Décryptage de l’envol des fonds indiciels cotés

Vania Mareuse, AMS Asset Management Services

6 minutes de lecture

Le développement des fonds indiciels cotés augmente-t-il la volatilité des marchés et représente-t-il un risque systémique?

Une progression fulgurante

La progression des fonds indiciels cotés (Exchange Traded Funds, ETF en anglais), est phénoménale, les actifs gérés par ces fonds représentent aujourd’hui près de 5’000 milliards de dollars et pourraient progresser de 50% d'ici 2 ans.

La croissance mondiale des fonds indiciels côtés (en billions de dollars)
Source: Morningstar direct et EY, 2017

Les études sur le sujet montrent d’abord que les fonds indiciels côtés constituent une alternative intéressante aux titres sous-jacents, pour les investisseurs non ou mal informés, leur permettant d’acheter simplement le marché en évitant un travail fastidieux de recherche et de sélection de titres. 

D’autres études démontrent que les gérants de fonds actifs ne délivrent que rarement une performance nette supérieure à celle de leur indice de référence, alors qu’ils chargent des frais bien supérieurs à ceux des fonds indiciels. Il convient de souligner le fait que lors des phases de récession, la dispersion des rendements de la gestion active et de ses indices de référence augmente, ce qui signifie que certains gérants actifs ont la capacité à mieux protéger le capital de leurs clients. 

De plus en plus de fonds indiciels adoptent une approche «smart beta».

Il est également intéressant de souligner que de plus en plus de fonds indiciels adoptent une approche «smart beta», il ne s’agit plus de répliquer un indice existant mais d’en créer un en utilisant des filtres quantitatifs ou qualitatifs, cette approche ressemble de plus en plus à de la gestion active «classique».

La construction des fonds indiciels

Il existe deux types de fonds indiciels, les fonds à réplication physique et ceux à réplication synthétique, la distinction se faisant sur la méthode mise en œuvre pour répliquer la performance de l’indice sous-jacent.

Dans le cas d’un fonds à réplication physique, la société de gestion va acheter au nom du fonds un portefeuille de titres composant l’indice de référence. 

Dans le cas d’un fonds à réplication synthétique, la performance sera obtenue en contractant un swap de performance (Total Return Swap) avec un tiers, généralement une banque, qui lui fournit la performance de l’indice sous-jacent. Il est intéressant de noter que dans la plupart des cas, le fonds reçoit un panier de titres côtés, appelé collatéral en garantie des liquidités versées pour contracter le swap. Ces titres n'appartiennent pas forcement à la même classe d'actif que l’indice sous-jacent, le fonds propose alors à des contreparties de leur prêter ces titres pour leur permettre de les vendre à découvert, en échange d’une rémunération, afin d’augmenter le rendement du fonds indiciel.

Actuellement, les fonds indiciels cotés à réplication synthétique représentent 15% de la masse gérée par ces fonds en Europe. Les fonds enregistrés aux Etats-Unis mettent en place presque systématiquement une réplication physique. (Source: Federalreserve.gov, 2017)

Pour qu’un fonds indiciel soit considéré comme «coté», il doit remplir les conditions suivantes:
- Il doit être négocié tout au long de la journée, sur au moins un marché réglementé ou un système de négociation multilatérale.
- Au moins un teneur de marché doit agir pour garantir que la valeur boursière du fonds ne varie pas de manière significative par rapport à la valeur induite par le marché sous-jacent.

Les risques liés au développement des fonds indiciels 

Il convient de s’interroger sur les effets que peut avoir un tel développement sur les marchés sous-jacents et quels sont les risques auxquels sont soumis les porteurs de parts des fonds indiciels cotés.

  • Le risque de contrepartie et de collatéral

Comme expliqué plus tôt, dans un contexte hyper concurrentiel, certaines sociétés de gestion optent pour une réplication synthétique afin de limiter les coûts liés à la gestion et pouvoir ainsi proposer des frais réduits. Un investisseur qui souscrit à ce genre de produits supporte des risques supplémentaires. Le premier est le risque de contrepartie, dans le cas où la contrepartie avec laquelle la société de gestion a conclu le swap de performance venait à faire défaut, le fonds perdrait les liquidités versées pour contracter le swap. La réglementation oblige la contrepartie à fournir un collatéral en échange des liquidités du fonds nécessaire à la réalisation du swap, comme garantie en cas de défaut de la contrepartie.

Les risques de contrepartie et de collatéral
sont en grande partie compensés par la réglementation.

Un autre risque porte sur le risque de collatéral, nous avons expliqué que dans le cas d’une réplication synthétique, le fonds reçoit un portefeuille de titres cotés, le collatéral. Le plus souvent, ce portefeuille est composé d'actions, qui n’ont pas vocation à répliquer la performance de l’indice sous-jacent. Les titres composant ce portefeuille sont prêtés en échange d’une rémunération là encore contre échange d'un collatéral. Un risque existe si la contrepartie qui a emprunté les titres fait défaut au moment de les restituer et si la valeur de marché des titres composant le collatéral a baissé. Le collatéral reçu lors du swap de performance est soumis au même risque. Encore une fois, ces risques sont limités par la réglementation, le collatéral demandé devant être en général supérieur à la valeur des actions prêtées ou des liquidités nécessaires pour le swap, ces niveaux de collatéral sont réévalués quotidiennement.

Ces risques de contrepartie et de collatéral sont donc en grande partie compensés par la réglementation. Il est également intéressant de noter que la réglementation ESMA oblige les sociétés de gestion de fonds indiciels côtés à détailler aux investisseurs l’intégralité des contreparties auxquelles le fonds est exposé, et le montant du collatéral reçu. 

  • Le risque de décorrélation entre la performance du fonds indiciel côté et celle de son indice de référence. 

Le marché primaire des fonds indiciel est réservé aux participants autorisés, ils traitent une fois par jour directement avec la société de gestion pour créer ou détruire un certain nombre de parts. Ces participants autorisés ont ensuite un rôle d’arbitre sur le marché secondaire où les investisseurs passent leurs ordres d’achat et de vente. Sur ces marchés secondaires, le mécanisme de formation des prix des fonds indiciels est régi par la loi de l’offre et de la demande, et pas la valeur de l’indice sous-jacent. Ainsi pour éviter une divergence trop grande, une « valeur liquidative indicative », basée sur la valeur du sous-jacent, est publiée toutes les quinze secondes par Euronext, ainsi, si le prix du fonds dévie de la VLI, un participant autorisé peut faire une opération d’arbitrage, qui aura pour effet de faire converger la valeur liquidative du fonds vers sa VLI.

Ce mécanisme fonctionne parfaitement tant que les participants autorisés jouent leur rôle, un contexte de marché très tendu peut en revanche les pousser ne pas réaliser les opérations d’arbitrage, laissant l’écart entre le prix du fonds indiciel et sa VLI se creuser. C’est arrivé le 24 août 2015 aux Etats-Unis, à cause d’une très forte volatilité des marchés et la suspension de la cotation de nombreux titres dès l’ouverture, les «market makers» n’ont pas pu jouer leur rôle du fait de l’absence d’information fiable sur les prix des futures et des actions sous-jacentes. Les fortes pressions vendeuses ont fait baisser les prix de certains fonds indiciels de 45% alors que le marché sous-jacent en perdait une dizaine. La réglementation européenne devrait permettre de limiter cette divergence car il existe des bornes en dehors desquelles un fonds indiciel ne peut pas être échangé, ces bornes correspondent à des variations de +/- 1,5% à +/- 3% par rapport à la dernière VLI. Il faut noter que des transactions au gré à gré peuvent avoir lieu en dehors de ces bornes.

  • Le risque de liquidité

On assiste au développement de fonds indiciels sur des marchés jusqu’alors peu accessibles aux investisseurs particuliers (marchés émergents, matière premières, marchés obligataires, immobilier…). Cela peut créer une fausse impression de liquidité, en effet la liquidité d’un fonds, qu’il soit indiciel ou non, est toujours fonction de la liquidité du marché sous-jacent. Par exemple, suite à la clôture du marché grec du 26 juin au 3 août, Lyxor a été dans l’obligation de suspendre la cotation de son fonds Lyxor FTSE Athex 20 sur les marchés primaire et secondaire. Il convient de noter que des transactions pouvaient encore avoir lieu en gré à gré sur la base de la valeur implicite des contrats futures ou des certificats d’actions côtés sur d’autres places.

  • L’impact sur les marchés sous-jacent

On pourrait légitimement se demander si le poids de ces fonds indiciels par rapport à leurs marchés sous-jacent n’est pas trop important. Que se passerait-il en cas de demande de rachats massifs des porteurs de parts de ces fonds? Le mouvement pourrait-il se répercuter sur les valorisations des marchés sous-jacents?

Le tableau ci-dessous, extrait d’une étude réalisée par l’AMF en 2015, montre que le taux d’emprise de ces fonds indiciels sur leur marché sous-jacent est limité (entre 0,1 et 1,1%), ce risque est donc limité par le faible taux d’emprise. Il faudra cependant rester attentif à l’évolution de cet indicateur car ce risque pourrait devenir réalité si les taux d’emprise devenaient significatifs.

Taux d'emprise par segment sous-jacent en 2015
Source: Autorité des marchés financiers, 2017

De plus des études sur le sujet ne permettent pas de mettre en évidence une corrélation entre les flux importants sur les marchés primaires avec les mouvements des indices sous-jacents.

En termes de psychologie des investisseurs, il est plus facile de se débarrasser d’un fonds indiciel que de plusieurs titres pour lesquels on a une attache et une rationalisation plus forte, dans ce sens, le développement des fonds indiciels cotés pourrait exacerber les réactions prises par des investisseurs paniqués.

  • L’influence sur la gouvernance des entreprises

Le développement des fonds indiciels représente un risque pour la gouvernance des entreprises, en effet, les fonds à réplication synthétique ne peuvent pas voter en assemblées générales car ils ne détiennent pas les titres sous-jacents, dans le cas des fonds à réplication physique, uniquement certaines sociétés, à l’image de Lyxor, ont mis en place des équipes pour analyser et prendre position sur les ordres du jours des assemblées générales des sociétés détenues en portefeuille. Si l’investissement, via ces fonds indiciels, venait à devenir la norme, il existe un risque que la majorité des investisseurs d’une société soient passifs et laissent la prise de décision dans les mains de quelques actionnaires actifs.

Les risques liés au développement des fonds indiciels côtés
semblent limités mais nécessitent une surveillance accrue.

Pour conclure, les risques liés au développement des fonds indiciels côtés semblent limités mais nécessitent cependant une surveillance accrue afin d’adapter la réglementation en conséquence. Les études démontrent que les fonds indiciels côtés n’augmentent pas la volatilité des marchés financiers. De même, il ne nous semble pas qu’ils représentent un risque systémique, en effet une crise de confiance dans ce type de fonds, qui pourrait par exemple être engendrée par un défaut de contrepartie sur un fonds à réplication synthétique, ne représente pas un risque systémique car ces fonds ne représentent qu’un «outil» pour investir, les alternatives existent (investissements en direct ou via des fonds actifs) et les flux devraient se compenser.

Avant d’investir dans un tel produit, un investisseur devra se poser les bonnes questions quant au type de fonds dans lequel il souhaite investir (réplication physique ou synthétique) et à la politique de vote de la société de gestion. Il sera également opportun qu’il se demande si son ordre sera exécuté sur un marché réglementé ou au gré à gré. Il faudra également ne pas oublier l’analyse de la performance du fonds indiciel en utilisant les outils d’analyse classique (tracking error et tracking différence).

 

Sources:
Federalreserve.gov. (2017). The Fed - Synthetic ETFs. [online] Available at: https://www.federalreserve.gov/econres/notes/feds-notes/synthetic-etfs-20170810.htm [Accessed 20 Oct. 2018].
EY (2017). Reshaping around the investor - Global ETF Research 2017. [online] EY, p.4. Available at: https://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-global-etf-survey-2017/$FILE/ey-global-etf-survey-2017.pdf [Accessed 22 Oct. 2018].
MorningstarUK. (2017). Les défis des gérants actifs. [online] Available at: http://www.morningstar.fr/fr/news/162916/les-défis-des-gérants-actifs.aspx/ [Accessed 22 Oct. 2018].
Autorité des marchés financiers (2017). Les ETF : Caractéristiques, état des lieux et analyse des risques - Le cas du marché français.