Trop d'endettement ou financement de la croissance?

Philippe Noyard, Candriam

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L’atonie de la croissance mondiale et la faiblesse des taux d’intérêt ont incité les entreprises à utiliser l’endettement comme mode de financement.

Le passé: un environnement particulièrement porteur

Au cours des dernières années, l’atonie de la croissance mondiale et la faiblesse des taux d’intérêt ont incité les entreprises à utiliser l’endettement comme mode de financement de leur développement. Un endettement qui leur a permis d’investir en R&D afin d’augmenter leurs ventes ou de s’adapter à un nouvel environnement mais aussi de s’approcher plus rapidement de leurs objectifs stratégiques en procédant bien souvent à des fusions et acquisitions.

Les objectifs de rentabilité attendus par les actionnaires ne pouvant pas toujours être atteints par la simple croissance, la dette a également été massivement utilisée pour financer des plans de rachats d’actions ou la distribution de dividendes exceptionnels.

La baisse généralisée des taux d’intérêt a considérablement
allégé la charge d’intérêts des entreprises.

Cette optimisation de la rentabilité des capitaux investis a été grandement favorisée par la politique monétaire accommodante des banques centrales et la mise en place de politiques non conventionnelles telles que le Quantitative Easing (QE) de la Banque centrale européenne (BCE) ou encore du Quantitative & Qualitative Easing (QQE) de la Banque du Japon (BoJ).

La baisse généralisée des taux d’intérêt a considérablement allégé la charge d’intérêts des entreprises. Cet environnement s’est accompagné d’une diversification des sources de financement des ETI/PME avec un accès croissant au financement obligataire pour nombre d’entre elles. Le résultat? Pour certaines, une réduction du fardeau de la dette et d’un potentiel risque de faillite, pour d’autres, la favorisation de leurs projets de développement.

Le présent: un niveau de dette record?

Cette maximalisation de la structure bilancielle des entreprises en faveur de la dette au détriment des capitaux propres a-t-elle dégradé la qualité de crédit des entreprises?

Selon l’Institut de la Finance Internationale (IFI), la dette totale des entreprises hors secteur financier représente aujourd’hui 91,4% du PIB mondial, soit une hausse de 20 points sur vingt ans. Il convient de relativiser: il s’agit ici d’un endettement brut qui ne tient pas compte de l’accroissement de la valeur des actifs des entreprises.

Mais force est de constater qu’au cours des 8 dernières années, la part des émetteurs notés «BBB» du marché américain est passée de 40% en 2011 à 50% en 2019, quand celle du marché européen progressait dans le même temps de 25 à 50%. La conséquence? Une dette des émetteurs «BBB» qui représente désormais 5100 milliards de dollars au niveau mondial, soit 6 fois plus qu’en 2000.

La qualité de la dette s’est donc nettement dégradée ces dernières années. Mais peut-on parler de bulle sur le marché du crédit pour autant?

Pas vraiment. Selon nous, le niveau élevé de la dispersion actuelle de crédit reflète avant tout un accroissement du risque idiosyncratique: les difficultés spécifiques à une valeur ne semblent que faiblement se répercuter au sein de son secteur d’activité avec un impact limité sur l’évolution des spreads de crédit. En outre, si les agences de notation estiment que les émissions des potentiels «Anges déchus» - ces entreprises qui passent du rang Investment Grade (BBB) à celui d’obligations spéculatives (BB ou inférieur)- devraient en montant, représenter plus de 20% de l’encours actuel de l’univers des BBB, nous estimons que ce risque est surévalué: la liquidité et la forte prime actuelle payée par le capital investissement pour l’acquisition d’une entreprise non cotée favorisent les cessions de filiales et d’actifs et donnent à de nombreuses entreprises la possibilité de réduire leur endettement, leur permettant de conserver ainsi leur notation en catégorie Investment Grade.

Le futur: vers une dette plus responsable?

C’est un fait. L’approche purement financière des entreprises est chaque jour davantage remise en cause: l’entreprise étant un acteur majeur de l’économie et de la société, les investisseurs attendent d’elle qu’elle intègre désormais des notions de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).

Cette pression sociétale, couplée à celle de la performance financière, oblige les entreprises à s’adapter alors même que les besoins de financement, en particulier de la transition énergétique, sont colossaux.
On pourra citer le secteur automobile, avec le passage à l’électrification des véhicules et des besoins de financement massifs en R&D ou en renouvellement des plates-formes de production, ou encore le secteur des services aux collectivités, avec la fermeture des centrales à charbon au profit des énergies renouvelables.

Ne pas considérer ces facteurs extra financiers serait une erreur. Toute société qui s’y risquerait pourrait voir les investisseurs refuser de la financer ou accepter de le faire à des coûts prohibitifs pouvant remettre en cause la rentabilité des investissements, et donc à terme sa viabilité. A contrario, ces besoins de financement accroissent le niveau d’endettement des entreprises, source de potentielles dégradations des notations par les agences.

Dès lors, il faudra se montrer sélectif et intégrer une approche ESG rigoureuse. Ceci devrait permettre d’investir dans celles qui seront les gagnantes de cette phase de transformation globale en évitant celles dont l’avenir sera plus incertain. Un monde d’opportunités s’ouvre à nous.