Karlsruhe sème le doute

Axel Botte, Ostrum AM

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La cour constitutionnelle allemande met en cause la politique de la BCE.

© Keystone

Les marchés d’actions poursuivent leur rebond malgré la récession et la chute des résultats. Le S&P gagne encore 3,5% cette semaine. Shanghai s’adjuge 3% en trois séances. L’Europe perd 0,5% mais termine la semaine sur une note positive.

Sur les marchés obligataires, la Cour de Karlsruhe somme la BCE de s’expliquer sous 3 mois sur les modalités du PSPP. Cela relance la spéculation baissière sur les BTPs et l’euro (-1,3% contre dollar). L’emprunt italien s’est cependant resserré après la décision de Moody’s de laisser sa note inchangée (Baa3). Le crédit a sous-performé le Bund (+6pb). Le high yield européen s’écarte de 11pb.

Aux Etats-Unis, l’annonce du refinancement trimestriel du Trésor a provoqué une pentification de la courbe avec la réapparition du 20 ans. Par ailleurs, les marchés monétaires intègrent des taux Fed Funds négatifs en fin d’année. La Fed exclut pourtant cette politique. Le high yield américain profite aussi du redressement des cours pétroliers. Enfin, les spreads sur la dette émergente en USD reviennent sous le seuil de 600pb contre Treasuries.

Début mars, la Fed a abaissé à 0-0,25% la fourchette des Fed Funds. Les marchés spéculent désormais sur le risque de taux négatifs aux Etats-Unis.
Les volumes échangés sur le contrat Fed Funds janvier 2021 ont été inhabituellement élevés cette semaine. Ce contrat reflètera pleinement la décision de la Fed en décembre prochain. Son taux implicite se situe à -0,03%, ce qui correspond à une probabilité de 15% que le FOMC abaisse l’objectif de taux sous 0%. Cela étant, selon Thomas Barkin (Fed de Richmond), les taux négatifs restent exclus à ce stade.
Une décennie de croissance de l’emploi perdue en quelques semaines

Les marchés financiers soutenus par des banques centrales hyperactives ignorent le plongeon sans précédent de l’activité. L’inflexion à la baisse entrevue en fin de premier trimestre s’est amplifiée sur la première moitié du deuxième. Les enquêtes dans le secteur des services en zone euro témoignent de l’ampleur de la contraction liée aux mesures de confinement. Les indices PMI des services sont tombés autour de 10 sur une échelle de 0 à 100.

Aux Etats-Unis, la situation est à peine plus favorable qu’en Europe et c’est principalement le fait d’un confinement plus tardif. L’économie américaine a détruit plus de 20 millions d’emplois en avril. En l’espace d’un mois, une décennie de croissance a été effacée. L’enquête du Bureau of Labor Statistics prend en référence la semaine du 12e jour du mois. Or les nouvelles inscriptions hebdomadaires au chômage se chiffrent encore en millions. Au cours des trois dernières semaines, on dénombre ainsi plus de 11 millions de chômeurs supplémentaires.

Le taux de chômage usuel
se situe à 14,6% en avril.

Le taux de chômage usuel se situe à 14,6% en avril. Sa hausse n’est en fait limitée que par la diminution du taux de participation des ménages. Les mesures prenant en compte les personnes découragées et le temps partiel subi atteignent des niveaux inconnus dans la crise financière de 2008. La mesure la plus large du sous-emploi (U-6) ressort en effet à 22,8% contre un sommet à 17,2% en décembre 2009. L’accélération des salaires horaires moyens (+7,9%a en avril) est insignifiante et traduit simplement un biais de sélection dans l’échantillon. Les pertes d’emplois frappent en priorité les plus fragiles. Ce ne sera pas sans conséquence. Les défauts de paiements des ménages vont nécessairement exploser. En effet, 40% des ménages américains ne peuvent faire face à une dépense imprévue de 400 $ selon une étude de la Fed de New York. Les défauts sur les prêts automobiles étaient déjà en hausse constante depuis 2014 alors que l’économie était au plein emploi. Les provisions pour pertes de crédit passées par les banques américaines au premier trimestre laissent peu de doutes quant à la qualité de leurs actifs.

La BCE attaquée par Karlsruhe

La cour constitutionnelle allemande met de nouveau en cause la politique monétaire de la BCE. Karlsruhe exige, sous 3 mois, des explications quant à la non-proportionnalité des achats d’emprunts publics de la BCE. En théorie, la Cour pourrait contraindre la Bundesbank à cesser ses opérations liées à la politique monétaire commune. L’indépendance des banques centrales, habituellement chère aux autorités allemandes, sera rappelée de sorte que cet avis a in fine peu de chance d’infléchir la politique de Christine Lagarde. Mais cette annonce intervient dans un climat de tensions au sein des institutions européennes. Les discussions sur le plan de relance budgétaire de l’UE ont ainsi été reportées de deux semaines. Les spreads périphériques ont aussi réagi.

Sur les marchés de taux, le Bund se maintient sous le seuil de -0,50% après la diminution des taux d’intérêt applicables au prochain TLTRO-III (-1%). Les estimations de demande des banques européennes lors de l’opération de juin s’échelonnent entre 700 et 1200 milliards d'euros. Les injections de liquidité financeront pour partie des opérations de portage sur les maturités inférieures à 3 ans. Les spreads souverains courts devraient ainsi diminuer. En outre, les quatre agences ont désormais actualisé leur notation sur l’Italie. Fitch a abaissé sa note à BBB-, Moody’s, S&P et DBRS les ont maintenues malgré des perspectives sombres. C’est sans doute un soutien au marché pour les semaines à venir. Le spread du BTP 10 ans est revenu d’un sommet proche de 250pb à 238pb en clôture hebdomadaire. Concernant le crédit, les swap spreads courts s’écartent engendrant une légère sous-performance du crédit IG européen. Le déluge d’émissions aux Etats-Unis depuis le mois de mars attire sans doute une partie des flux d’investissements. Le spread moyen au-delà de 200pb reste néanmoins attrayant des deux côtés de l’Atlantique.

Le marché actions américain
semble insubmersible.

Aux Etats-Unis, les investisseurs spéculent sur une baisse des Fed Funds en territoire négatif dès le mois de décembre. L’annonce du Trésor américain d’un besoin de financement brut de 3000mds $ au 2T20 a provoqué une pentification de la courbe (5-30 ans notamment), initialement par une hausse des taux longs puis par une baisse des anticipations de taux courts. Le 2 ans s’est rapproché du taux repo de la Fed (0,10%). La taille des émissions a été relevée sur toutes les maturités. L’introduction d’une nouvelle référence à 20 ans augmentera la duration (le risque de taux) vendue au marché, d’où la pression haussière sur les rendements à long terme.

Le marché actions américain semble insubmersible. Une analyse de la Fed de New York des publications trimestrielles rapporte pourtant une fréquence inédite de réductions de dépenses d’investissement (45%), alors qu’un tiers des entreprises réduisent leurs retours à l’actionnaire. Le S&P 500 s’échange néanmoins à 2930 points soit un rebond de plus de 30% depuis le 23 mars. Le positionnement spéculatif encore largement vendeur limite sans doute le potentiel de retournement baissier à court terme. Cela étant, l’indice est dominé par les «GAFAM» qui représentent 20% de la capitalisation. Le S&P 500 équipondéré accuse un retard de performance de 7,5% cette année par rapport à l’indice pondéré par les capitalisations cette année. Cela explique une partie de l’écart entre la performance financière apparente et la réalité économique sous-jacente. En Europe, les entreprises privilégient également leur solidité financière au détriment de l’investissement. Les bénéfices plongent de 25% au 1T20. La santé est le seul secteur européen à afficher un chiffre d’affaires en hausse de plus de 4%.

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