Les réalités de la production alimentaire

Andrea Astone, BMO Global Asset Management

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Les sources alternatives de protéines gagnent de plus en plus de terrain, mais les grands producteurs alimentaires tardent à suivre cette tendance.

  • La demande en protéines provenant de la croissance de la population mondiale accroît l’impact de l'industrie alimentaire mondiale sur les employés du secteur et sur l'environnement.
  • Les sources alternatives de protéines gagnent de plus en plus de terrain, mais certains grands producteurs alimentaires tardent à suivre cette tendance.
  • De nombreuses entreprises alimentaires ont déjà mis en œuvre des stratégies et des objectifs de durabilité, mais l'engagement des investisseurs peut permettre d’identifier les lacunes et les défis et de faire en sorte que les entreprises ayant des approches moins développées adoptent ces meilleures pratiques.

Des initiatives telles que «Veganuary» et les «lundis sans viande» sont un signe de l'évolution des modes de consommation alimentaire. Les gens sont de plus en plus conscients que leurs habitudes alimentaires peuvent avoir un coût environnemental et social dramatique. En tant qu'investisseurs, nous nous intéressons particulièrement à la manière dont les entreprises gèrent les risques ESG à la fois dans leur activité et leurs chaînes d'approvisionnement et souhaitons savoir si elles recherchent des opportunités dans des domaines à forte croissance tels que les protéines végétales.

L'industrie alimentaire est un important contributeur aux gaz à effet de serre, à la déforestation et à la rareté de l'eau. Elle est responsable de 70% des prélèvements d'eau et de l'agriculture, tandis que la sylviculture et les autres utilisations des terres sont responsables de près d'un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Alors que les prévisions indiquent que la population mondiale atteindra 9,8 milliards d’habitants en 2050 contre 7 milliards en 2010, et que les revenus augmentent dans les pays en développement, la demande alimentaire globale est en passe d'augmenter de plus de 50%, et la demande d'aliments d'origine animale de près de 70%. Les pratiques actuelles de production et de consommation alimentaires entraînent l'utilisation des ressources naturelles à des niveaux insoutenables et contribuent fortement au changement climatique.

Nous nous sommes engagés depuis un certain temps dans des systèmes alimentaires durables, en nous concentrant dans un premier temps sur la nutrition, les risques liés à l'eau et les aspects liés au travail. Au cours des trois prochaines années, nous nous efforcerons de faire évoluer certains des plus grands producteurs, négociants et détaillants de denrées alimentaires au monde, en leur faisant adopter les meilleures pratiques pour les aider à répondre à la demande croissante de produits alimentaires tout en mettant un terme à la détérioration effrénée de l'environnement. Cela permettra de stabiliser l’évolution du climat, d'améliorer la gestion globale des risques et des opportunités, ainsi que d’obtenir de meilleures performances pour les investisseurs et les différentes parties prenantes.

Nous sommes en relation avec les détaillants, les négociants, les producteurs, les banques ainsi que les entreprises de biens de consommation à travers le monde.

Nous alignerons également nos efforts sur diverses initiatives d'engagement collaboratif. Cela comprend le groupe de travail des PRI sur les forêts durables, qui se concentre sur la production de bétail et de soja ; l'initiative des investisseurs FAIRR («Farm Animal Investment Risk and Return») sur les protéines alternatives; et l'«Asia Research and Engagement» (ARE) sur les protéines animales.

Nous serons tout particulièrement attentifs à:

Production alimentaire
  • Évaluations complètes des risques liés à l'eau, y compris dans les chaînes d'approvisionnement en aliments pour animaux
  • Systèmes de gestion des eaux usées, y compris les plans de gestion du fumier
  • Objectifs relatifs à l'eau ; évaluations des risques climatiques, y compris dans la chaîne d'approvisionnement en aliments pour animaux
  • L'innovation technologique pour augmenter la productivité et améliorer l'efficacité de l'utilisation des ressources
  • Les indicateurs clés de performance environnementale, y compris les objectifs à long terme alignés sur l'accord de Paris sur le climat
Consommation alimentaire
  • Évaluation de l'investissement dans le développement de substituts de la viande et évaluation des risques concernant les tendances émergentes dans les préférences des consommateurs, par exemple les protéines de substitution
  • Mesures et objectifs de réduction du gaspillage alimentaires et des déchets
  • Solutions technologiques pour réduire le gaspillage alimentaire
Chaînes d'approvisionnement sans déforestation
  • Évaluation et transparence des risques de déforestation liés à ses propres activités et ses chaînes d'approvisionnement
  • Engagement à ne pas engendrer de déforestation au travers de ses propres activités et de sa chaîne d'approvisionnement
  • Engagement en faveur d'une traçabilité complète avec des délais précis
  • Un système de gestion de la chaîne d'approvisionnement durable et complet

Nous avons lancé le projet d'engagement par un voyage d'une journée chez trois producteurs et détaillants au Royaume-Uni.

Sainsbury's

Nous avons rencontré le directeur de la stratégie du détaillant britannique, le directeur de l’immobilier et des achats, et le directeur de la communication mondiale. Ils nous ont présenté leur nouvelle stratégie pour attendre la neutralité carbone d'ici 2040 dont les piliers reposent sur la gestion de l'eau et du carbone, la réduction des plastiques dans l'emballage et la production, une alimentation saine et durable et la limitation du gaspillage alimentaire. Un groupe de travail couvre chaque thème et rend compte au Conseil de la responsabilité et de la durabilité de l’entreprise («Corporate Responsibility and Sustainability Board»), présidé par le PDG. Bien que la stratégie soit vaste et qu'elle constitue un pas - bien que tardif - dans la bonne direction, nous avons souligné la nécessité d'évaluer et de divulguer davantage de détails sur l'empreinte environnementale des produits de l'entreprise (émissions «scope 3»), y compris l'empreinte hydrique. La société déclare qu'elle le reconnaît mais qu'elle rencontre des difficultés à obtenir les bonnes données, et qu’elle coopère avec un consultant externe pour résoudre ce problème.

Nous avons par ailleurs souligné nos efforts en faveur de l'initiative FAIRR sur les chaînes d'approvisionnement durables en protéines et avons encouragé Sainsbury's à prendre en compte dans le cadre de sa stratégie de durabilité.

Aspects sociaux des chaînes d'approvisionnement alimentaire
Si les questions environnementales sont clairement au centre de nos préoccupations, nous discuterons également les normes en matière de travail et de droits de l'homme dans les sites de fabrication et les chaînes d'approvisionnement. Nous aborderons le taux de rétention du personnel et effectueront des propositions à propos des niveaux de salaire, et le paiement d'un salaire de subsistance, comme une option supplémentaire pour augmenter la rétention des collaborateurs.
Dans tous nos engagements, nous soulignerons également notre soutien à la «Workforce Disclosure Initiative» (WDI) et encouragerons les entreprises soit à répondre soit à approfondir leur réponse à l'enquête annuelle de la WDI. Nous aborderons également avec les entreprises la manière dont elles prennent en charge leur personnel en réponse à la crise COVID-19, en encourageant les meilleures pratiques telles que les congés maladie payés et le travail flexible pour ceux qui doivent s’occuper d’autres personnes.1
Cranswick 

Nous avons rencontré le directeur financier de ce producteur alimentaire britannique, le responsable marketing et le directeur d'une usine de transformation du porc et du poulet à Milton Keynes (Royaume-Uni) pour discuter de leur stratégie de durabilité. Ce rendez-vous incluait également une visite d'usine. L'entreprise a présenté ses engagements en matière de durabilité, notamment un objectif de zéro émission nette d'ici 2040. Nous avons discuté de certains des changements que nous constatons dans les habitudes de consommation alimentaire au Royaume-Uni, notamment une baisse de la consommation de viande rouge et un intérêt croissant pour les protéines végétales. À ce stade, Cranswick n'a pas l'intention de se lancer dans la commercialisation de substituts de viande, et prévoit plutôt de continuer de se concentrer sur ses produits de base. Nous les avons fortement incités à être ouverts à l'idée d’une diversification de l'activité étant donné que les tendances actuelles sont susceptibles de s'intensifier. Nous avons également discuté de la chaîne d'approvisionnement du soja qui est la principale source d’alimentation des 20’000 porcs produits chaque semaine. Ils ont pris l'engagement audacieux de faire certifier tout leur approvisionnement en soja d'ici 2025. Une partie de cet objectif consistera également à étudier d'autres sources d'alimentation et d'autres régions de production, en évitant les zones à haut risque comme le Cerrado ou l'Amazonie au Brésil.

Cranswick couve et fait éclore 900’000 œufs par semaine.
Britvic

Le directeur financier de l'entreprise de boissons a présenté la stratégie actuelle et les réalisations avant que le directeur du développement durable ne fasse part des objectifs en matière de développement durable.

Les réductions caloriques ont été bien intégrées. L'entreprise communique régulièrement des informations au «Carbon Disclosure Project» (CDP) et s'est engagée à le faire conformément aux exigences du Groupe de travail sur les informations financières relatives au climat («Task Force on Climate-related Financial Disclosures» - TCFD); nous avons particulièrement souligné la nécessité d'améliorer les évaluations des risques liés aux sources d'eau et la publication des différents résultats. Nous avons également souligné la nécessité d'engagements plus larges en matière de durabilité liés à leur chaîne d'approvisionnement en sucre.

Réflexions pour l’avenir
Ces trois réunions permettent d’obtenir une bonne compréhension des pratiques actuelles dans trois différentes parties de la chaîne alimentaire. Nous pensons qu’il est encourageant de constater que tous avaient déjà mis en place de vastes programmes de durabilité, et nos discussions nous ont permis de mieux comprendre les meilleures pratiques, ainsi que certains des défis importants de leur mise en œuvre, comme la disponibilité de l'information. À l'avenir, l'un des aspects prioritaires portera sur le partage d’une partie de cette expérience avec les entreprises des marchés émergents, où les stratégies de durabilité sont souvent moins bien développées que celles de leurs homologues des marchés développés.
1 Voir également le point de vue «les implications du COVID-19 sur la gestion ESG»: https://www.bmogam.com/gb-en/intermediary/news-and-insights/esg-implications-of-the-covid-nineteen-pandemic/

 

Les idées et opinions sont celles de BMO Global Asset Management et ne doivent pas être considérées comme une recommandation ou une sollicitation d’achat ou de vente de toute entreprise éventuellement mentionnée.
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