Une inversion de la courbe des taux peut nuire à votre portefeuille

Philippe G. Müller, UBS

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La Recherche d’UBS considère que les investisseurs ont d'autres motifs d'inquiétude plus légitimes que la courbe des taux.

© Keystone

Les statistiques montrent qu'une inversion de la courbe des taux américains, en créant un réflexe de vente des actions, peut nuire à votre portefeuille. Depuis 1960, on constate qu’après une inversion de la courbe des taux sur le segment 2-10 ans, l'indice S&P 500 a généré en moyenne un rendement de 29% avant son apogée. Depuis fin 1987, après une inversion de la courbe dans son segment 2-5 ans – ce qui s'est produit la semaine dernière – le rendement moyen sur les douze mois qui suivent a été de 26%.

Il y a un an, en réponse à la dernière question posée lors de son ultime conférence de presse après la séance du Federal Open Market Committee (FOMC), l'ancienne présidente de la Réserve fédérale américaine Janet Yellen avait déclaré «Il existe une forte corrélation historique entre les inversions des courbes des taux et les récessions. Mais permettez-moi de souligner que corrélation ne veut pas dire causalité».

Il était prévisible que cette inversion se produirait
tôt ou tard dans les douze prochains mois.

La semaine dernière, les investisseurs ont semblé ignorer le mot d'adieu de Janet Yellen. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, une portion de la courbe des taux américains s'est inversée. Le 4 décembre dernier, le rendement des bons du Trésor à deux et trois ans a dépassé celui des bons du Trésor à cinq ans, contribuant ainsi à la chute de 3,2% de l'indice S&P 500 et faisant surgir le spectre d'une récession imminente.

Néanmoins, la Recherche d’UBS considère que les investisseurs ont d'autres motifs d'inquiétude plus légitimes que la courbe des taux, et ce pour plusieurs raisons.

Historiquement, une légère inversion de la courbe dans sa partie intermédiaire est assez insignifiante.

Les segments 2-5 ans et 3-5 ans de la courbe ont connu une inversion à mesure que les taux à long terme diminuaient plus rapidement que les taux à court terme. En effet, il était prévisible que cette inversion se produirait tôt ou tard dans les douze prochains mois. Elle est juste intervenue plus tôt que prévu.

Historiquement, les écarts de rendement entre les échéances 2/10 ans et 3 mois/10 ans sont de meilleurs indicateurs d'une récession imminente. Or ils demeurent positifs (de 14 pb et 47 pb respectivement) et on ne prévoit pas d'inversion dans un cas comme dans l'autre.

L'inversion ne reflète pas une politique excessivement restrictive

L’inquiétude serait légitime si l'inversion était le signe d'une politique monétaire trop restrictive mais, en réalité, elle est le résultat de la posture plus conciliante du président de la Fed, Jerome Powell, qui a récemment déclaré que les taux sont désormais «juste en dessous de la large fourchette d'estimations du niveau qui serait neutre pour l'économie».

La baisse des cours du pétrole a joué un rôle et devrait soutenir la consommation

Depuis le pic de début octobre, la chute de 30% des cours du pétrole brut a contribué au rebond des obligations à long terme. Cette baisse est une bonne chose pour les ménages américains car les prix des carburants diminuent. Elle permettra en outre à la Fed de justifier une pause dans le relèvement de ses taux. L'indice «core PCE» (Personal Consumption Expenditures), son baromètre de l'inflation favori, a baissé à 1,8% en octobre.

En moyenne, les récessions interviennent
21 mois après une inversion.

Les facteurs techniques, déconnectés des fondamentaux, y contribuent également

De nombreux investisseurs obligataires ont été pris à contre-pied par les déclarations plus conciliantes de la Fed et ont dû se couvrir. Les positions courtes sur les contrats à échéance sur les bons du Trésor à long terme ont récemment atteint leur niveau le plus extrême depuis 2010. La baisse des rendements a engendré des couvertures «short».

Même en cas d'inversion du segment 2/10 ans, cela ne serait pas le signe d'une récession imminente

En moyenne, les récessions interviennent vingt-et-un mois après une inversion, dans un intervalle de neuf à trente-quatre mois.

Ce ne serait pas non plus le signe d'un marché baissier imminent

Depuis 1960, le S&P 500 a rebondi en moyenne de 15% au cours des douze mois précédant la survenance d'un écart nul entre les échéances à 10 ans et 2ans. En outre, il génère en moyenne un rendement de 29% entre le moment où la courbe s'inverse et l'apogée subséquente des actions.

En tout cas, les récessions ne se produisent pas uniquement lorsque la courbe des taux s'inverse

Elles se produisent lorsque le comportement des ménages et des entreprises change. Par conséquent, il convient surtout de guetter une contraction du crédit bancaire ou des dépenses des ménages et des entreprises.

Certains secteurs ont été affectés: les ventes d'automobiles ont culminé en 2016 et les récentes statistiques immobilières se sont avérées décevantes. Néanmoins, les banques ne font pas état d'un ralentissement de la croissance du crédit aux entreprises et l'enquête de la Fed auprès des responsables du crédit montre que la tendance est toujours à l'assouplissement des conditions de crédit.

D’autres facteurs de risque potentiels à surveiller de près

La Recherche d’UBS continue de surveiller, entre autres, les facteurs de risque potentiels suivants: évolution du conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine, probité fiscale de l'Italie, politique des Banques centrales, inflation, marché immobilier aux Etats-Unis, données économiques en Chine, augmentation de la dette publique et de la dette des entreprises et augmentation des écarts de crédit. En soi, une inversion de la courbe des taux n'en fait pas partie.

Dans l'ensemble, les perspectives économiques semblent suffisamment positives pour justifier une surpondération tactique des actions mondiales, même si UBS détient aussi des positions contra-cycliques, dont une position longue sur les bons du Trésor américain à dix ans, pour se couvrir contre les risques baissiers.

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