Victoire fragile de Ryad dans une guerre des prix «destructrice»

AWP

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«L’épisode n’est pas fini et les risques restent élevés pour l’Arabie saoudite. Il pourrait y avoir un prix politique à payer», selon l’experte européenne Cinzia Bianco.

L’Arabie saoudite a peut-être remporté une guerre des prix du pétrole dans laquelle tous les coups étaient permis contre la Russie, mais le premier exportateur de brut au monde pourrait maintenant se voir accusé d’avoir précipité l’effondrement du secteur.

Face à une demande en chute libre en raison de la pandémie de COVID-19 et une offre devenue surabondante dans le sillage de la guerre des prix, le cours du baril de pétrole américain pour livraison en mai est passé lundi en dessous de zéro. Une première dans l’histoire: les vendeurs se sont résolus à payer pour se débarrasser de barils, faute de stockage.

Depuis plusieurs semaines, les prix étaient déjà en chute libre: en mars, face à l’échec de négociations sur une baisse de la production pour soutenir les cours entre l’Opep -Arabie saoudite en tête- et ses partenaires menés par la Russie, Ryad a procédé à une baisse drastique de ses prix, inondant le marché de barils à bas coût.

Dans la foulée, le royaume saoudien a annoncé une augmentation de sa production, bénéficiant d’un coût d’extraction très faible et de réserves financières lui permettant de résister à une baisse des prix.

La Russie a fini par revenir à la table des négociations et, le 12 avril, un accord a été conclu sur une réduction de près de 10 millions de barils par jour en mai et en juin.

Mais, coronavirus et récession à l’horizon obligent, les prix ne sont pas remontés.

«Cela a coûté deux mois de prix spectaculairement bas (...) mais l’Arabie a remporté la guerre des prix», affirme Cinzia Bianco, chercheuse au Conseil européen pour les relations internationales. «Mais il y a un risque élevé que cet accord soit trop faible et trop en retard (...) Ryad pourrait avoir lâché (sur les marchés) une bête qu’il est incapable de contrôler.»

«Destructeur»

Après la chute du baril à New York, des parlementaires américains ont pointé du doigt le royaume saoudien.

«Ce niveau dramatique montre que nous ne pouvons autoriser l’Arabie saoudite à inonder le marché, surtout que nos capacités de stockage s’amoindrissent», a déclaré le sénateur républicain Kevin Cramer.

«Le nombre de tankers saoudiens se dirigeant vers nos côtes est plus élevé que jamais. J’appelle le président (Donald) Trump à les empêcher de décharger aux Etats-Unis.»

M. Trump a répondu qu’il considèrerait la possibilité de stopper leur arrivée.

Un autre sénateur républicain, James Inhofe, a lui demandé à ce que des droits de douane soit imposés sur le pétrole saoudien mais aussi sur le pétrole russe «pour punir leur comportement destructeur».

«Il est clair que Saoudiens et Russes continuent d’inonder le marché dans ce que je considère comme un effort pour écraser les producteurs américains», a-t-il écrit dans une lettre adressée au secrétaire au Commerce Wilbur Ross.

Les coûts élevés d’extraction aux Etats-Unis ont fait que le secteur a été frappé de plein fouet par la chute, la faillite guettant de nombreuses entreprises, au point que M. Trump a demandé mardi à son administration de mettre sur pied un plan d’aide d’urgence à l’industrie pétrolière et gazière.

«Prix à payer»

L’Arabie saoudite n’a pas réagi aux accusations, indiquant seulement surveiller de près les marchés et être prête à prendre des mesures supplémentaires dans le cadre de l’accord de l’Opep+ -l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et ses partenaires.

Plusieurs fois par le passé, le royaume a ignoré les critiques de ses rivaux, qui se disaient menacés de faillite par sa politique, et affirmé qu’il ne jouerait plus le rôle de stabilisateur du marché en encaissant le gros des réductions de production.

Mais Ryad ne sort pas indemne de cette guerre et de la chute des prix, tout comme ses voisins du Golfe dont les recettes publiques dépendent pour entre 70 et 90% du pétrole.

A long terme, la baisse pourrait saper l’ambitieux plan de réforme du prince héritier Mohammed ben Salmane, justement destiné à sortir le royaume de sa dépendance à l’or noir.

Depuis la dernière chute des prix en 2014, le budget de l’Arabie saoudite est systématiquement déficitaire, ce qui a poussé ce pays à emprunter plus de 100 millions de dollars et à puiser dans ses réserves financières.

«Ryad est peut-être satisfait maintenant qu’il a prouvé sa détermination, consolidé son leadership sur le marché (...) et fait comprendre à Moscou qu’à l’avenir, la politique pétrolière russe devrait s’aligner avec la stratégie saoudienne», affirme Cinzia Bianco.

«Mais l’épisode n’est pas fini et les risques restent élevés pour l’Arabie saoudite. Il pourrait y avoir un prix politique à payer.»

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