Tensions au Moyen-Orient: le 10 ans sous 1,80%

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Fin d’année tendue

Le taux US Treasury à 10 ans a clôturé l’année à 1,92% et son homologue allemand, le Bund, à -0,19%. Compte tenu de l’excellent parcours des emprunts d’états en 2019, cette (légère) tension de fin d’année n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Que les taux terminent l’année sur ces niveaux, en rendant 0,5% de performance sur les dix derniers jours de l’année, cela ne change guère l’appréciation des marchés sur les performances des obligations en 2019 et nous donne un petit «bonus» de performance pour 2020. Nous étions préparés à un tel scénario et mi-décembre nous avions coupé la quasi-totalité de nos positions longues en taux nominaux pour ne conserver que les TIPS. En effet, le retour d’anticipations d’inflation plus conformes à la normalité, en ce début d’année, devrait favoriser les taux réels. 

L’appétit pour le risque devrait déboucher
sur un bearish steepening de la courbe des US Treasuries.

Cela dit, une de nos craintes majeures en cette fin d’année ne s’est pas matérialisée : le marché interbancaire n’a pas connu de crise majeure de liquidité. La Fed a mis ce qu’il fallait dans le circuit pour éviter le chaos et c’est tant mieux. A court terme réjouissons-nous mais gardons à l’esprit que le marché du repo peut dérailler à tout moment. D’après les experts, les perspectives sont bonnes sur les marchés actions malgré un parcours 2019 exceptionnel, clôturant une décennie elle-même remarquable. L’appétit pour le risque, conjugué à une stabilisation de l’économie, à un léger retour de l’inflation et à une politique de statu quo de la Fed devrait – selon le consensus – déboucher sur un bearish steepening de la courbe des US Treasuries. Nous ne sommes toujours pas convaincus par le scénario «Goldilocks forever» et préférons pointer du doigt les principaux risques militant pour le maintien d’un niveau de duration approprié, en baisse par rapport à l’année dernière mais suffisamment élevé pour jouer son rôle de safe haven.

Risque géopolitique, ISM et Fed

En ce début d’année, les marchés ne pensent plus au Brexit ou à la guerre commerciale sino-américaine. Ils craignent la guerre, la vraie, suite au brutal accroissement des tensions au Moyen-Orient et un possible conflit avec l’Iran. Il n’y a aucune autre explication pour justifier le retour du 10 ans américain sous le niveau de 1,80%. Cette crainte de conflit laisse même de côté la tension sur le prix du pétrole qui est traditionnellement associée à une hausse des rendements. Les marchés actions perdent un peu de leur superbe et les valeurs-refuges sont de nouveau prisées par ceux qui les sous-estimaient il y a encore dix jours. C’est valable pour les taux mais également pour l’or puisque l’once, qui s’affichait à 1'500 dollars à Noël, culminait à 1'580 dollars hier matin. Bien évidemment, la mort d’un haut responsable militaire iranien a fait passer au second plan tous les autres sujets d’actualité. 

Les marchés pourraient bien être à la merci
d’erreurs de politique monétaire en 2020.

Il faut néanmoins ne pas passer sous silence la publication vendredi de chiffres ISM particulièrement médiocres. L’ISM manufacturier est ressorti à 47,2 (contre 49,0 attendu) avec une composante new orders à 46,8 et une composante emploi à un très décevant 45,1. Comme les minutes du FOMC du 11 décembre ont confirmé que Jerome Powell et son équipe se sont mis en mode statu quo pour 2020, il semble de plus en plus probable que cette nouvelle année sera encore sous le signe des banques centrales. Mais si en 2019, les marchés doivent en grande partie leurs performances excellentes au revirement brutal de la Fed (trois baisses de taux contre trois hausses attendues et taille du bilan qui repart à la hausse contre quantitative tightening annoncé), ils pourraient bien être à la merci d’erreurs de politique monétaire en 2020.    

Quel niveau de duration pour commencer l’année?

Compte tenu des risques qui s’accumulaient et de performances élevées, nous avons donc réduit drastiquement notre duration pour le passage de fin d’année. La question qui se pose à nous pour les prochains jours est la suivante: faut-il remettre un peu de risque, via les 10 et 30 ans Treasuries, compte tenu de la situation géopolitique tendue, des données macroéconomiques, du comportement des banques centrales et du niveau stratosphérique atteint par les actions? La réponse est sans doute oui mais nous ne reviendrons probablement pas sur les niveaux de duration que nous avions adoptés, notamment au cours de l’été dernier. 

Nous pensons toujours que la Réserve Fédérale sera obligée de baisser ses taux, sans doute à deux ou trois reprises, à partir de mai-juin. Notre objectif sur le 10 ans américain se situe toujours dans la zone 1,3%-1,4% voire plus bas en cas de crise aigüe. Il nous reste donc à déterminer le timing pour revenir petit à petit sur les taux longs US, sachant qu’il nous faudra une bonne dose de courage pour naviguer à contre-courant de la pensée dominante.
Bonne année 2020 à tous!

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