Le financement de contentieux, classe d’actifs en pleine expansion

Marc Syz, SYZ Capital

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Le risque extrême lié au COVID-19 montre l’importance des performances décorrélées.

En janvier dernier, à l’occasion de la conférence annuelle sur les produits alternatifs organisée par SYZ, le fondateur de CQS, Sir Michael Hintze, avait prédit devant un parterre d’investisseurs influents qu’une pandémie imminente risquait de frapper les marchés mondiaux.

Selon lui, ce «cygne noir» provoquerait un choc asymétrique qui aurait de profondes conséquences sur l’économie et le système financier mondial.

Quelques semaines à peine après sa prédiction, le COVID-19 ravage les marchés internationaux. Les valorisations fragiles se sont effondrées et la diversification des portefeuilles est de nouveau sous pression. Parallèlement, les autorités mondiales s’efforcent d’endiguer la contagion économique.

Pandémie sur les marchés

Bien que nous ne nous attendions pas à une arrivée aussi soudaine de la pandémie, nous étions déjà très préoccupés par les valorisations. Dans les semaines qui ont précédé cette catastrophe, notre modèle interne d’allocation d’actifs faisait état d’un environnement économique en phase finale. De nombreux investisseurs entraient sur un marché du capital-investissement extrêmement tendu et surendetté, ou y renforçaient leur exposition. Tant au sein de nos classes d’actifs traditionnelles que dans nos portefeuilles de placements alternatifs, nos modèles révélaient un écart entre les valorisations de toute une série d’actifs risqués et leurs performances potentielles. Cela nous avait déjà incités à revoir notre allocation d’actifs et nos expositions au risque.

Notre objectif est d’orienter l’investisseur vers les segments de marchés privés négligés par la plupart des investisseurs traditionnels en raison de leur taille, de leur complexité ou de leurs horizons de placement inadaptés.

C’est pourquoi nous consacrons nos capacités de recherche à l’identification des opportunités de placement réellement décorrélées et mieux valorisées. Notre exposition au financement de contentieux illustre bien cette démarche: les actions en justice que nous finançons offrent des performances décorrélées de celles des marchés de capitaux.

Le financement de contentieux est une classe d’actifs en pleine expansion. Il désigne le soutien financier apporté par un bailleur de fonds tiers à un plaignant dans le cadre d’un litige juridique. En échange de ce soutien, le bailleur exige soit un taux de rendement spécifique, soit un pourcentage des gains futurs. Cette pratique remonte à l’Antiquité. Les Athéniens intervenaient en tant que tiers pour plaider certaines affaires. Apollodore, le fils d’un riche banquier, était célèbre pour ses prises de participation financières dans des procès pour lesquels il engageait des orateurs professionnels qui rédigeaient ses plaidoiries.

Une pratique courante

Plus récemment, le financement de contentieux est réapparu en Australie à la fin des années 1990, avant de gagner rapidement le Royaume-Uni, les États-Unis et d’autres pays comme le Brésil et Singapour. Les besoins en matière de financement de tiers sont réels et croissants, et ce, pour des motifs divers (comptabilité, agences, économies, etc.).

Cette pratique a contribué ces dernières années à l’émergence, dans la presse, de récits épiques relatant certaines batailles juridiques inégales remportées par David contre Goliath. Par exemple, la petite entreprise britannique Miller a reçu une indemnité colossale de la part du géant américain de la construction Caterpillar, qui était accusé d’avoir volé un secret concernant une pièce vitale de machinerie lourde.

Cette classe d’actifs nécessite de solides compétences à l’entrée, résiste aux cycles de marché et dispose d’un cadre reproductible, ce qui lui permet de produire des performances attrayantes et stables. À l’échelle mondiale, le pourcentage de cabinets juridiques exposés au financement de contentieux est passé de 7% en 2013 à 36% en 2017. Le Royaume-Uni est le marché le plus mûr pour le financement de contentieux, bien que celui des États-Unis soit le plus important. Le marché américain est également le plus concurrentiel, dans la mesure où les plaignants ne sont pas redevables des frais de défense et où les affaires sont entièrement inscrites au bilan des cabinets juridiques.

Seule une fraction du marché des contentieux est actuellement financée, ce qui laisse entrevoir un vaste potentiel au niveau mondial. Toutefois, il est important de s’associer à des bailleurs expérimentés en matière de contentieux, lesquels doivent être soigneusement choisis sur la base de l’importance de leur réseau, de leur expérience, de leur accès unique au marché et de leurs capacités d’exécution structurées. La diversification est également primordiale dans toute stratégie dans la mesure où la distribution des performances est leptokurtique, ce qui implique un grand nombre de performances plus élevées et moins élevées.

En raison de cette dynamique analogue à celle des droits d’auteur musicaux, popularisée par David Bowie dans les années 1990, le financement de contentieux constitue une extension du principe de titrisation au sein d’une nouvelle classe d’actifs, ainsi qu’une nouvelle source de diversification. Le financement de contentieux ne présente aucune corrélation avec les marchés financiers tels que les actions ou les obligations, et offre ainsi d’importants avantages en termes de diversification de portefeuille. Le secteur est également décorrélé des performances de l’économie dans son ensemble; les replis du marché se traduisent généralement par une hausse des actions en justice, et donc des flux de transactions.

Des possibilités inexploitées

Le marché est en grande partie inexploité, et rares sont les affaires qui aboutissent à de lourds processus concurrentiels. Les hedge funds et autres formes de capitaux purement financiers n’ont pas les compétences nécessaires pour financer des affaires spécifiques. En effet, cela exige des relations approfondies avec les cabinets juridiques, ainsi qu’un capital humain, un processus de due diligence efficace et un certain savoir-faire.

Face à une demande en forte croissance, les bailleurs de fonds sont bien placés pour tirer profit des performances anormales dans un avenir prévisible, ce qui fait du financement de contentieux une classe d’actifs comparable aux stratégies de capital-investissement ou de dette privée d’il y a 10 ou 15 ans. Au cœur de notre processus d’investissement figure une rigoureuse stratégie intégrée de gestion des risques. Celle-ci nous permet de mieux identifier, grâce à nos modèles et indices internes, les risques endogènes et exogènes afin de pouvoir déceler rapidement ces signes.

Nos analyses de portefeuilles et macroéconomiques, associés aux points de vue de nos partenaires spécialisés, nous permettent de protéger nos portefeuilles discrétionnaires ainsi que ceux que nous gérons pour nos clients de manière consultative. Nous sommes ainsi en mesure d’atténuer les risques baissiers importants liés à ce que certains considèrent comme des événements imprévisibles, lesquels peuvent entraver la performance globale à long terme.

En ces temps de faible croissance, les performances non corrélées se font de plus en plus rares. Les investisseurs doivent élargir leur champ de prospection s’ils veulent obtenir de solides performances corrigées du risque à long terme. Dans ce contexte, les classes d’actifs plus rares comme le financement de contentieux constituent d’importantes sources de diversification.