Zone euro: les banques s’essoufflent, les emprunteurs sourient

AWP

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«Depuis qu’on a instauré le taux négatif sur les dépôts, cela coûte cher aux banques», affirme Eric Dor de l’IESEG Management School.

La politique de taux d’intérêt bas et négatifs menée depuis cinq ans par la Banque centrale européenne (BCE) inquiète les établissements bancaires de la zone euro, qui s’attendent à une nouvelle baisse imminente du loyer de l’argent.

En quoi cette stratégie affecte-t-elle les banques, mais aussi leurs clients et les épargnants?

Quel impact pour les banques?

La BCE décide la politique monétaire des 19 pays membres de la zone euro, en fixant notamment le niveau de taux d’intérêt dit «directeurs». Ces taux influent sur le coût du crédit pratiqué par les banques ainsi que sur le rendement de l’épargne.

Depuis mars 2016, l’institution monétaire a abaissé son principal taux directeur à 0%, ce qui permet aux banques de lui emprunter gratuitement des liquidités pour une durée d’une semaine.

En outre, depuis l’été 2014, la BCE sanctionne financièrement les banques lorsque celles-ci placent à court terme des surplus de liquidité auprès d’elle. Le taux dit «de dépôts» stationne actuellement à -0,40%.

Les établissements bancaires sont en effet tenus de garder en réserve auprès de la BCE des fonds afin de faire face aux retraits de leurs clients. Or, ils déposent généralement beaucoup plus que ce montant obligatoire.

Ces taux d’intérêt constituent donc un outil crucial: en poussant à la baisse le coût des crédits et en faisant payer les banques qui stockent de l’argent plutôt que de le prêter, la banque centrale entend stimuler l’activité économique.

Problème, «depuis qu’on a instauré ce taux négatif sur les dépôts, cela coûte cher aux banques», affirme à l’AFP Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG Management School.

«On estime qu’au taux actuel sur les liquidités excédentaires, cela coûte environ 7,5 milliards d’euros par an aux banques de la zone euro», évalue M. Dor.

Plus largement, cette politique affecte directement la rentabilité des banques sur leur activité de prêt en réduisant chaque fois davantage la marge entre le taux d’intérêt auquel les établissements bancaires prêtent et celui auquel ils se refinancent.

Quelles perspectives?

Depuis fin juillet, l’horizon s’obscurcit pour le secteur bancaire européen, qui anticipe une nouvelle baisse des taux de la BCE à la mi-septembre.

«En début d’année, les acteurs s’attendaient à une remontée des taux au deuxième semestre, et finalement on est sur une perspective de taux encore plus bas et pour plus longtemps», indique à l’AFP Nicolas Malaterre, directeur senior chargé du secteur bancaire en France pour l’agence de notation S&P Global Ratings.

«La rentabilité des banques de la zone euro, déjà sous pression, risque de devenir un problème plus structurel», ajoute-t-il.

Conséquence: les banques doivent convaincre les investisseurs de leur capacité commerciale à faire face à des taux négatifs durables, tout en respectant les exigences réglementaires qui les obligent à mettre en réserve des capitaux supplémentaires pour parer à d’eventuels chocs financiers.

Les groupes bancaires dont les revenus dépendent essentiellement de l’activité de prêt et dépôts, comme les banques régionales allemandes, souffrent plus de cet environnement que les banques diversifiées dans les services financiers, l’assurance ou la banque d’affaires et d’investissement, comme c’est le cas des établissements français.

Quelles conséquences pour les clients et les épargnants?

Jusqu’ici, seule la clientèle d’entreprise pouvait se voir facturer des dépôts importants auprès d’une banque, mais selon un sondage réalisé en juillet en Allemagne, une trentaine d’établissements bancaires du pays ont décidé de ponctionner leurs clients les plus fortunés dont les dépôts atteignent au moins 100’000 euros.

Néanmoins, cette pratique demeure rare dans la zone euro, où la concurrence est acharnée entre les banques, tenues de conquérir plus de clients pour compenser leur perte de marge.

Le prêt immobilier à taux compétitif est ainsi devenu leur principal appât, au bénéfice des nouveaux emprunteurs qui apparaissent comme les grands gagnants de la stratégie de la BCE.

En revanche, les épargnants ayant investi dans des placements financiers font figure de perdants, le rendement de nombreux produits d’épargne ayant baissé de concert avec les taux. Un sujet particulièrement sensible en Allemagne, où nombre de retraités comptaient sur leur épargne financière.

Des taux négatifs font perdre leur attractivité à des placements financiers sûrs, et «induisent des prises de risques excessives, tant des particuliers que des fonds d’investissements qui cherchent à tout prix du rendement et vont vers des produits plus risqués, c’est un danger», pointe l’économiste Eric Dor.

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