Emergents: trop tôt pour redevenir optimistes

Philippe G. Müller, UBS

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Depuis son sommet du mois de janvier, en repli de 19,8%, l'indice MSCI Emerging Markets flirte à nouveau avec les profondeurs.

 

Les marchés émergents restent sous pression. Depuis son sommet du mois de janvier, en repli de 19,8%, l'indice MSCI Emerging Markets flirte à nouveau avec les profondeurs. La volatilité du peso argentin et de la livre turque, les deux foyers de turbulences dans le monde émergent, perdure. Depuis le début de l'année, ces deux devises accusent désormais respectivement une correction de 50% et 41%.

Les tensions dans les marchés émergents donnent également quelques signes de contagion aux marchés développés. Depuis la fin juillet, l'indice STOXX Europe 600 est en repli de plus de 4%. Le moral des investisseurs est miné par l'inquiétude inspirée par le budget de l'Italie qui sera adopté d'ici peu, mais aussi par les difficultés de la Turquie et par la crainte d'un ralentissement des débouchés pour les exportations européennes dans le monde émergent.

Les actions mondiales font du surplace depuis
que l'ampleur de leur surpondération a été réduite.

Dans l'ensemble, les actions mondiales font du surplace depuis que l'ampleur de leur surpondération a été réduite à la fin juillet afin d'esquiver la volatilité alimentée par les problèmes de la Turquie. Néanmoins, la correction des marchés émergents (ME) pose deux questions. Premièrement, s'agit-il d'une belle opportunité pour effectuer des achats à bon compte sur des marchés en plein essor? Deuxièmement, faut-il redouter une contagion aux marchés dans le reste du monde?

Dans un cas comme dans l'autre, la réponse est «pas encore».

La valorisation des actions émergentes est effectivement devenue attrayante par rapport à celle des autres marchés mondiaux. Sur les douze derniers mois, l'indice MSCI ME affiche un ratio cours / bénéfices de 12,5 contre 19,6 pour le MSCI US et 14,3 pour le MSCI UEM.

Les marchés émergents ne sont plus un placement très prisé. Les données de la CFTC, l’agence américaine chargée de la régulation des bourses aux matières premières, sur le positionnement des investisseurs montrent que les hedge funds ont réduit leurs positions longues nettes quasiment à zéro. Leur exposition est au plus bas depuis août 2015 et début 2016 lorsque l'inquiétude inspirée par la Chine avait déstabilisé les marchés.

Il apparaît toujours qu'une exposition
accrue aux ME serait prématurée.

Néanmoins, même si les investisseurs pourraient profiter de la correction pour rééquilibrer leur portefeuille en les ramenant vers leurs objectifs stratégiques, il apparaît toujours qu'une exposition accrue aux ME serait prématurée:

  • Le dollar américain devrait rester fort à court terme
    Le relèvement des taux de la Réserve fédérale américaine conjugué à la vigueur du dollar constitue un environnement défavorable pour les marchés émergents, notamment pour les économies qui peinent à se financer à l'étranger. Les fonds en actions émergentes ont enregistré une décollecte lors de treize des quinze dernières semaines et, dans ce contexte, les capitaux pourraient continuer à déserter les marchés émergents.
  • L'économie chinoise ralentit
    De janvier à juillet, la croissance de l'investissement des actifs immobilisés a ralenti à 5,5% en glissement annuel, au plus bas depuis 18 ans. En août, le PMI manufacturier Caixin a baissé pour le troisième mois consécutif, à 50,6 points. Il est à son plus bas depuis juillet 2017.
  • Les inquiétudes suscitées par l’économie turque et argentine
    Le moral des investisseurs restera probablement affecté par les difficultés de la Turquie et de l'Argentine. En effet, aucune solution pérenne n'est en vue dans ces deux pays, qui sont toutefois des économies de taille relativement modeste.
Les actions américaines sont restées
relativement immunisées.

Depuis la fin juillet, il y a quelques signes de contagion limitée aux marchés développés, qui sont en repli de 3%. Cela dit, les actions américaines sont restées relativement immunisées. Elles ont récemment effacé leur sommet historique du mois de janvier. Une contagion générale serait davantage redoutée si:

  • Le ralentissement de l'économie chinoise s'accentue. Jusqu'ici, Pékin a réussi à orchestrer une décélération en douceur. Néanmoins, les niveaux d'endettement sont élevés et le yuan se déprécie. Une poursuite de l'escalade des tensions commerciales avec les Etats-Unis pourrait également pénaliser la croissance en Chine (et aux Etats-Unis), avec à la clé une contagion à d'autres marchés émergents.
  • La Réserve fédérale américaine relève ses taux d'intérêt plus vite que prévu. UBS table sur un relèvement graduel des taux directeurs aux Etats-Unis mais l'accélération de l'inflation pourrait obliger la Fed à hâter le pas, aspirant ainsi davantage de capitaux investis dans les marchés émergents et pénalisant les pays qui ont besoin d'emprunter massivement à l'étranger.
  • Les données économiques dans les marchés émergents se dégradent. Une détérioration des indicateurs économiques pourrait accentuer les craintes quant à une raréfaction des débouchés dans les marchés émergents pour les entreprises des marchés développés.

Jusqu'ici, ces scénarios plus pessimistes ne se sont pas réalisés. Le baromètre de l'inflation privilégié par la Fed, à savoir les dépenses de consommation personnelle, a enregistré une progression de 2% en juillet, conforme à l'objectif de la Banque centrale américaine et, à l'heure actuelle, il n’est pas prévu de dérapage significatif. La Chine a adopté des politiques monétaire et budgétaire plus expansionnistes afin d'atténuer le ralentissement économique.

Et malgré la volatilité marquée sur les marchés financiers, les données économiques en provenance des marchés émergents demeurent raisonnables. L'indice PMI composite pour les marchés émergents se maintient en territoire expansionniste (52,4) et les données économiques sont largement conformes aux prévisions (l'indice Citigroup des surprises économiques est quasiment stable à -6).

UBS maintient un positionnement globalement neutre sur les actifs risqués dans son allocation d'actifs tactique mondiale et considère que la diversification constitue le meilleur moyen d'éviter de se retrouver pris sur le mauvais marché au mauvais moment. Les investisseurs en quête d'opportunités tactiques sur fond de correction des marchés émergents peuvent envisager la dette souveraine libellée en USD.

L'indice JP Morgan EMBI Global Diversified offre un rendement de 6,5% et comporte un risque de change plus limité que les actions. Cette classe d'actifs est surpondérée dans l’allocation tactique UBS à l'échelle mondiale.

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