Le plan d’action européen pour la finance durable à la rescousse du climat

Jan Amrit Poser, J. Safra Sarasin Asset Management

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L’UE compte utiliser la finance comme un levier au service d’une économie plus respectueuse de l’environnement.

© Keystone

L’Union européenne est en train de mettre en place une nouvelle législation visant à orienter les capitaux du secteur financier vers la transition énergétique. Parmi les mesures envisagées figurent une définition précise des produits financiers verts et la manière dont ils doivent apparaître dans la chaîne de valeur des établissements financiers, de la phase de conseil à la définition d’indices de référence. Ces mesures vont encore accélérer la croissance des actifs durables et entraîneront des changements radicaux pour le secteur financier

L’UE s’aligne sur les objectifs mondiaux…

En adoptant l’Accord de Paris sur le climat et les Objectifs de Développement Durable de l’ONU en 2015, les gouvernements du monde ont décidé d’emprunter un chemin durable pour la planète et pour l’économie mondiale. Le Programme 2030 de l’ONU repose sur 17 objectifs qui serviront d’orientation aux États pour les 15 prochaines années sur la voie d’un avenir garant de stabilité, de la santé de la planète, de sociétés inclusives et résilientes et de la prospérité. L’Accord de Paris, ratifié en décembre 2015 par 195 pays, constitue le tout premier accord universel sur le climat ayant pour objectif une adaptation et une meilleure résistance au changement climatique, tout en limitant la hausse des températures mondiales à moins de 2°C.

…en encourageant la finance durable…

À l’heure où se multiplient les conséquences catastrophiques du changement climatique et de la raréfaction des ressources naturelles, l’UE appelle à agir sans tarder pour adapter les politiques publiques à cette nouvelle réalité. Convaincue que le système financier peut jouer un rôle clé à cet égard, l’UE compte utiliser la finance comme un levier au service d’une économie plus respectueuse de l’environnement, avec le but ultime de réorienter les capitaux vers des placements durables, en encourageant la transparence et une vision à long terme.

Le plan d’action de l’UE

Source: Commission européenne, 2018

Fin 2016, la Commission a nommé un groupe d’experts en finance durable. Ce dernier a publié le 31 janvier 2018 un rapport final proposant une vision globale de la mise en place d’une stratégie de finance durable pour l’UE. Selon ce rapport, la finance durable consiste (1) à améliorer la contribution du monde financier à une croissance pérenne et inclusive en finançant les besoins de la société et (2) à renforcer la stabilité financière en introduisant des considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le processus de choix des placements.

…au moyen d’un plan d’action détaillé…

En mars 2018, la Commission européenne a fait connaître son plan d’action, qui s’appuie sur les recommandations du groupe d’experts et propose dix réformes à mener dans trois domaines:

Premier domaine: la réorientation des flux d’investissements financiers vers les placements durables

  • Mise en place d’un système de classification unifié au niveau de l’UE pour définir les activités durables
  • Création de normes et de labels pour les produits financiers verts
  • Encouragement à investir dans des projets durables
  • Prise en compte de la durabilité dans les conseils financiers
  • Élaboration d’indices de référence pour la durabilité

Deuxième domaine: l’intégration de la durabilité dans le processus de gestion des risques

  • Meilleure intégration de la durabilité dans l’évaluation des entreprises et l’analyse financière
  • Clarification des devoirs fiduciaires des investisseurs institutionnels
  • Prise en compte de la durabilité dans les exigences prudentielles

Troisième domaine: l’encouragement de la transparence et d’une vision à long terme dans les activités financières et économiques

  • Amélioration des informations publiées par les entreprises et des standards comptables
  • Incitation à une gouvernance d’entreprise durable et lutte contre le court-termisme sur les marchés de capitaux
…aux conséquences d’une grande portée

La feuille de route législative sera intégrée au dispositif réglementaire communautaire et aura donc des conséquences d’une grande portée pour le secteur financier. Quatre aspects en particulier auront seront importants pour les gestionnaires d’actifs:

  1. La taxonomie
    La taxonomie vise à bâtir un cadre qui permettra de faire une distinction entre produits financiers « verts » et « bruns ». Elle est considérée comme une première étape essentielle pour la réorientation des investissements vers les activités durables.
  2. Obligation d’information
    Cette disposition instaurera pour les investisseurs institutionnels l’obligation d’expliquer comment ils intègrent les facteurs ESG dans leur processus de gestion des risques. Il est prévu d’englober cette obligation dans les devoirs fiduciaires à l’égard des investisseurs et des bénéficiaires.
  3. Indices de référence
    Le projet de la Commission prévoit une nouvelle catégorie d’indices de référence «low carbon», afin d’aider les investisseurs à mieux comprendre l’empreinte écologique de leurs placements. La création d’une méthodologie unifiée pour définir des indices low carbon pourrait réorienter des placements jusque-là gérés par rapport à des indices de référence ordinaires vers des entreprises plus actives dans la lutte contre le changement climatique. En outre, les gérants de portefeuille devront se préoccuper davantage des questions climatiques s’ils se mesurent à ces nouveaux indices de référence.
  4. Préférences du client et conseil financier
    En outre, la Commission européenne prévoit de modifier la directive concernant les marchés d’instruments financiers (MiFID II) et la directive sur la distribution d’assurance (DDA) afin d’inclure des considérations ESG dans les conseils financiers que dispensent à leurs clients les sociétés d’investissement et les compagnies d’assurance. Concrètement, ces dernières devront demander à leurs clients s’ils souhaitent des conseils en matière de placements durables. Si c’est le cas, le conseiller devra proposer des produits et recommandations allant dans ce sens.
Les actifs durables devraient se multiplier

Selon le Forum européen de l’investissement responsable (EuroSIF), le marché des actifs durables affiche une croissance à deux chiffres depuis six ans. En effet, les gestionnaires d’actifs ont commencé à intégrer des facteurs ESG dans la gestion de leurs fonds.

Nous pensons que la nouvelle réglementation accélérera fortement la croissance du marché au cours des prochaines années. Le simple fait que les gérants vont devoir expliquer comment et pourquoi ils intègrent des éléments ESG à leur processus d’investissement déclenchera une réflexion. En effet, rares seront ceux qui assumeront d’être à contre-courant et seront prêts à  expliquer clairement pourquoi ils n’intègrent pas de critères ESG à l’heure où les instances de réglementation les encouragent.

Plus important encore, la révision de la directive MiFID II impliquera une refonte complète du processus de conseil aux clients dans la plupart des banques. En complément, il faudra demander aux sélectionneurs des fonds de tenir compte des considérations ESG, proposer une gamme de produits appropriée et former les conseillers à la clientèle aux caractéristiques des placements durables.