distribuer des fonds de la manière la plus vaste possible.