Vraiment mort?

Andrea Astone, BMO Global Asset Management

7 minutes de lecture

Y a-t-il une nouvelle vie pour l'ancienne énergie du charbon?

Les objectifs de l’Accord de Paris en matière de climat exigent une décarbonation rapide de l'économie mondiale. Dans le cadre de notre engagement sur le climat pour 2020, nous nous attaquerons au charbon, car il s'agit de l’énergie fossile la plus intensive en carbone. Nous avons demandé aux compagnies d'électricité de supprimer progressivement la production d'électricité au charbon d'ici 2030 pour les pays développés et 2050 pour les pays en développement1.

Cependant, le coût social de la fermeture des centrales au charbon ne peut être ignoré comme nous le rappelle le programme pour une «transition juste»2. Les emplois de communautés entières peuvent dépendre de la centrale à charbon locale. Et financièrement, le retrait potentiel des centrales à charbon avant la date prévue laisse les entreprises avec un risque important d'obsolescence accélérée de certains actifs.

Face à ces problèmes, certaines entreprises cherchent maintenant à reconvertir leurs centrales électriques au charbon au lieu de les fermer, en remplaçant le charbon par des combustibles alternatifs -en particulier la biomasse provenant du bois. Les compagnies d'électricité du Royaume-Uni et du Danemark ont déjà franchi cette étape, tandis que des projets sont en cours d'élaboration dans d'autres pays, dont l'Allemagne, le Japon et la Finlande.

En théorie, l'idée de l'énergie de la biomasse est séduisante. Plutôt que le processus linéaire d'extraction et de combustion du charbon - une ressource non renouvelable - la biomasse propose un processus circulaire: les arbres absorbent le CO2 pendant leur croissance et le libèrent lorsqu'ils brûlent, ce qui conduit à un résultat neutre en carbone. La biomasse présente également un avantage par rapport aux énergies renouvelables intermittentes comme l'éolien et le solaire puisqu’elle peut fournir une source d'énergie prévisible.

Certaines entreprises cherchent maintenant à reconvertir
leurs centrales électriques au charbon au lieu de les fermer,
en remplaçant le charbon par des combustibles alternatifs

Mais certains experts ont remis cette hypothèse en question, en soulignant toute la gamme d'effets secondaires et de conséquences involontaires que peut entraîner un changement d'affectation des terres à grande échelle. Et les investisseurs sont prudents et garde en mémoire l’explosion puis l'effondrement des biocarburants à la fin des années 2000.

Nous avons visité la plus grande centrale électrique du Royaume-Uni, Drax, afin de mieux comprendre la durabilité de la biomasse et les questions pratiques impliquées par la conversion des centrales électriques. Lors d'une visite de groupe d'investisseurs, coordonnée par la «Friends Provident Foundation», nous avons rencontré des membres de l’équipe dirigeante, dont leur responsable du changement climatique, et avons visité la centrale électrique.

Drax
Drax Group plc est le propriétaire de la plus grande centrale électrique du Royaume-Uni, la Drax Power Station, qui a une capacité de production de près de 4GW et est en mesure de fournir de l'électricité à environ 6 millions de ménages. Elle a été construite au début des années 1970 près de la région minière du nord du pays, et a fonctionné entièrement au charbon de 1974 à 2013.
En 2013, l'entreprise a commencé la conversion de ses chaudières pour qu'elles fonctionnent aux granulés de bois. Aujourd'hui, quatre de ses six unités de production d'électricité fonctionnent entièrement à la biomasse, et à la mi-2019, 94% de l'électricité produite l'était à partir de la biomasse.
Fin 2019, Drax a annoncé son intention d'être «la première entreprise mondiale à solde net négatif de carbone» d'ici 2030, sur la base de plans visant à introduire la récupération et le stockage du carbone à grande échelle, en collaboration avec ses partenaires National Grid et Equinor. En 2020, le fonds souverain norvégien a retiré Drax de sa liste noire d'investissements, en invoquant la transition vers un modèle sans charbon.
Qu'implique la conversion d'une centrale électrique utilisant la biomasse à la place du charbon?

Il ressort clairement de notre discussion avec Drax que le défi de la conversion du charbon à la biomasse ne se situe pas au niveau de la centrale elle-même, mais dans la chaîne d'approvisionnement.

La conversion de la centrale afin d’utiliser la biomasse (granulés) n’est pas techniquement difficile, et Drax nous a indiqué que seuls des travaux minimes étaient nécessaires sur la centrale pour s'adapter aux différents combustibles.

A l’inverse, Drax a dû faire des investissements importants pour gérer la nouvelle chaîne d'approvisionnement dans des domaines tels que les achats, le transport et le stockage. L'entreprise a développé une expertise forestière en interne et a investi dans des systèmes de gestion de la chaîne d'approvisionnement, tels que des audits et des visites sur sites. Nous avons pu observer quatre dômes de biomasse de 65 mètres et une ligne de chemin de fer dédiée permettant d’acheminer 14 trains par jour. Contrairement à ses débuts, où elle s'approvisionnait auprès des mines de charbon locales, la centrale dispose aujourd'hui d'une chaîne d'approvisionnement mondiale complexe qui exige un niveau de diligence tout à fait différent.

Il existe aussi des défis financiers importants en plus de cet exercice logistique. Le coût d'exploitation actuel de l'énergie extraite de la biomasse n'est pas encore compétitif par rapport à l'énergie conventionnelle, en raison des coûts de traitement et de transport. Sur le marché britannique - malgré l'existence d'un prix plancher pour le carbone - l'énergie produite à partir de la biomasse n'est commercialement viable que grâce à l'existence de subventions. Drax nous a indiqué qu'elle vise à réduire le coût de la biomasse avant l’arrêt des subventions en 2027 en plaçant une plus grande partie de la chaîne d'approvisionnement sous le contrôle direct de l'entreprise.

Le défi de la conversion du charbon à la biomasse ne se situe pas
dans la centrale elle-même, mais dans la chaîne d'approvisionnement.
Quel est l'impact sur la durabilité?

Les avantages de la biomasse par rapport au charbon en termes de durabilité dépendent d'une hypothèse essentielle : le processus dans son ensemble est neutre en carbone, les arbres absorbant autant de gaz à effet de serre lorsqu'ils poussent qu'ils en rejettent lorsqu'ils brûlent. Plusieurs études universitaires et d'ONG ont toutefois souligné que cela peut ne pas être le cas pour plusieurs raisons.

L'un des problèmes mis en évidence est celui des échéances. Atteindre les objectifs de Paris nécessite une action immédiate pour inverser la tendance des émissions au cours de la prochaine décennie. La combustion de la biomasse libère des émissions de gaz à effet de serre au moins aussi importantes que celles du charbon, voire plus, en raison de la plus faible densité énergétique ; mais un arbre nouvellement planté met de nombreuses années à absorber une quantité équivalente de CO2. De même, les résidus forestiers abandonnés sur place pour pourrir peuvent libérer du carbone sur plusieurs décennies, mais s'ils sont enlevés et brûlés pour produire de l'énergie, tout le carbone stocké est immédiatement libéré.

Les calculs de réduction des émissions doivent également tenir compte du scénario inverse - que se passerait-il si la biomasse n'était pas vendue à l'industrie électrique? Par exemple, si de nouvelles forêts sont plantées pour fournir de la biomasse, toute économie de CO2 devra tenir compte de la perte de CO2 stocké dans la végétation auparavant.

Enfin, le concept de neutralité carbone ne tient pas compte des émissions de la chaîne d'approvisionnement. Le processus de transformation du bois brut en pellets est une entreprise à forte intensité énergétique, et la majorité du bois de Drax doit être transporté par bateau et par train depuis l'Amérique du Nord, où se trouvent ses principaux fournisseurs.

Toutes les biomasses ne sont pas égales

Lors de nos discussions, Drax a souligné l'importance de choisir la bonne matière première de biomasse. Plutôt que d'acheter des plantations destinées à cet effet ou des arbres matures, sa stratégie consiste à utiliser les sous-produits de l'industrie du bois et du papier, en particulier les déchets provenant des forêts en exploitation (comme les arbres plus faibles, abattus pour éclaircir la forêt) et les déchets industriels (tels que la sciure et les copeaux de bois). Drax nous a indiqué que ces derniers seraient autrement brûlés ou éliminés comme des déchets pour produire de l'énergie.

Les utiliser n’aurait donc aucun impact supplémentaire sur les émissions nettes. La société a expliqué les mesures importantes qu'elle a prises pour s'assurer qu'elle ne reçoive que des matières premières de ces sources, en effectuant notamment des visites sur sites et en mettant en place des suivis.

Nous nous sommes demandés si l'on pouvait vraiment être certain que toutes ces sources ont un impact neutre. Drax nous a indiqué poursuivre l'analyse de certaines sources de matières premières, avec l'aide d'un conseil consultatif indépendant nouvellement créé.

Nous avons encouragé l'entreprise à être plus franche et ouverte sur les domaines où il subsiste une certaine ambiguïté sur le plan scientifique, par exemple sur la question de savoir si les éclaircissements des forêts ont un impact vraiment neutre.

Le chemin vers un solde carbone négatif?

En 2019, Drax a annoncé son ambition d'avoir un impact négatif en carbone d'ici 2030, en éliminant de l'atmosphère plus de dioxyde de carbone qu'elle n'en produit par ses activités. Outre le maintien d'une chaîne d'approvisionnement durable en biomasse, cela impliquerait l'utilisation de la récupération et du stockage du carbone (CSC) pour ses activités dans le domaine de la biomasse et du gaz. Nous avons vu une unité pilote sur place, qui récupère actuellement une tonne de CO2 par jour ; la société a l'ambition d'étendre sa capacité à 16 millions de tonnes par an.

Nous avons encouragé Drax à être plus franc et ouvert sur les domaines
où il subsiste une certaine ambiguïté sur le plan scientifique.

C'est un programme ambitieux. Malgré des années de recherche, le CSC en est encore à ses débuts - la capacité totale de toutes les installations en exploitation ou en construction dans le monde est d'environ 40 millions de tonnes par an3, dont une grande partie dans les secteurs du gaz et industriels plutôt que de la production d'électricité. Le CSC augmente également le coût du processus de production d'électricité, et il reste d’importantes incertitudes sur les mesures d'incitation des politiques gouvernementales ainsi que sur les questions de responsabilité et d'acceptabilité par le public.

Toutefois, il ressort clairement des analyses effectuées par des institutions telles que l'Agence internationale de l'énergie que le CSC est un élément nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, en particulier celui d’un réchauffement limité à 1,5 °C. La stratégie de Drax repose sur l'acceptation de cette logique par le gouvernement britannique et la mise en place de politiques publiques qui rendraient les plans de la société économiquement viables.

Conclusion

L'utilisation de la biomasse pour prolonger la durée de vie des centrales au charbon et réduire les émissions n'est pas une solution miracle : Les impacts de la production et de l'utilisation de la biomasse sur l'ensemble du cycle de vie varient en effet considérablement selon la source. Mal gérée, il est tout à fait concevable que la biomasse puisse avoir des impacts climatiques plus graves que le charbon.

Les propos convaincants sur la durabilité de leurs politiques d'approvisionnement nous ont convaincus, et nous saluons leur décision d'annoncer leurs plans ambitieux de réduction des émissions de carbone. Des travaux supplémentaires sont encore nécessaires pour d’une part, déterminer si la production d'énergie à partir de la biomasse est réellement neutre en carbone et d’autre part pour réduire les émissions de la chaîne d'approvisionnement. Nous avons également encouragé l'entreprise à envisager des plans d'urgence dans le cas où les coûts des matières premières ne baisseraient pas autant qu'elle l'espère et/ou que le soutien des pouvoirs publics ne se concrétiserait pas. Il s'agit notamment de prendre en compte les impacts potentiels sur les communautés locales de différents scénarios, en utilisant le cadre de la transition juste pour examiner les risques.

Drax a manifestement consacré des recherches et des ressources importantes à la sélection et au suivi de ses sources de biomasse. En tant qu'investisseurs, nous craignions que d'autres entreprises ne soient pas aussi rigoureuses. La biomasse, en tant que source d'énergie à grande échelle, comporte des risques importants de conséquences négatives non souhaitées. Il peut y avoir une limite naturelle à la croissance de l'énergie tirée de la biomasse lorsque des sources véritablement durables sont adoptées par les premiers acteurs.

Dans le cadre de notre engagement plus large avec les sociétés électriques, nous continuerons à les encourager à orienter leurs stratégies commerciales vers la décarbonation du système électrique. Lorsque nous nous entretiendrons avec des entreprises planifiant la production d'énergie à partir de la biomasse, nous les inviterons à nous indiquer comment elles entendent mettre en œuvre de solides normes de durabilité.

1 Voir la lettre commune des investisseurs institutionnels sur le changement climatique adressée à Eurelectric (décembre 2018) appelant à un arrêt progressif d’ici en 2030 pour les pays en développement, et la « Powering Past Coal » Alliance qui soutient les calendriers 2030 et 2050
2 Une « transition juste » pour les travailleurs et les communautés, alors que l'économie mondiale réagit au changement climatique, a été intégrée à l'accord de Paris sur le changement climatique de 2015
3 Institut mondial de la récupération et du stockage du carbone

 

Principaux risques
La valeur des investissements et des revenus en découlant peut évoluer à la hausse ou à la baisse du fait des fluctuations des marchés ou des taux de change et les investisseurs sont susceptibles de ne pas récupérer l’intégralité du montant initialement investi.
Les idées et opinions sont celles de BMO Global Asset Management et ne doivent pas être considérées comme une recommandation ou une sollicitation d’achat ou de vente de toute entreprise éventuellement mentionnée.
Les informations, opinions, estimations ou prévisions contenues dans le présent document ont été obtenues auprès de sources jugées fiables et peuvent être modifiées à tout moment. 
© 2020 BMO Global Asset Management. Les documents promotionnels financiers sont publiés à des fins de marketing et d’information ; au Royaume-Uni, par BMO Asset Management Limited, qui est agréée et réglementée par la Financial Conduct Authority ; dans l’UE, par BMO Asset Management Netherlands B.V., qui est réglementée par la Dutch Authority for the Financial Markets (AFM) ; et en Suisse, par BMO Global Asset Management (Swiss) GmbH, qui est agréée et réglementée par la Swiss Financial Market Supervisory Authority (FINMA). 904263_G20-0375 (02/20). Le présent article a reçu une approbation en vue de son utilisation dans les pays suivants : AT, BE, DK, FI, FR, DE, IE, IT, LU, NL, NO, PT, ES, SE, CH, UK.