Zone euro: quand la manufacture éternue, les services s’enrhument-ils?

William De Vijlder, BNP Paribas

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La résilience du secteur des services dans la zone euro dépendra en très grande partie de l’évolution de la situation en Allemagne où l’écart entre les PMI des deux secteurs est anormalement élevé.

«La principale question est la suivante : combien de temps le reste de l’économie sera-t-il épargné par la morosité persistante du secteur manufacturier?1» La réponse à la question posée par Mario Draghi lors de sa récente conférence de presse est importante non seulement pour les décisions à venir du Conseil des gouverneurs, mais également pour le comportement à terme des entreprises et des ménages en matière de dépenses. À en juger par les indices des directeurs d’achat, l’industrie manufacturière et les services ont historiquement tendance à évoluer de concert, à l’exception du premier semestre 2005 et de ces derniers mois durant lesquels un écart s’est creusé entre les deux secteurs. Le commentaire du Président de la BCE fait suite à ce constat.

Qu’est-ce qui explique cette corrélation en général élevée? L’une des raisons tient à la cause du ralentissement. Lorsque le choc est mondial, comme en 2008-2009, ou à l’échelle d’une région économique ou d’un pays, comme la crise de la dette souveraine dans la zone euro en 2011-2012, il est normal de s’attendre à ce que le secteur manufacturier et les services pâtissent simultanément de la baisse de la confiance, du revenu, de l’accès au financement, etc. Lorsque le choc est spécifique à un secteur, ce qui est dans une large mesure le cas depuis le début de 2018, l’ampleur de l’effet de contagion de l’industrie manufacturière aux services dépend du degré d’interdépendance entre les deux secteurs. Dans une étude réalisée en 2014, l’European Consortium for Sustainable Industrial Policy (ECSIP)2 faisait remarquer que « comme les services sont utilisés dans les processus de production manufacturière, la valeur d’un produit manufacturier fini comprend directement et indirectement la valeur ajoutée créée dans une large mesure par le secteur des services ». Sur la base des données de 2011, dans l’UE-27, « les services représentent un peu moins de 40 % de la valeur d’un produit manufacturier fini»3. Conséquence directe: un repli de la demande pour les produits manufacturiers a un impact considérable sur l’ensemble de la chaîne de valeur et, par conséquent, sur les services4.

Les effets de confiance peuvent également jouer un rôle : face à la situation très difficile de l’industrie manufacturière, en l’absence de perspective d’amélioration, les entreprises du secteur des services peuvent finir par avoir des craintes concernant les perspectives de leur propre activité. De telles préoccupations peuvent impacter leurs plans de recrutement et d’investissement.

Pour explorer ces relations, les graphiques suivants illustrent, sur l’axe des abscisses, la variation sur 12 mois du PMI manufacturier et, sur l’axe des ordonnées, la variation équivalente pour les services. En France, en Italie et en Espagne, les corrélations sont très élevées, tandis qu’elles le sont moins en Allemagne. Dans ce pays, la pente de la courbe de régression est également moins accentuée, indiquant que les services sont plus à l’abri des évolutions du secteur manufacturier ou qu’ils dépendent d’autres facteurs. Le plus frappant, cependant, est l’importance de la divergence entre les dernières données relatives à la variation sur 12 mois du PMI des services allemand et ce à quoi on pourrait s’attendre en raison de la relation historique entre les deux secteurs et de la forte baisse du PMI manufacturier. Cette anomalie devrait normalement se corriger d’elle-même sous l’effet d’un rebond du secteur manufacturier, d’un repli significatif des services ou d’une combinaison des deux. Compte-tenu de la forte corrélation entre les deux indices dans les autres pays, il est important, au moment d’étudier la résilience des services de la zone euro à la mauvaise passe observée dans l’industrie manufacturière, de centrer l’analyse sur l’Allemagne. À l’évidence, l’absence de redressement du sentiment dans le secteur manufacturier pourrait finir par entamer la confiance, non seulement en Allemagne, mais aussi, compte tenu du poids de ce pays, dans le reste de la zone euro.


 

1 BCE, déclaration introductive à la conférence de presse de Mario Draghi, Président de la BCE, et de Luis de Guindos, Vice-président de la BCE, Vilnius, 6 juin 2019 
2 Étude sur la relation entre l’industrie et les services en termes de productivité et de création de valeur, 2014. Cette analyse a été rédigée pour la DG Enterprise and Industry de la Commission européenne par les partenaires du Consortium ECSIP : l’Institut de Vienne des études économiques internationales (WIIW), l’Ifo et Ecorys. 
3 Ce pourcentage est plus élevé en France (48,5%) et moins élevé en Allemagne (35,9%). Il est conforme à la moyenne de l’UE en Italie (40%) et en Espagne (39,4%). 
4 Les auteurs font la distinction entre les services (de développement) en amont (R-D, conception), les services (de production) de base (gestion de la chaîne d’approvisionnement, production et ingénierie de process, autres services techniques) et les services en aval (marché).

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