Une nouvelle vision pour un changement de régime

Jean-Sylvain Perrig, Premyss

2 minutes de lecture

L’année 2019 restera dans les annales comme l’année «chandelle» des obligations, où l’on a atteint l’absurde.

Lorsque l’on fait de l’allocation d’actifs, il est primordial de comprendre le régime financier qui caractérise les marchés à un moment «T». Cela permet en effet de définir les actifs qui vont performer dans les années à venir. Car prédire l’évolution des prix à court terme est impossible et seul le temps permet de tirer profit d’une vision d’investissement et des caractéristiques des différents actifs qui composent un portefeuille. 

Le changement de régime va commencer
par le marché des capitaux.

Or nous sommes à l’aube d’un changement de régime et cela n’arrive qu’une fois par décennie. Nous venons de vivre 10 ans d’expérimentation monétaire, de manipulation des prix par les banques centrales et de croissance mondiale modérée, où l’on a également vu le début du déclin du multilatéralisme.

Le futur est plus certain que le présent: une absurdité

Ce changement de régime va commencer par le marché des capitaux. En Suisse et en Europe, les prix des obligations ont atteint des sommets inimaginables il y a encore 18 mois. Depuis juin 2014, la BCE et la BNS ont une politique de taux d’intérêts négatifs et nous venons d’entamer la sixième année de ce cycle. Nous nous retrouvons dans une bulle obligataire de proportion «biblique», et celle-ci a été  percée. A plus de 240% du PIB mondial, selon le cabinet Ned Davis, le niveau d’endettement n’a jamais été aussi élevé, et pourtant les taux nominaux et réels n’ont jamais été aussi bas, ce qui signifie que le risque est mal rémunéré. Pire, plus de 15’000 milliards de dette européenne ont un taux de rendement négatif. Un taux en dessous de zéro qui signifie que le futur est plus certain que le présent. Cette situation est totalement absurde d’un point de vue économique. L’évolution boursière des grandes banques européennes depuis 2009 est une parfaite illustration du non-fonctionnement de la politique de taux négatifs et d’une pression réglementaire en permanente augmentation.

Toute bulle doit avoir une justification plausible. Aujourd’hui, c’est la faiblesse de l’inflation et des anticipations inflationnistes qui baissent malgré les initiatives monétaires de la BCE. Une situation qui pousse certains à encourager l’achat d’obligations pour faire du gain en capital et non plus pour le rendement. Voilà qui est également totalement absurde!

Cela peut prendre du temps avant que les investisseurs
ne réalisent que l’on a changé de paradigme.

Dans les derniers instants de vie d’une bulle, il y a souvent une accélération des prix à la hausse. On appelle cela une «chandelle». Nous avons vécu ce phénomène en août: les gains ont été spectaculaires pour ceux qui ont acheté des obligations avec de longues échéances en début d’année: une obligation de l’Etat autrichien maturant en 2117 (98 ans) avec un coupon de 2,1%, par exemple, a vu son cours monter de 80% en 8 mois! Lorsque les prix montent en chandelle, ils redescendent irrémédiablement, parfois vite, entrecoupés de rebonds mais, lorsque le mouvement est lancé, il est difficile de l’arrêter. Reste que cela peut prendre du temps avant que les investisseurs ne réalisent que l’on a changé de paradigme. 

Désormais, les actions des régulateurs n’ont plus le même effet. Par exemple, le 12 septembre, Mario Draghi a expliqué pourquoi la BCE baissait encore son taux directeur et pourquoi elle relançait – contre l’avis de ses gouverneurs – le programme de rachat d’actifs, cette fois sans y mettre une date de fin. Cela aurait dû être une très bonne nouvelle pour les détenteurs d’obligations mais, après une première réaction positive, les prix se sont retournés et le marché a baissé alors que les taux remontaient. Ce n’est peut-être pas suffisant pour annoncer la fin d’un régime monétaire et financier. Il est en effet difficile aujourd’hui de visualiser ce qui pourrait faire remonter l’inflation alors que beaucoup craignent que la zone Euro ne s’enfonce dans la récession. Quelques éléments potentiellement décisifs devraient désormais retenir notre attention.

Il paraît fort probable que Christine Lagarde cherche
le moyen de stimuler directement l’économie réelle.

Tout d’abord, personne ne connait les intentions de Christine Lagarde à la tête de la BCE. Elle n’est pas économiste et la BCE est dos au mur. Il paraît fort probable qu’elle cherche le moyen de stimuler directement l’économie réelle. Notamment, dans le cas d’une récession. «Pervertir» l’euro serait mal perçu par les investisseurs, spécialement par les détenteurs d’obligations.

Avec le déclin du multilatéralisme, nous allons vers un monde multipolaire. Cela pousse les multinationales à rapprocher les chaines de production des lieux de consommation. Cela devrait exercer une pression haussière sur les prix, malgré un contexte de ralentissement marqué, et des gains de productivité importants grâce à la digitalisation.

Taux négatifs, règlementation et technologie transforment en profondeur le secteur financier. L’humain reste au cœur du modèle d’affaires du banquier privé, mais il est temps de faire évoluer ce métier et de prendre de la hauteur. Avec un peu de vision, la gestion de fortune et la gestion d’actifs peuvent devenir un véritable vecteur de création de richesse.