Tension sur les taux italiens et émergents

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 
Villeroy de Galhau contre la monotonie ambiante

Nous pensions nous ennuyer en attendant les prochaines réunions de banques centrales mi-juin mais c’était sans compter sur le gouverneur de la Banque de France. Monsieur Villeroy de Galhau a, en effet, jeté un pavé dans la mare en commentant les futures décisions de la BCE sur un ton très hawkish. Il a notamment déclaré que le laps de temps entre fin du QE et début des hausses de taux se comptera en trimestres et non en années. Ainsi, en début de semaine dernière, le Bund s’est tendu d’une dizaine de points de base, passant de 0,55% à 0,65%. En soi, ce mouvement de taux pourrait paraître anecdotique – c’est le lot des marchés obligataires de se tendre ou détendre de quelques points de base – mais il a eu pour conséquence le franchissement du niveau-clé de 3,05% par le 10 ans US. En effet, le 15 mai dernier, le taux de référence à 10 ans des obligations du trésor US est passé de 3% à 3,09%. Ainsi, le retour vers 2,84% n’étant plus d’actualité, les marchés ont retenu leur souffle toute la semaine en se demandant comment appréhender le phénomène. 

Les taux US vont-ils enfin exploser ou va-t-on se contenter de naviguer légèrement au-dessus de ce fameux 3,05%? Il est aujourd’hui trop tôt pour le dire car, comme nous l’observons fréquemment dans ce type de situation, les flux acheteurs et vendeurs ont une incidence prépondérante. Pour sauver le Bund et le Treasury 10 ans d’un sell-off de grande ampleur, il fallait que des acheteurs se manifestent. Certes, il y a sans doute eu quelques investisseurs attirés par des taux US autour de 3,10% sur 10 ans et 3,25% sur 30 ans mais la plupart des intervenants ont surtout privilégié les dettes allemande et américaine au détriment de l’Italie et des périphériques mais également des marchés émergents. La fuite vers la qualité a donc stoppé net les tensions sur les taux benchmarks des deux côtés de l’Atlantique.

La courbe italienne souffre et son comportement
«bearish flattening» est typique des crises de confiance.

A l’heure où nous rédigeons ces lignes, le Président du Conseil italien n’a pas encore été nommé. Le Président Mattarella n’a toujours pas validé le choix de la coalition Lega-M5S qui s’est porté sur Guiseppe Conte, Professeur de Droit de l’université de Florence. Ce qui inquiète les marchés, c’est surtout la politique de déficit budgétaire avec recours à la dette. Si pour l’instant la pérennité de l’euro n’est pas menacée (sinon les taux italiens seraient à 6%, pas à 2,35%), le tandem Salvini-Di Maio (respectivement futurs ministres de l’intérieur et du travail) a de quoi inquiéter. La courbe italienne souffre et son comportement «bearish flattening» est typique des crises de confiance. Les pays périphériques ont souffert également: si le 10 ans BTP italien s’est tendu d’une soixantaine de points de base (de 1,75% à 2,35%), son homologue portugais est remonté de 30 bp, de 1,65% à 1,75% et le 10 ans espagnol s’est tendu de 15 bp de 1,30% à 1,45%. Nous avons donc une hiérarchie claire 60-30-15 points de base dans l’échelle des craintes périphériques. Dans le même temps, le Bund a donc, «fly to quality» oblige, amorcé une détente d’une dizaine de points de base effaçant ainsi l’effet Villeroy de Galhau.   

Les émergents dans la tourmente

Qui veut acheter de la dette turque? Visiblement pas grand monde, surtout en devise locale. Et la Turquie n’est que l’exemple le plus emblématique de la récente défiance des investisseurs pour la classe d’actifs émergente. En quelques semaines, le thème favori de bon nombre de stratèges en allocation d’actifs est (re)devenu sujet d’inquiétude, dominé par les craintes de forte volatilité et de faible liquidité. L’indice que nous suivons, le CDX émergents 10 ans (dette en USD, pas en monnaie locale) est passé de 220 à 250 bp la semaine dernière mais il semble déjà se détendre légèrement depuis lundi. Nous estimons qu’il y a de bonnes opportunités d’investissement dans cette classe d’actifs, sans doute en panachant dette en devise locale ayant déjà passablement souffert et émergents de haute qualité en dollars.

Dans notre agenda cette semaine

Il n’y aura pas de statistiques macroéconomiques majeures. Nous surveillerons tout de même les commandes de biens durables et l’indice de sentiment de l’université du Michigan vendredi après-midi aux Etats-Unis. En Europe, l’indice IFO du mois de mai sera publié vendredi matin. Nous suivrons de très près la situation politique en Italie ainsi que l’évolution du cours du baril de pétrole entre sanctions contre l’Iran et le Venezuela. Enfin, nous mesurerons l’impact sur la courbe US des nouvelles adjudications du trésor: 99 milliards de dollars cette semaine dont 33 de deux ans, 36 de cinq ans et 30 de sept ans.

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