L’inflation ne sera pas toujours dormante

Nicolette de Joncaire

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«En matière de dette, tant que l’inflation sera basse, la situation restera plus ou moins contrôlable» estime Stefan Gerlach de la banque EFG.

La dette à taux négatifs s'élève à des montants jamais atteints. Les épargnants traditionnels seraient les grandes victimes de politiques monétaires qui accusent l’écart de richesse entre détenteurs d’actifs et simples déposants. Quelques questions à Stefan Gerlach, chef économiste à la banque EFG et ancien gouverneur adjoint de la Banque Centrale d’Irlande, sur le risque d’éclatement de la bulle de la dette.

Les taux négatifs sont-ils néfastes?

Tout dépend du point de vue sous lequel on se place. Si les taux négatifs sont douloureux pour les déposants, ils constituent une situation favorable pour les emprunteurs. Et pour certaines classes d’actifs dont l’immobilier. Nous nous trouvons dans une situation miroir de celle des années 1990 où les taux d’intérêt n’en finissaient plus de grimper et avons quitté l’ère confortable des coupons qui tombaient avec régularité sans effort particulier, une époque révolue depuis dix ans. Mais il existe bien d’autres manières d’investir que les emprunts d’Etat, et quantité de méthodes qui permettent de tirer parti de la faiblesse des taux. Investisseurs et épargnants doivent diversifier leurs placements. En matière d’investissement, la panacée universelle n’existe pas, il n’existe aucun moyen de gagner à chaque fois et par tous les temps. Et il est inhérent à tout système économique et financier que certains actifs augmentent alors que d’autres diminuent. En d’autres termes, il faut relativiser.

Les politiques qui soutiennent activement l'apprentissage
et la formation continue sont essentielles.
Les fonds de pension se trouvent toutefois fragilisés.

Cela tient largement à des réglementations qui limitent leurs capacités à tirer parti de certaines classes d’actifs comme les actions. Ceci dit le seul véritable tueur est le cash. Presque toutes les autres classes d’actifs permettent de générer des rendements.

Il est beaucoup question d’inégalités. Comment les résoudre?

Les inégalités sont largement dues à des différences de niveau d’éducation. La mondialisation et la numérisation ont accru la demande de personnel bien formé. C’est là que se trouve la véritable différentiation: dans le niveau de formation. Les politiques qui soutiennent activement l'apprentissage et la formation continue sont essentielles.

Les taux négatifs n’obèrent-ils pas aussi le revenu des banques?

C’est effectivement un problème pour les banques qui accueillent beaucoup de dépôts et n’en répercutent pas les coûts sur les déposants. Toutefois, la plupart des études tendent à démontrer que l’impact est moins préjudiciable qu’anticipé et qu’il a été critiqué de manière disproportionnée. Il existe des problèmes bien pires pour les banques. L’Allemagne, par exemple, est surbancarisée et la faiblesse de la profitabilité de ses établissements financiers est insoutenable. C’est une question bien plus sérieuse que les taux négatifs.

Ce qui compte n’est pas le taux
d’intérêt nominal mais le taux réel.
En temps de taux bas, financer les déficits publics est plus facile. N’est-ce pas le moment pour un pays comme l’Allemagne de stimuler son économie?

Effectivement, emprunter coute peu mais la raison pour laquelle les Allemands reculent est davantage liée à un rejet culturel historique des déficits qu’à une affaire de coûts des emprunts. Là où les taux bas représentent une opportunité à saisir, c’est en matière d’investissement en faveur de la transition énergétique. «Verdir» l’économie ne peut se faire qu’au prix d’un effort financier considérable car les investissements nécessaires sont massifs. C’est donc le moment d’en profiter car il est difficile d'argumenter contre les investissements verts qui offriront un meilleur avenir à nos enfants quand les taux sont si bas. Avec un soutien politique fort, les grands projets d'infrastructure ou d’alternatives au charbon ou au nucléaire seront plus faciles à mener. Regardez ce qui se passe en Suède qui relance les trains de nuit pour soutenir ses objectifs climatiques en réponse aux vols low cost.

En fin de compte, la grande peur est de voir la bulle de l’emprunt éclater.

Avec raison. Ce qui compte n’est pas le taux d’intérêt nominal mais le taux réel. Tant que l’inflation sera basse, la situation reste plus ou moins contrôlable. Une escalade trop rapide de l’inflation, une réaction mal adaptée des banquiers centraux et c’est la crise.

Mais l’inflation est-elle réellement aussi basse qu’on le pense?

Il existe effectivement un écart entre les chiffres publiés et la perception. L’une des raisons est que les prix de l’immobilier ne sont pas inclus dans les statistiques. Mais ne nous y trompons pas l’inflation reste basse surtout si on intègre l’évolution de la qualité des produits. Un ordinateur aujourd’hui n’est pas celui d’il y a 10 ou 20 ans. Même à prix égal, Il est infiniment plus puissant. Attention toutefois car l’inflation est beaucoup plus élevée dans le secteur tertiaire que dans la production industrielle mais rien n’exclut que le prix des biens reparte à la hausse si les salaires augmentent. Ne nous laissons pas bercer par la complaisance: l'inflation ne sera pas toujours dormante.